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Parlement européen
Midi de l’Europe – Comment le Parlement européen a étendu ses pouvoirs
21-05-2014


midi-europe-frederic-allemand-140521Frédéric Allemand, chercheur au Centre Virtuel des Connaissances Européennes (CVCE), a expliqué lors d’une conférence le 21 mai 2014, dans les cadres des Midis de l’Europe comment le Parlement européen (PE) a, au cours des dernières décennies,  constamment étendu ses pouvoirs pour ne plus rester "sur le strapontin". Au stade actuel, le PE est la "voie et la voix principale par lesquelles les citoyens peuvent espérer voir leurs projets politiques exprimés, défendus et transformés en orientations politiques", estime le maître de conférences à Sciences Po, HEC et l’ENA. Pour lui, le PE est le Parlement "des Européens", car elle est la "seule institution qui représente directement les citoyens", d’autant plus qu’elle "n’est pas le porte-voix d’une nationalité, mais l’espace du débat entre les courants politiques"

Il rappelle qu’il y a d’autres canaux pour les Européens de s’exprimer, comme l’initiative citoyenne européenne. Mais, souligne-t-il, le PE est la "seule institution dotée d’un pouvoir législatif qui s’étend à l’ensemble des champs politiques de l’UE", sauf "quelques exceptions dans certains domaines". 

La question budgétaire va justifier l’augmentation des pouvoirs

Depuis le traité de Lisbonne, qui entre en vigueur fin 2009, le PE dispose d’un pouvoir budgétaire important, souligne Allemand, évoquant notamment le droit de véto qu’il peut exercer sur le budget. Il s’agit d’un "pouvoir incontournable au bon fonctionnement de l’UE», estime Allemand, rappelant les combats que le PE a eus avec le Conseil au début des années 80. "La question budgétaire a toujours été l’élément qui va justifier l’augmentation des pouvoirs du Parlement européen", insiste-t-il.

Selon lui, le pouvoir budgétaire "fonde historiquement le régime parlementaire". Il se réfère ainsi à la Magna Carta de 1215 avec laquelle les barons et les villes tentaient de limiter les pouvoirs et exigences financières du roi britannique. Il cite par ailleurs l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel "les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée".

La déclaration Schuman ne prévoit pas de parlement

Il revient ensuite sur la naissance de l’idée d’une représentation des citoyens, lors de la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), rappelant qu’un parlement européen n’était pas prévu dans la déclaration de Robert Schuman de 1950 qui fondait la CECA, mais seulement une "Haute Autorité". C’est notamment les petits pays (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) qui craignaient "que les grands puissent être surreprésentés au sein de la Haute Autorité et soient les seuls à pouvoir exercer une orientation sur le devenir" de la CECA, et tout le monde que les pouvoirs de la Haute Autorité puissent être trop importants quant à la "reconfiguration des secteurs industriels dans le charbon et l’acier" pour ne pas y associer une "représentation des électeurs».

C’est suite au besoin de rassembler la défense européenne que naît, deux ans plus tard seulement, l’idée d’un traité établissant une communauté politique européenne, qui prévoit la création d’un parlement bicaméral, poursuit Frédéric Allemand. "Ce parlement aurait été un vrai parlement car il aurait eu le droit de voter toutes les lois et un budget avec des membres élus au suffrage universel direct», explique-t-il. Un projet qui finit "au cimetière des bonnes idées", selon Frédéric Allemand, après un vote négatif de la France.  

Il rappelle ensuite que les traités de 1957, à savoir le traité de Rome et de l’Euratom, prévoient la création de la Commission (qui remplace la Haute Autorité), d’un Conseil des ministres ainsi que d’un organe "qui représente les citoyens, mais qui "n’a pas de pouvoirs très étendus". "On est dans une période délicate. Après l’échec de communauté politique européenne, on n’est pas favorable à confier énormément de pouvoir à ce parlement européen", qui se limite à un pouvoir de consultation, explique Frédéric Allemand.

Le Parlement va se battre pour accroître ses pouvoirs législatifs

C’est dans les années 60 que le financement de la politique agricole commune (PAC) devient de plus en plus important. L’essentiel des ressources provient des Etats-membres, donc des contribuables,. "La crainte était qu’il y ait un transfert de ressources du niveau national au niveau européen et que les citoyens ne puissent plus contrôler les dépenses", expose Frédéric Allemand, citant la Commission qui constate en 1965 : "Un tel accroissement [des prérogatives budgétaires du parlement européen] paraît en effet indispensable pour assurer au niveau européen un contrôle parlementaire suffisant sur les sommes importantes provenant de ressources propres dont l’utilisation va échapper dorénavant au contrôle des parlements nationaux". Une proposition qui va déclencher la crise de la chaise vide quand le gouvernement français du général Gaulle boude les Conseils des ministres pendant sept mois.

Suite à la création d’une union douanière en 1968 qui contribue encore à accroître les recettes de la communauté, c’est en 1970 qu’une révision des traités "associe plus étroitement le Parlement à la question budgétaire", explique l’expert. Mais, le fait que les députés européens soient désignés par les parlements nationaux, est "contradictoire avec les exigences démocratiques". Le suffrage universel direct, considéré comme une "libération" par Frédéric Allemand, sera décidé en 1976 et s’applique pour la première fois en 1979, il y a donc 35 ans.

Mais l’histoire n’en finit pas là. "Est-ce que c’est normal qu’on ait une assemblée parlementaire, élue au suffrage universel direct, qui soit juste consultée sur les matières législatives. Evidemment non. Il fallait progresser sur ce terrain-là", constate Frédéric Allemand, ajoutant que le "Parlement va se battre" pour une autre révision des traités, afin de ne pas rester "sur le strapontin" et d’avoir une "plénitude de pouvoirs législatifs comme peuvent l’avoir les parlements nationaux pour qu’il devienne un véritable corps législatif». C’est finalement le traité de Lisbonne, un "traité des parlements" pour Frédéric Allemand, qui "reconnaît le Parlement européen comme co-législateur avec le Conseil des ministres".