Dans un rapport intitulé "Dirty Deals" (Accords sales) publié le 17 juillet 2014, l’ONG Friends of the Earth Europe accuse les Etats-Unis et le Canada d’affaiblir la politique climatique européenne tant par des actions de lobbying que par le biais des négociations commerciales en cours, à savoir le TTIP et le CETA. Le rapport a été réalisé par plusieurs ONG, dont Greenpeace, le Conseil des Canadiens et Transport&Environnement, une ONG qui est membre du groupe d’experts assistant la Commission européenne dans les négociations sur le TTIP.
"Poussés par l'industrie du pétrole, le Canada et les États-Unis ont réussi à retarder et à potentiellement affaiblir la législation de l'UE visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) des carburants dans le secteur des transports", écrit l’ONG dans un communiqué. L’ONG accuse le gouvernement américain d’avoir cherché à "affaiblir la politique de l'UE en faveur de carburants plus propres, qui limiterait les importations de sables bitumineux et d'autres combustibles polluants en Europe". A savoir que les principales réserves de sables bitumineux, qui représentent une importante source de pétrole brut, se trouvent au Canada et au Venezuela.
Les accusations de lobbying portent notamment sur une proposition de mise en œuvre de la directive sur la qualité des carburants (FQD en anglais) que la Commission européenne a soumise aux Etats membres en octobre 2011. Dans ce texte qui porte sur l’article 7 de cette directive, la Commission propose d’attribuer à chaque source de combustibles une "intensité carbone", à savoir une valeur d’intensité en gaz à effet de serre spécifique qui inclurait des valeurs par défaut pour les différentes sources de pétrole. La Commission précise que les sables bitumineux, classés parmi les pétroles non conventionnels, ont "des émissions de gaz à effet de serre plus élevées que du pétrole brut conventionnel".
Pour rappel, entre temps, la Commission a aussi proposé d’amender la directive sur la qualité des carburants en tenant compte des changements indirects dans l'affectation des sols (CIAS). Un dossier sur lequel le Conseil TTE est arrivé à un accord politique le 13 juin dernier. La directive sur la qualité des carburants oblige les fournisseurs de carburants à réduire de 6 % d’ici 2020 (par rapport à 2012) l’intensité des émissions de gaz à effet de serre des carburants destines aux transports durant leur cycle de vie, selon l’article 7 sur la réduction des effets à gaz de serre.
L’ONG a rédigé une synthèse avec Greenpeace et Transport&Environnement. Elle y cite une étude commandée par la Commission selon laquelle les sables bitumineux émettraient 23 % de gaz à effet de serre de plus que le pétrole conventionnel, Le rapport met en avant que les sept plus grandes sociétés pétrolières telles que Shell, BP, Total ou Chevron ont toutes des participations dans les réserves de sable bitumineux au Canada et qu’ils ont utilisé des groupes de lobby, parmi lesquels la Chambre de commerce américaine, afin d’affaiblir directive sur la qualité des carburants.
Le Canada a d’ailleurs critiqué la directive sur la qualité des carburants qui a été qualifiée de "non scientifique, discriminatoire et opaque" par le ministre des ressources naturelles, Joe Oliver, cité par le Guardian le 19 novembre 2013. Il a dénoncé une "stigmatisation" de son pays si les sables bitumineux sont qualifiés par l’UE de "très polluants".
Ces soupçons ont également alarmé onze membres du Congrès américain qui ont adressé le 9 juillet 2014 une lettre au représentant américain au Commerce, Marc Froman. Les membres du Congrès y disent craindre que les pourparlers commerciaux menés dans le cadre du TTIP pourraient saper les efforts de l’Union européenne visant à réduire la pollution par le carbone et demandent une enquête. Ils y défendent la proposition de la Commission, en jugeant que "ne pas différencier entre les différentes sources de pétrole brut reviendrait à les mettre toutes dans le même sac, indépendamment de leur intensité en gaz à effet de serre". Enfin, les membres du Congrès rappellent qu’exercer une pression sur l’UE visant à modifier la directive serait incompatible avec les objectifs du plan d’action pour le climat du président américain Barack Obama.
"La pression du Canada a pris la forme d'un lobbying intense et alarmiste sur les dommages présumés causés par la directive 'qualité des carburants' de l'UE", s’alarme l’ONG dans le communiqué. "Les attaques soutenues des États-Unis et du Canada contre la législation climatique européenne semblent être payantes. Le TTIP est utilisé comme un cheval de Troie pour exporter des sables bitumineux vers l'Europe. Les nouvelles règles sur les carburants propres pourraient bien être la première politique de l'UE démontée par le TTIP, avant même qu'il soit convenu", dit Fabian Flues, le principal auteur du rapport de l'ONG Friends of the Earth. "Le pétrole extrait des sables bitumineux est un des carburants les plus polluants de la planète", estime Ilana Solomon de l’ONG Sierra Club dans le communiqué. "Les États-Unis utilisent le TTIP pour sauvegarder l'industrie pétrolière au détriment des familles et des communautés affectées par les perturbations climatiques", critique-t-elle.