Le 7 avril 2013, la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung publiait un entretien que le ministre des Finances luxembourgeois, Luc Frieden, a accordé au journaliste Dyrk Scherff. Il y est question de la place financière luxembourgeoise, dont le ministre explique, une fois de plus, la spécificité.
Luc Frieden assure ainsi que les inquiétudes soulevées par le cas chypriote sur la nécessité hypothétique du sauvetage d’autres places financières européennes ne sont pas fondées pour le Luxembourg dans la mesure où sa place financière est tout autrement structurée que la place chypriote. En effet, loin d’être dominée par deux grandes banques nationales, elle est constituée par un grand nombre de petites banques et de sociétés de gestion de fonds qui sont pour la plupart des filiales d’institutions étrangères. Ainsi, en cas d’urgence, la charge serait limitée pour le Luxembourg, d’autant que les sociétés-mères sont réparties dans le monde entier, ce qui réduit les risques.
Quant au sauvetage des banques Dexia et Fortis, auquel le Luxembourg a participé, il rappelle qu’elles étaient d’importance systémique pour le Grand-Duché. "Nous avons montré que nous pouvons aider", constate Luc Frieden qui relève que d’autres pays ont eu besoin d’une aide européenne pour recapitaliser leurs banques, et qui souligne que, dans un marché intérieur européen, il faut agir ensemble car il en va de la stabilité de la zone euro.
En tant que place financière de la zone euro, le Luxembourg "améliore la compétitivité de tous les pays de l’UE", affirme par ailleurs Luc Frieden en pointant le fait que la place attire des capitaux asiatiques ou américains qui sont investis dans des entreprises européennes.
S’il explique au journaliste que l’objectif n’est pas à ce jour d’attirer des "hedge-funds", Luc Frieden indique qu’à partir de l’été 2014, il y aura des hedge-funds réglementés que le Luxembourg a l’intention d’attirer, notamment grâce aux compétences que la place a développé dans l’industrie des fonds. Loin d’être inquiet à l’idée que le secteur financier croisse encore, Luc Frieden est cependant conscient que cela va obliger les autorités à bien le surveiller afin qu’il reste aussi stable qu’il l’est actuellement.
Mais au-delà de ces rappels qui font écho aux nombreuses déclarations qui ont été faites dans le sillage de la solution trouvée à la crise chypriote, l’entretien s’inscrit aussi dans le contexte des révélations qui ont été faites à la fin de la semaine par plusieurs grands journaux qui ont unis leurs forces pour mener une enquête sur le fonctionnement des sociétés offshore. S’il rappelle que le Luxembourg n’est pas un paradis fiscal, dans la mesure où le Grand-Duché respecte les règles de l’UE et de l’OCDE en matière de blanchiment d’argent et de fraude fiscale, Luc Frieden reconnaît aussi que "la tendance internationale va vers l’échange automatique d’informations". "Nous n’y sommes plus strictement opposés", affirme Luc Frieden qui annonce vouloir "une coopération renforcée avec les autorités fiscales étrangères".
"C’est un revirement politique", commente le journaliste qui imagine qu’il va faire fuir les clients étrangers venus au Luxembourg pour son secret bancaire. "C’était peut-être vrai il y a quinze ans", explique Luc Frieden qui précise toutefois qu’aujourd’hui, la clientèle de la place luxembourgeoise, qui est avant tout une clientèle d’épargnants, apprécie "les bons conseils, les produits internationaux de gestion de patrimoine et l’environnement politique stable".
Cet entretien n’a pas manqué de susciter réactions et commentaires.
Ainsi, dans un entretien accordé à la Saarbrücker Zeitung, Wolfgang Schäuble a-t-il dit "saluer chaque démarche qui va en direction d’un échange automatique d’informations".
Du côté du gouvernement français, particulièrement secoué ces jours-ci par l’affaire Cahuzac, le ministre des Finances, Pierre Moscovici, a annoncé qu’il voulait proposer "un échange d'informations automatique, un Fatca européen". Il a aussi déclaré que la France et l’Allemagne avaient l’intention de présenter une proposition commune sur le blanchiment d’argent.
Au Luxembourg, les Jeunes libéraux se sont montrés nettement moins enthousiastes, soulignant dans un communiqué que "le secret bancaire est un instrument important pour la protection de la sphère privée et l'intimité et doit être maintenu". Les Jeunes libéraux accusent le gouvernement de coalition d'avoir cédé à la pression internationale et à celle des médias qui assimilent la place financière du Luxembourg à un paradis fiscal comparable aux Iles Caïman. Cette comparaison n'est pas "tolérable" à leurs yeux et "met en cause la cohésion européenne". "Jean-Claude Juncker roule pour la propagande électorale allemande", affirme encore le communiqué des Jeunes libéraux.
Quant à l’Autriche, jusqu'ici alliée du Luxembourg dans le dossier sur la refonte de la directive sur la fiscalité de l’épargne, pour l’instant bloqué par leur double veto au Conseil Ecofin, elle a signalé de pas avoir changé le cap. "La position de l'Autriche reste inchangée", a expliqué à l'AFP Gregor Schütze, porte-parole de la ministre autrichienne des Finances, Maria Fekter.