Dans un papier de travail qu’il vient de publier le 1er avril 2014, l’office luxembourgeois de statistiques, le STATEC, tente d’évaluer l’impact macro-économique de l'échange automatique d'informations en matière de produits financiers sur la place financière de Luxembourg
Le texte du STATEC rappelle l’entretien paru le 7 avril 2013 dans le "Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung" au cours duquel l’ancien ministre des Finances, Luc Frieden, avait annoncé la fin du secret bancaire au Luxembourg pour les non-résidents à compter du premier janvier 2015. Le STATEC place cette annonce « dans le contexte de la Directive européenne "Fiscalité de l’épargne" datant de 2003 (Directive 2003/48/CE), visant l’échange automatique d’informations (EAI) sur les avoirs de personnes physiques détenus dans des pays autres que ceux dans lesquels ils résident.
L’objectif de son travail est maintenant "de quantifier – dans le cadre de l'établissement des projections macro-économiques du STATEC – les effets potentiels sur l'économie luxembourgeoise (en premier lieu sur l'emploi et les finances publiques) du passage à l'échange automatique à partir de 2015."
Le STATEC a procédé en deux étapes.
Il a d’abord tenté de quantifier directement l'impact de l’introduction de l’échange automatique via des données individuelles et agrégées des banques. Ces calculs ont abouti à la détermination d'un impact probable sur l’emploi et la valeur ajoutée agrégée du secteur.
Pour calculer ces projections, le STATEC s’est basé sur des comptes de pertes et profits individuels de toutes les banques de la place. Il a fait ici une distinction entre les banques universelles et les banques spécialisées dans la gestion de fortune et le conseil en placement ("private banking"), se basant ici sur une classification mise à disposition par l’ABBL (Association des banques et Banquiers du Luxembourg). Il a d’autre part utilisé des données agrégées sur les avoirs sous gestion ("assets under management") de toutes les banques faisant partie du cluster "private banking" collectées par la CSSF (Commission de surveillance du secteur financier) pour le compte de l’ABBL.
Il a ensuite utilisé des résultats de cette première approche pour dériver les répercussions sur les autres branches, le PIB, les finances publiques, le marché du travail, etc. Cette étape est effectuée à l’aide des trois modèles macro-économiques du STATEC, à savoir Modux (modèle économétrique, utilisé pour établir les projections macro-économiques), LuxGEM (modèle d’équilibre général calculable basé sur une désagrégation sectorielle) et LSM (modèle d’équilibre général "dynamique stochastique" représentant plus finement le secteur financier).
Les principaux résultats constatés par le STATEC sont les suivants:
Par la seule hausse des frais administratifs (surtout informatiques) liés à l'introduction de l'échange automatique, quelques 800 postes pourraient à terme disparaître dans le secteur bancaire (environ 200 dans la Banque privée). Ce résultat, précise le STATEC, ne tient toutefois pas compte de la disparition d'une fraction plus ou moins importante des actifs sous gestion.
A la suite de l'introduction de l'échange automatique, 15 milliards d’euros d'actifs sous gestion pourraient quitter la place (soit quelque 5 % du total), et cette évaluation ne tient pas compte de l’éventuelle extension de la Directive à laquelle le Luxembourg vient de donner au Conseil européen de mars 2014 son accord conditionnel.
Associée à une hypothèse de hausse des coûts, la perte d'actifs susmentionnée pourrait générer une baisse de la valeur ajoutée de 5 à 10 % de l'ensemble du secteur financier.
Cette baisse de la valeur ajoutée pourrait générer par ricochet une baisse de l'emploi du secteur financier de légèrement plus de 1000 personnes (suivant les modèles, entre 1 et 3 % du total du secteur), et, par effets induits, une baisse de l'emploi dans le reste de l'économie de 500 à 1000 personnes (entre 0.25 % et 0.5 % du total de l’économie). En tout, entre 2300 et 3000 emplois pourraient donc disparaître.
Les dernières données trimestrielles en matière de dépôts des ménages (à vue, à terme) confirment la baisse des avoirs sous gestion et semblent également confirmer les ordres de grandeur estimés par le STATEC, avec un léger risque de sous-estimation pouvant être associé aux 15 milliards d'actifs en partance estimés.
Le STATEC précise encore une fois que son travail est basé sur un échange automatique tel que prévu dans la Directive "Fiscalité de l'Epargne" de 2003 et ne prend pas directement en compte une extension éventuelle de la Directive à des personnes morales ou à des produits autres que ceux visés dans la Directive de 2003.
Toutefois, sur base des analyses et des simulations effectuées par le STATEC et compte tenu des réactions peu violentes suite à l'acceptation récente par le Luxembourg de l'extension de la Directive, le STATEC estime qu’il "ne faudra probablement pas s'attendre à un impact beaucoup plus sévère."