Le 16 mai 2014, la Banque centrale du Luxembourg (BCL) a publié son rapport annuel 2013, un rapport qui est assorti, comme de coutume, d’un"mot du président", en l’occurrence Gaston Reinesch, qui comporte un certain nombre de messages au gouvernement et aux autres acteurs de la vie politique, économique et sociale du Luxembourg.
Gaston Reinesch évoque dans le volet européen de son préface la"timide" reprise de la croissance économique à partir du deuxième trimestre 2013, le recul de l’inflation et le recul aussi de la fragmentation financière au sein de l’Eurosystème dû à la transmission de sa politique monétaire. C’est ce qui a permis la double baisse du taux sur les opérations principales de refinancement"jusqu’au niveau historiquement bas de 0,25 % et la prolongation de la procédure d’allocation pleine à taux fixe pour les opérations principales de refinancement jusqu’à la mi-2015 au moins. Ces taux resteront par ailleurs à leurs niveaux ou à des niveaux plus bas sur une période prolongée. Cette décision a été prise par la Banque centrale européenne (BCE) pour"renforcer le message quant à la persistance du caractère accommodant de la politique monétaire de la zone euro", ceci permettant par ricochet de"mieux ancrer les anticipations des marchés à cet égard"
Gaston Reinesch met aussi en avant les"grandes avancées en termes de surveillance bancaire et de gouvernance économique" en 2013, citant notamment le Mécanisme de surveillance unique, qui placera la surveillance des établissements de crédit de la zone euro et des autres pays de l’Union européenne qui le désirent sous l’égide de la BCE et qui entrera en vigueur le 4 novembre 2014.
Le président de la BCL évoque aussi les stress-tests des 128 banques "considérées comme étant les plus importantes d’un point de vue systémique", dont six banques au Luxembourg."Cet exercice vise à accroître la transparence des bilans bancaires, à assainir les banques qui s’avéreraient être sous-capitalisées et, ainsi, à renforcer la confiance dans le système bancaire", écrit Gaston Reinesch.
Gaston Reinesch évoque dans un premier temps les chiffres macro-économiques : une croissance du PIB en 2013 de 2,1 % contre 0,2 % en 2012 et"alors que la croissance économique au sein de la zone euro a continué à se contracter en 2013", une croissance de l’emploi de 2 %, malgré un taux de chômage qui a grimpé à 7 %, un taux d’inflation (IPCN) de 1,7 % en 2013 plus bas que le taux annuel moyen de 2,7 % de 2012, et un taux d’inflation (IPCH) de 1,7 % en 2013 contre 2,9 % en 2012, ce taux ayant atteint une moyenne de 1,4 % dans la zone euro.
Il scrute ensuite les finances publiques. Il fait état du"très léger excédent en 2013" des Administrations publiques, mais souligne que"le surplus important, de l’ordre de 1,5 % du PIB, dégagé par la sécurité sociale a continué à masquer le déficit élevé de l’Administration centrale (ce dernier ayant atteint 1.6 % du PIB en 2013)." Partant de là, il estime que"des efforts de consolidation budgétaire sont donc nécessaires, surtout à l’aune de la perte de recettes fiscales liées au commerce électronique à partir de 2015 et de la dégradation escomptée des comptes des systèmes de pension sur le moyen terme." Et de continuer :"En outre, au vu de la baisse de la croissance potentielle de l’économie luxembourgeoise et du fort accroissement des coûts salariaux unitaires au cours de la dernière décennie, la mise en place de réformes visant à améliorer la compétitivité de l’économie luxembourgeoise est nécessaire." Mais il précise ensuite :"De telles réformes doivent se faire dans le respect de l’équité et de la solidarité."
Gaston Reinesch évoque ensuite les raisons qui ont conduit la BCE à refuser la proposition du gouvernement de confier à la BCL la fonction d’organisme de surveillance budgétaire dans le cadre de la mise en œuvre au Luxembourg du"Pacte budgétaire", qui devait être transposé en droit national au 1er janvier 2014, ce qui n’est néanmoins pas encore le cas. La BCE avait estimé dans un avis sur le projet de loi 6597sur la coordination et la gouvernance des finances publiques que"confier une telle mission à une banque centrale nationale pourrait porter atteinte à l’indépendance de cette dernière". Le gouvernement va donc mettre en place un organisme séparé.
Gaston Reinesch lance dans ce contexte un message clair au gouvernement. Il constate que"la recommandation de la BCE de donner un accès inconditionnel, en temps utile et automatique à l’ensemble des statistiques de finances publiques à la BCL, afin de permettre à cette dernière d’assurer le suivi de la politique budgétaire à des fins de politique monétaire, n’a pas encore été mise en œuvre par le Gouvernement." Une façon feutrée d’insister sur l’accès à ces données.
Il décrit ensuite"la mise en place d’un cadre relatif à une autorité institutionnellement en charge de la surveillance macro-prudentielle" qui est en cours à travers la création d’un"Comité du risque systémique". Mais il signale également que cela aurait déjà dû être fait dès juillet 2013, comme l’a souhaité le Comité européen du risque systémique (CERS) de l’UE dans ses recommandations. Ce comité"serait composé du membre du Gouvernement ayant dans ses attributions la place financière (Président), du Directeur général de la BCL, du Directeur général de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) et du Directeur du Commissariat aux assurances", écrit Gaston Reinesch, qui précise :"En l’absence du Ministre ayant dans ses attributions la place financière, le Directeur général de la BCL présiderait le Comité" et"le secrétariat serait assuré par la BCL, sous l’autorité de son Directeur général".
Le président de la BCL dresse ensuite l’inventaire des nouvelles tâches de la BCL : une coopération renforcée avec la CSSF après la mise en place du Mécanisme de surveillance unique. La BCE sera en charge de la supervision directe des établissements de crédit les plus importants, et pour les autres établissements de crédit, ce seront au Luxembourg la CSSF et la BCL, cette dernière étant en charge de la surveillance de la liquidité.
Et c’est là qu’il y a un problème. Gaston Reinesch écrit :"La mise en place du Mécanisme de surveillance unique engendrera de nouvelles fonctions pour la BCL, ce qui soulève la problématique de l’adéquation entre les moyens à disposition et les tâches à assumer." Cela d’autant plus que"la BCL, contrairement à la CSSF, ne bénéficie pas d’une contribution obligatoire des banques destinée à couvrir les coûts en la matière." Par ailleurs, avec la crise,"les missions existantes de la BCL se sont intensifiées et sont devenues plus complexes" et"de nouvelles missions sont venues ou vont encore s’y ajouter."
Gaston Reinesch lance ici un double cri d’alarme, concernant les ressources humaines et la base capitalistique de la BCL.
Il écrit d’abord :"Les ressources humaines de la Banque sont quantitativement trop limitées pour pouvoir assurer pleinement et efficacement l’ensemble de ces missions qui nécessitent également des investissements conséquents."
Il continue et conclut ainsi son mot du président:"Cette problématique s’inscrit dans le contexte plus général de la base capitalistique largement insuffisante de la Banque compte tenu de la dimension de son bilan, du volume et de la valeur de ses opérations et des frais liés aux ressources humaines et aux moyens technologiques requis. Un renforcement significatif du capital de la Banque est absolument indispensable pour qu’elle puisse s’acquitter, en toute indépendance, y compris financière, de ses missions actuelles et futures. Telle est également la conclusion du réviseur externe de la Banque qui a observé que la situation des fonds propres, extrêmement faible par rapport au volume global des opérations, constitue une grande vulnérabilité pour la Banque."