A désormais moins d’un mois des élections européennes qui se dérouleront le 25 mai 2014 au Luxembourg, le ministère de la Famille et de l’Intégration et le Cefis (Centre d'étude et de formation interculturelles et sociales Asbl) ont présenté le 29 avril 2014 le bilan de l’inscription des non-Luxembourgeois sur les listes électorales en vue de l’échéance européenne.
Pour mémoire, lors des élections européennes, les ressortissants (non-luxembourgeois) d’un Etat membre de l’Union européenne, qui sont domiciliés au Grand-Duché, peuvent soit élire les parlementaires européens de leur pays d’origine (dans ce cas, ils doivent s’adresser aux autorités compétentes de leur pays d’origine ou à leur consulat), soit élire les six eurodéputés du Grand-Duché de Luxembourg. Dans ce dernier cas, ils ont dû s’inscrire dans leur commune de résidence sur les listes électorales au plus tard le 27 février 2014.
Pour ce qui est des conditions d’inscription des résidents luxembourgeois ressortissants d’un autre Etat membre, la condition de résidence a été abolie. Pour rappel, avant la modification de la loi électorale (loi du 20 décembre 2013) les ressortissants communautaires qui voulaient s’inscrire devaient remplir une telle condition de résidence, qui était à l’origine de 5 ans (loi du 28 janvier 1994) avant d’être réduite à 2 années en 2008 (loi du 19 décembre 2008).
"C’est donc la première fois que le Luxembourg n’utilise plus les dispositions dérogatoires et transitoires sur la durée de résidence inscrites dans la directive 93/109/CE du Conseil du 6 décembre 1993 fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement européen pour les citoyens de l’Union résidant dans un Etat membre dont ils ne sont pas ressortissants", précisent les auteurs de l’étude réalisée par le Cefis, les chercheurs Sylvain Besch et Nénad Dubajic.
De même, c’est également la première fois que les chercheurs ont pu calculer le taux d’inscription réel des citoyens de l’Union âgés de 18 ans et plus, alors qu’auparavant, "d’un point de vue administratif, il n’était pas possible de déterminer la durée de résidence des résidents non-luxembourgeois sur le territoire", rappellent-ils.
Enfin, cette élection sera la seule échéance politique au cours des prochaines semaines. Il n’y aura pas, comme dans le passé, d’élections législatives organisées le même jour que les élections européennes. "Ainsi, les débats politiques et l’investissement des partis seront uniquement orientés vers des préoccupations liées à l’UE". De quoi donc rendre ces élections "intéressantes et innovantes à double titre", estiment les auteurs.
En vue des élections européennes de 2014, 21 650 ressortissants de l’UE se sont inscrits sur les listes électorales au Luxembourg. Le taux d’inscription est de 12,2 % par rapport à l’électorat étranger potentiel, à savoir les ressortissants issus de l’UE de plus de 18 ans (il était de 11,5 % en 2009).
Ces 21 650 électeurs communautaires représentent un poids électoral (leur pourcentage dans l’électorat total) de 8,2 % (contre 7,3 % en 2009) tandis que les électeurs luxembourgeois (242 533 personnes) composent donc les 91,2 % restants de l’électorat.
En comparaison avec les scrutins précédents, les résultats montrent que depuis les élections européennes de 1994, la participation des électeurs citoyens d’un autre Etat membre de l’UE n’a cessé de croître régulièrement. En 1994, pour un taux d’inscription de 7,4 %, cet électorat pesait un poids électoral de 3,1 % ; En 1999, ces taux étaient respectivement de 8,8 % et 4,3 % ; En 2004 ils étaient de 8,9 % et de 5,1 % ; Et en 2009 de 11,5 % et 7,3 %.
En termes absolus, par rapport aux élections européennes de 1994 lors desquelles 6 907 étrangers s’étaient inscrits, le nombre d’inscrits en 2014 (21 650) dans une Europe composée désormais de 28 Etats membres contre 12 à l’époque, a progressé de 14 743 personnes supplémentaires, soit une hausse de 213 %.
"Il y a donc une lente évolution, notamment à partir de 2004 avec la mise en place de campagnes de sensibilisation aussi bien pour les élections européennes que pour les élections communales", souligne l’étude.
Par rapport aux élections européennes de 2009 lors desquelles 17 579 personnes étaient inscrites sur les listes électorales, la hausse est de 4 088 inscrits supplémentaires. Or, ce chiffre ne représente pas la véritable progression enregistrée dans les inscriptions, en raison notamment de la loi de 2008 sur la double nationalité.
Les chercheurs ont en effet comptabilisé dans les 106 communes du pays le nombre d’inscriptions du 2 janvier au 27 février 2014, ce qui leur a permis d’en enregistrer 5 257. "Il y a donc une distinction à faire entre une hausse arithmétique qui est une simple soustraction entre deux échéances électorales (ici entre les élections UE 2009 et celles de 2014), et une augmentation que nous pouvons observer [pendant une] période électorale particulièrement active, à savoir les inscriptions des ressortissants de l’UE sur les listes électorales", relèvent les auteurs.
"Finalement cette différence s’explique par le fait qu’entre les élections européennes de 2009 et celles de 2014, nombre d’individus ont pris la nationalité luxembourgeoise, passant du statut d’électeurs communautaires (que nous comptabilisons ici) à celui d’électeurs luxembourgeois (inscrits d’office sur les listes électorales en raison de l’obligation de vote)", poursuivent-ils.
Pour mémoire, la loi du 23 octobre 2008 sur la nationalité luxembourgeoise, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, permet aux résidants étrangers d’acquérir la nationalité luxembourgeoise sans renoncer à leur nationalité d’origine. Cette loi a eu un impact important sur le nombre de naturalisation qui a explosé aux cours des années suivantes.
C’est ainsi que bon nombre d’électeurs initialement inscrits sur les listes électorales européennes comme citoyens de l’Union ont été transférés sur la liste des électeurs luxembourgeois. Ainsi entre 2009 et 2013, 20 833 personnes ont acquis la nationalité luxembourgeoise, toutes nationalités confondues, pour une moyenne de 4 100 naturalisations chaque année.
Concernant le détail des inscriptions selon les principales nationalités, les Portugais arrivent en tête avec 7 812 inscrits, suivis des Français (3 565), des Italiens (3 124), des Belges (2 309) et des Allemands (2 048), des Britanniques (595), des Néerlandais (594) et des Espagnols (380).
L’analyse des taux d’inscription par nationalité montre néanmoins une autre réalité. Ainsi lorsque l’on se penche sur le pourcentage d’inscrits par nationalité par rapport au nombre total de résidents de cette nationalité de 18 ans et plus installés au Luxembourg, ce sont les Italiens qui arrivent en tête avec 18,4 % d’inscrits, suivis des Allemands (18,3 %), des Néerlandais (17 %), des Belges (15 %), des Français et des Britanniques (12 % chacun) et des Portugais (11 %).
"Les Portugais arrivent en tête avec 7 812 inscrits, mais le taux d’inscription montre un potentiel très important pour ces ressortissants puisqu’il n’est que de 10,9 %", soulignent les auteurs, qui relèvent également que "les Français ont fait un bond avec une progression de 57 % entre 2009 et 2014, mais ils ont un taux d’inscription qui se situe légèrement en dessous de la moyenne nationale (12,2 %)"
L’étude rappelle par ailleurs que l’inscription des Français "a toujours été très faible, idem pour les Belges et les Allemands ; nous en avions alors conclu que les ressortissants des pays frontaliers avec le Luxembourg préféraient certainement voter dans leurs pays d’origine. Mais aujourd’hui on constate que leurs taux ont tous augmenté, les Allemands affichent même un taux d’inscription de 18,3 %, se situant au même niveau que les Italiens".
Le score des Italiens est d’ailleurs considéré "exemplaire à plus d’un titre". "Avec un taux d’inscription de 18,4 % (19,9 % en 2009), ils réalisent le meilleur score, ce qui est courant, car nous avons déjà souligné l’importance que ces ressortissants accordent à la participation politique". La baisse du nombre d’inscrits de 7 % par rapport aux élections européennes de 2009 est "certainement due aux naturalisations ou aux retours dans le pays d’origine", analysent-ils.
En ce qui concerne les communautés de plus petites tailles récemment installées au Luxembourg, le nombre de leurs ressortissants est jugé trop faible pour pouvoir en tirer des conclusions. Par exemple, les Polonais, ancienne immigration vers le Luxembourg, sont passés de 63 inscrits à 136 soit une hausse de 116 %, les Tchèques de 17 à 59 (+247 %), les Roumains de 22 à 103 (+368 %) ou encore les Bulgares de 8 à 58 (+625 %). "Ces chiffres sont de bon augure en termes d’intégration, et doivent encourager les actions de sensibilisation telles qu’elles ont été menées auparavant", appuient les auteurs.
Parmi les communautés de taille plus grande, les progressions les plus importantes sont enregistrées chez les Espagnols (+67 %), les Français (+57 %), les Danois (+59 %), les Irlandais (+47 %) et les Britanniques (+27 %).
Sur les 106 communes du Grand-Duché, 57 ont un taux d’inscription supérieur à la moyenne qui est de 12,2 %. Parmi les communes dont les taux sont les plus élevés on trouve Mondorf-les-Bains (28,6 %), Rosport (26 %) et Wincrange (23,1%). "Il s’agit de communes de taille moyenne qui se situent dans les zones frontalières et dont la population est surtout composée de résidents français, belges et allemands", expliquent les auteurs.
Les inscriptions dans les principales villes montrent des augmentations importantes: la ville de Luxembourg passe de 2 776 à 4 624 inscriptions, enregistrant ainsi la progression la plus importante au niveau du pays avec une hausse de 67 % pour un taux d’inscription qui reste pourtant relativement faible (8,8 %), ou encore Strassen, dont le nombre d’inscrits communautaires croît de 52 % (14,8 % de taux d’inscription). Esch-sur-Alzette, la seconde ville du pays, a pour sa part connu une hausse de 23 % avec un taux d’inscrits de 11,3 %.
"La Ville de Luxembourg a un taux d’inscription de 8,8 %, mais le poids électoral [des électeurs communautaires] est de 14,4 %, ceci à cause de sa démographie particulière puisque les ressortissants de nationalité étrangère y sont plus nombreux que les Luxembourgeois", précisent-ils.
Certaines communes ont plutôt tendance à se stabiliser. Ainsi Kayl ou Ettelbruck baissent légèrement de 1 % quand Dudelange progresse pour sa part de 1 % mais possède toujours le taux d’inscription le plus élevé avec 18,2 %.
Concernant l’âge des personnes inscrites, seuls 9 % des inscrits ont moins de 35 ans, 20 % se trouvent dans une fourchette de 35 à 44 ans, 28 % entre 45 et 54 ans et 43 % ont plus de 55 ans. L’âge moyen des inscrits est de 53 ans alors que l’âge moyen de la population dans son ensemble est de 38,7 ans (chiffre du recensement de la population 2011).
Pour expliquer ces différences, les auteurs rappellent avoir "déjà observé que l’âge est un facteur discriminant en politique. Quel que soit le type d’élection, on observe systématiquement une sous-représentation des catégories les plus jeunes".
"Il y a un lien entre l’âge et la politique : les jeunes gens de moins de 25 ans sont encore scolarisés ou se situent au début de la vie active, la tranche d’âge suivante est celle de la construction de la vie familiale et professionnelle, et les tranches d’âge allant de 45 ans à 64 ans seraient donc celles de la maturité politique", poursuivent-ils.
Pour ce qui est de la question du genre, la répartition des inscrits "est équilibrée": les femmes de nationalité étrangère s’inscrivent autant que les hommes sur les listes électorales (50 %), de légères différences étant observables lorsque l’on considère les nationalités. Ainsi les Allemandes, les Françaises et les Belges dépassent-elles les hommes, alors que les Italiennes et les Portugaises se situent légèrement en-deçà de la moyenne.
"Ceci est particulièrement intéressant, car la représentation des femmes comme candidates et élues est toujours faible, quel que soit le type d’élection", relève Nénad Dubajic, qui souligne qu’elles étaient 23 % de femmes élues aux législatives de 2013 et 21 % de femmes élues aux communales de 2011. "Le vote actif pourrait être une première étape vers le vote passif (la candidature) où le décalage entre hommes et femmes est important, mais cela est de la responsabilité des partis politiques".
L’étude a pu montrer que le taux de participation aux élections augmente avec la durée de résidence dans une commune. Ainsi plus la durée de résidence dans une commune est longue (plus de 10 ans), plus il est probable que les résidents s’inscrivent sur les listes électorales.
Plus de la moitié (59 %) des inscrits résident dans leurs communes depuis plus de 10 ans, 20 % entre 5 et 10 ans et 21 % moins de 5 ans. Ainsi, la durée de résidence dans la commune influence positivement le taux d’inscription sur les listes d’électeurs des étrangers. Le taux d’étrangers présents sur le territoire de la commune depuis plus de 10 ans est fortement corrélé avec le taux d’inscription sur les listes électorales.
"Si cela est également vrai pour le taux de présence de 5 ans à 10 ans, il ne faut pas négliger les nouveaux résidents des différentes communes au niveau des actions de sensibilisation. Raison pour laquelle nous préconisons de diffuser l’information par le biais des agents communaux, eux-mêmes formés, lors des différentes démarches administratives", ajoutent les auteurs.
Même si le taux d’inscription a connu une augmentation constante depuis 1994, le ministre de la Famille et de l’Intégration, Corinne Cahen, a reconnu que celui-ci restait relativement "faible" par rapport au potentiel d’électeurs communautaires et a donc insisté en conséquence sur le fait qu’il reste important d’informer et de sensibiliser davantage les non-Luxembourgeois.
"Nous sommes encore loin des chiffres relatifs aux élections communales (pour rappel, aux élections communales de 2011, le taux d’inscription était de 17 % et le poids de l’électorat de 12 %), et nous en sommes encore plus loin par rapport à l’électorat étranger réel qui pourrait être mobilisé", lit-on dans le rapport.
Les chiffres actuels peuvent en partie s’expliquer:
"Lors des dernières élections européennes, environ 50 % des résidents français, comme des résidents italiens, ont voté pour élire les eurodéputés de leur pays d’origine", a-t-elle précisé.
Les auteurs du rapport suggèrent d’ailleurs à ce sujet que l’inscription sur les listes électorales européennes "devrait également être évaluée par rapport au vote au pays d’origine. En effet le citoyen européen résidant dans un autre Etat membre de l’UE est confronté à une situation de choix : voter pour les candidats du pays de résidence ou du pays d’origine. Il serait donc utile et intéressant de situer les résultats sur les taux d’inscription par rapport au taux de participation global des migrants aux futures élections européennes".
La ministre a encore insisté sur l’importance de développer le débat public sur les enjeux européens et de prévoir pour les prochaines élections une campagne électorale en plusieurs langues et qui commence avant la clôture des inscriptions.
"Il apparaît que les inscriptions sur les listes électorales dépendent d’une certaine volonté politique, à la fois locale et nationale», appuient encore les auteurs. Il s’agit dès lors selon eux "de favoriser les démarches ciblées et de développer une campagne de sensibilisation adéquate à long terme. Ensuite, il faut mobiliser tous les supports, notamment Internet, et tous les acteurs : associations, commissions communales, communes et agents communaux, ministères et les administrations".
Rappelant que l’inscription est possible toute l’année, la ministre a invité les non-Luxembourgeois non encore inscrits de le faire pour les élections communales de 2017 et/ou les élections européennes de 2019 (les personnes intéressées trouveront les conditions sur www.jepeuxvoter.lu). Et de conclure que "la participation à la vie politique au Luxembourg constitue un facteur d’intégration extrêmement important".