A quelques jours à peine de la session plénière de rentrée du Parlement européen, les six eurodéputés luxembourgeois se sont réunis à Luxembourg le 12 septembre 2014 pour présenter à la presse leurs priorités pour la législature qui débute.
L’actualité politique a bien entendu pris une place importante dans leurs déclarations et échanges, la Commission Juncker qui vient d’être présentée suscitant naturellement des commentaires d’eurodéputés qui se satisfont globalement du fait qu’elle plus politique, même si un certain nombre de questions mériteront d’être éclaircies lors des auditions des commissaires par le Parlement européen. Autres sujets incontournables de cette rentrée, le débat sur le TTIP, ou encore les velléités indépendantistes de l’Ecosse ou de la Catalogne.
Le député européen Georges Bach (CSV, PPE) juge intéressante la nouvelle Commission formée par Jean-Claude Juncker, soulignant une approche "relativement politique" et moins "technocratique" que par le passé. Il se félicite par ailleurs de l’expérience politique dont font preuve ses membres, pour la plupart anciens ministres, députés européens ou commissaires.
Sur la question de l’organisation de la prochaine Commission et la création de postes de "vice-présidents", le député européen estime qu’il "faudra attendre de voir comment cela fonctionne à l’avenir" mais qu’un certain nombre de questions sont néanmoins déjà soulevées par ce changement. Georges Bach ne comprend notamment pas que le ressort du dialogue social ne soit pas lié à celui de l’emploi, tandis que le rapprochement effectué entre les portefeuilles de la protection des consommateurs et de la justice lui semble plus logique.
Georges Bach est également revenu sur le fonctionnement du Parlement européen suite aux élections du 25 mai 2014 qui ont modifié la donne au sein de l’assemblée européenne. Selon le député européen, il ne s’agira plus d’une politique voyant s’opposer la gauche et la droite comme lors des dernières années, mais qui opposera plutôt les pro-européens à ceux qui, à des degrés divers, sont moins favorables au développement de l’UE. La question sera donc de savoir de quelle manière ces derniers agiront au Parlement et quelles politiques ils mèneront, mais cela poussera les pro-européens à "expliquer davantage et encore mieux leurs politiques" et à "proposer des alternatives aux citoyens".
Selon l’eurodéputé PPE, l’amélioration de la situation économique doit être une priorité des prochains mois et les initiatives européennes devront en conséquence se concentrer sur les défis que sont la croissance et l’emploi, Georges Bach disant son intention de "s’engager sur ces dossiers".
Pour ce qui est du thème du transport qui intéresse particulièrement l’eurodéputé, Georges Bach juge que la priorité résidera dans les investissements, notamment afin de rendre les différents moyens de transport compétitif, en particulier le rail mais pas uniquement. Enfin au sujet de l’emploi, Georges Bach estime qu’étant lié à la situation économique, il devrait être intégré dans le processus du Semestre européen. "Le volet social doit y avoir toute sa place", a-t-il déclaré.
Frank Engel (CSV, PPE), qui partage l’approche de Georges Bach, veut néanmoins voir si le fonctionnement de la Commission envisagé par son nouveau président fonctionnera. Ce qu’il n’a par contre pas apprécié, c’est le temps qu’il aura fallu pour constituer et faire entrer en fonctions une Commission qui pour lui est sortie des élections européennes du 25 mai, mais qui ne sera en place qu’en novembre 2014.
"On ne va quand même pas laisser les Etats membres faire ce qu’ils veulent", s’est-il écrié, citant à titre d’exemple le fait que les Etats n’ont spontanément désigné que 3 femmes comme commissaires, ce qui a obligé Jean-Claude Juncker à les rappeler à l’ordre jusqu’à ce qu’il dispose au moins de neuf membres féminins de la Commission. Sa propre proposition au poste de président de la Commission par le Conseil européen plus d’un mois après les élections a elle aussi duré trop longtemps. Tout cela a conduit selon lui à un temps de stagnation et de bricolage dans l’UE.
Finalement, Frank Engel s’est montré très satisfait du fait que le premier vice-président de la Commission, en la personne de Frans Timmermans, soit aussi en charge de l'Etat de droit et de la Charte des droits fondamentaux et de veiller à ce que toute proposition de la Commission respecte les principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Pour sa part, la députée européenne Mady Delvaux (LSAP, S&D), a souligné l’agitation qui régnait au Parlement européen – dont elle n’est membre que depuis deux mois –, rappelant qu’elle avait entendu à de multiples reprises ces dernières années qu’au sein de la Commission Barroso, les portefeuilles étaient mal répartis et que les commissaires ne travaillaient pas assez ensemble.
Mais pour Mady Delvaux, qui se dit "optimiste", il s’agit là d’un "nouveau départ" et elle espère donc "que la chimie prendra" et que cette nouvelle organisation sera fonctionnelle. Car, dit-elle, "les attentes envers la Commission sont énormes de la part de tous les partis et des citoyens". Ainsi en est-il de la croissance et des créations d’emploi qui nécessiteront des investissements, et si la députée européenne juge "les annonces positives", encore faudra-t-il qu’elles soient traduites dans les faits. "Je souhaite à la Commission qu’elle puisse répondre aux attentes".
Mady Delvaux se réjouit par ailleurs des auditions à venir des commissaires, réservant son opinion sur les nouveaux membres de la Commission en attendant leurs déclarations devant le Parlement européen. Les engagements pris devant les députés européens seront "de véritables engagements" et le Parlement européen sera attentif à ce qu’ils les respectent, prévient-elle.
Vice-président de la commission juridique du Parlement européen, l’une des priorités de Mady Delvaux sera la simplification des documents publics pour laquelle un règlement est en préparation. "Mon souci est de rapprocher l’Europe des citoyens, de leur simplifier la vie ainsi que la transparence", conclut-elle.
L’absence de croissance, la déflation et la sécurité de l’Europe avec la crise en Ukraine et selon lui bientôt en Moldavie sont pour l’eurodéputé libéral Charles Goerens (DP, ADLE) les grands axes sur lesquels l’UE doit s’affirmer et établir sa crédibilité. L’UE pâtit selon lui du "poids écrasant du Conseil européen" et seule la Banque centrale européenne (BCE) s’est "vraiment émancipée" comme institution. Il souhaite "bonne chance" à la "révolution de Jean-Claude Juncker" qui a présenté un programme ambitieux, notamment avec ses 300 milliards d’investissements pour relancer l’économie, et ce de concert avec la BEI. Mais, met-il en garde, "cela ressemble fortement à une one-shot-action". Il appelle la nouvelle Commission à organiser la solidarité en Europe tout en revendiquant une réponse institutionnelle aux insuffisances de l’actuelle UE. Il faudra remettre les traités européens sur le métier, estime-t-il, pour que l’UE devienne plus démocratique et fonctionne mieux.
Viviane Reding (CSV,PPE), qui siège au sein de la commission du Commerce extérieur, a indiqué comme priorité de son mandat les accords que l’UE est en train de négocier avec les USA, l’Inde ou la Chine. Sa préoccupation est de veiller à contrer d’éventuelles mesures anti-dumping de façon à s’assurer que les entreprises européennes puissent bien vendre leurs produits sur ces marchés.
Autre priorité de l’eurodéputée, mettre sur pied une politique industrielle qui tienne la route.
Viviane Reding a par ailleurs assuré qu’elle continuerait à défendre ses positions dans les discussions sur une réforme institutionnelle qu’elle juge nécessaire.
L’eurodéputée part aussi du constat que l’UE a pris du retard ces dernières années en matière d’économie numérique, et elle a assuré qu’elle souhaitait s’engager sur ce dossier qu’elle connaît bien du fait de ses anciennes fonctions à la Commission européenne.
En ce qui concerne la Commission proposée par Jean-Claude Juncker, Viviane Reding a salué le fait qu’elle soit clairement "plus politique". Comme Frank Engel, elle se félicite du fait que Frans Timmermans, nommé premier vice-président, soit en charge de la mise en œuvre de la Charte des Droits fondamentaux sur la base de ce qu’elle a pu initier à cette fonction lors de son dernier mandat à la Commission. "Nous allons veiller à ce que la Commission soit accompagnée par le Parlement européen", a assuré pour conclure l’ancienne commissaire revenue sur les bancs du Parlement européen après trois mandats de commissaire.
Claude Turmes (Verts / ALE) a de son côté évoqué trois grandes priorités pour les prochains mois.
Au vu de la situation en Ukraine notamment, l’eurodéputé écologiste a plaidé pour une politique extérieure courageuse. Claude Turmes a souligné l’impact possible des sanctions européennes à partir du moment où elles vont toucher le secteur énergétique, dont il n’a pas manqué de souligner que le gouvernement russe est plus dépendant financièrement que le Luxembourg de sa place financière.
Autre grand thème qui préoccupe l’eurodéputé, l’accord de libre-échange entre l’UE et le Canada, le CETA, ainsi que le TTIP en cours de négociations avec les USA. Ce "cadeau empoisonné de José Manuel Barroso" pose plusieurs problèmes aux yeux de Claude Turmes. Les parlements nationaux ne vont rien avoir à dire sur le CETA déplore-t-il en premier lieu. D’autre part cet accord avec le Canada prévoit une protection des investisseurs relevant du RDIE à laquelle pourra recourir à n’importe quelle entreprise ayant une adresse au Canada. Enfin, l’initiative citoyenne européenne (ICE) déposée par les opposants au TTIP vient d’être rejetée par la Commission, ce qui est pour Claude Turmes la preuve que la Commission n’a pas envie de débattre de ce sujet.
Enfin, Claude Turmes a réitéré l’appel qu’il lance depuis plusieurs années maintenant, à savoir qu’un programme d’investissements est nécessaire. Et de ce point de vue, l’eurodéputé n’a pu que saluer le fait que Jean-Claude Juncker en ait fait une priorité de son mandat à la tête de la Commission. Pour Claude Turmes, l’enjeu est en effet de relancer l’industrie, tout en offrant une perspective aux jeunes Européens. Si sa crainte que la BEI n’ait à investir dans des centrales à charbon, ce qu’il voit comme un très mauvais investissement, jette une ombre au tableau, celui-ci reste cependant dominé par des éléments positifs.
Il avait été convenu pendant la campagne en vue des élections européennes du mois de mai 2014 que la nouvelle Commission devrait refléter le résultat des élections. Or, les représentants PPE y sont largement majoritaires puisque 14 commissaires sont issus du Parti Populaire européen (PPE), 8 des socialistes et démocrates (S&D), 5 des libéraux de l’ALDE et 1 des conservateurs et réformistes européens (ECR).
Pour Frank Engel, cela s’explique du fait que ce sont les gouvernements qui nomment les commissaires. Or, il imagine assez mal le gouvernement conservateur britannique nommer un commissaire écologiste.
Mady Delvaux a pour sa part laissé entrevoir le peu d’enthousiasme de son groupe politique devant l’équilibre politique auquel aboutit cette Commission : le groupe S&D est en effet le deuxième groupe au Parlement européen et n’est représenté que par huit commissaires alors que les partis de ce groupe politique sont représentés dans 21 gouvernements. En cause sans doute, et c’est tout à leur honneur, l’ouverture d’esprit dont ont fait preuve les dirigeants socialistes qui n’ont pas systématiquement envoyé l'un des leurs à la Commission.
Le Parlement européen va procéder à toute une série d’auditions des différents commissaires nommés par Jean-Claude Juncker avant de se prononcer sur le collège dans son ensemble par un vote qui est déterminant. Un système dont Viviane Reding a souligné la singularité et la qualité.
Les questions qui ont suivi le premier tour de table des eurodéputés ont clairement laissé entrevoir que les échanges avec certains des commissaires nommés s’annoncent houleux.
Claude Turmes a aussitôt évoqué les grandes discussions qui s’annonçaient avec "un lobbyiste de la City nommé en charge de la réglementation bancaire", en l’occurrence le conservateur britannique Jonathan Hill, "un commissaire en charge de l’énergie ayant des intérêts dans le pétrole", en l’occurrence Miguel Arias Cañete, (Espagne, PPE) ou encore "un ministre hongrois de la Justice en charge de citoyens européens". Pour ce dernier, Claude Turmes n’a pas manqué de parler d’erreur de casting, tandis que Frank Engel s’est montré curieux de voir comment Tibor Navracsis, dont il n’a pas manqué de critiquer vivement l’action gouvernementale, allait se comporter en audition.
Mais dans tous les cas, il va s’agir d’entendre les personnes et leurs projets avant d’en juger, estime Claude Turmes.
Autre point soulevé par l’eurodéputé écologiste, le déplacement de certaines compétences d’une Direction à l’autre au sein de la Commission, question d’organisation qui peut avoir des "conséquences énormes", a-t-il alerté. Claude Turmes a ainsi évoqué l’exemple de la surveillance des médicaments et des produits médicaux qui pourrait non plus dépendre de la direction générale de la santé et des consommateurs (DG SANCO), mais de la DG Entreprises.
Le groupe des Verts va donc mener un screening détaillé des questions à poser lors des auditions, a assuré Claude Turmes.
Charles Goerens a pour sa part évoqué deux commissaires qui n’auront pas la tâche facile, à savoir le commissaire britannique, dont le gouvernement a su "bien se vendre" pour obtenir le portefeuille de la Stabilité financière, des services financiers et de l’union des marchés de capitaux, ou encore le commissaire français qui va devoir veiller au respect des règles du pacte de stabilité alors que le gouvernement qui vient de le nommer a du mal à maîtriser son déficit. Comme l’a résumé Viviane Reding, il sera en fin de compte intéressant de voir comment ces commissaires vont agir comme commissaires européens et éventuellement devoir "agir contre les gouvernements qui les ont nommés".
La question du TTIP est revenue dans les questions qui ont suivi la présentation des eurodéputés.
Claude Turmes est ainsi revenu sur le rejet de l’initiative citoyenne par la Commission européenne, jugeant cette décision "désastreuse". Selon lui, les motivations juridiques sont très faibles, et il s’agit d’une décision politique démontrant que José Manuel Barroso ne veut pas de débat sur le sujet. "Les gens sont désillusionnés", s’inquiète le parlementaire.
Frank Engel a réagi de façon très virulente à ces propos, en soulignant que les critères juridiques formels pour que cette ICE puisse être jugée recevable n’étaient pas remplis. "Le débat sera popularisé d’une façon ou d’une autre", a souligné le député PPE.
Quant à sa consœur Viviane Reding, elle a pour sa part souligné que c’est Cecilia Malmström qui a désormais la responsabilité de ce dossier au sein de la Commission Juncker. Or, cette commissaire certes "libérale est aussi très axée sur les valeurs", ainsi que Viviane Reding a pu s’en rendre compte lorsqu’elle a travaillé de près avec elle sur les dossiers "Justice" au sein de la Commission Barroso II. Viviane Reding donc assuré qu’elle ne s’opposerait en aucune manière à un débat sur le TTIP, contrairement à son prédécesseur Karel De Gucht, encore en poste actuellement. Viviane Reding a aussi rappelé qu’il y avait des positions critiques à l’égard du TTIP au sein de tous les partis, et que dans tous les cas, ni le TTIP ni le CETA ne pourraient aboutir sans un feu vert du Parlement européen. Et il ne sert à rien selon elle de pratiquer un "populisme de bas étage" sur ce dossier.
Interrogés par un membre de la presse sur les fortes tendances indépendantistes en Ecosse et en Catalogne où "une partie d’un Etat membre veut quitter cet Etat membre afin de devenir par la suite soi-même un Etat membre de l’UE", Charles Goerens a mis en garde contre tout discours contre la balkanisation de l’Europe venant du Luxembourg, "pour qui la Belgique est déjà un géant". Il n’en reste pas moins que lui-même préférerait que l’Ecosse vote le 18 septembre pour rester dans le Royaume Uni, ne serait-ce qu’à cause de "l’effet d’avalanche" que la sortie de l’Ecosse du Royaume Uni aurait sur la Catalogne, et à terme sur d’autres entités régionales en Europe.
Pour Frank Engel, "l’UE n’est pas préparée pour affronter des situations exceptionnelles" comme celle qui risque de se présenter, "mais les Etas-nations issus du 19e siècle ne doivent pas nécessairement être perpétués jusqu’au 25e siècle", a-t-il estimé.