Le 17 octobre 2014, le centre de formation de la Chambre de Commerce du Luxembourg, la Luxembourg School for Commerce (LSC), organisait une table-ronde consacrée au lobbying communautaire et à son rôle dans la stratégie d’entreprise. Une conférence qui devait introduire un atelier pratique se tenant l’après-midi réservé à un nombre plus restreint de personnes et affichant complet.
Comme l’a expliqué le directeur de la LSC en guise d’introduction, le lobbying, tout le monde en fait mais personne n’en parle au Luxembourg, contrairement à Bruxelles, où cette pratique fait partie intégrante du processus décisionnel.
Le souci de Nima Azarmgin, à l’initiative de cette table-ronde qu’il a pris le soin de modérer, était de nuancer l’image plutôt sombre que l’on peut avoir du métier de lobbyiste, qu’il a lui-même pratiqué pendant 8 ans à Bruxelles avant de travailler pour la Fedil, puisque de son point de vue aussi, le lobbying est "une nécessité de la pratique démocratique".
Mourad Attarça, centralien et titulaire d’un doctorat sur les stratégies politiques des entreprises qui enseigne à l’Institut supérieur de Management, a ouvert la table-ronde en présentant les enjeux du lobbying du point de vue des entreprises, une analyse qu’il devait développer dans l’après-midi puisqu’il animait l’atelier prévu dans la foulée de la conférence. Ce chercheur donne régulièrement des formations sur le lobbying, ainsi qu’il s’en est expliqué. Il s’agit de former des managers afin de les aider à avoir une vision politique et d’autre part de former des responsables publics afin qu’ils saisissent mieux la vision stratégique que doit avoir le monde de l’entreprise.
A ses yeux, l’objectif de la conférence était de démontrer que le lobbying est une pratique d’entreprise démocratique qui peut être organisée et encadrée, même si le chercheur ne perd pas de vue les problèmes éthiques qui se posent, ou bien le fait que la corruption existe.
Pour commencer, le chercheur a donné quelques éléments de définitions : le lobbying étant à ses yeux l’ensemble des activités visant à influencer une décision publique. En toute logique, qu’il soit communautaire ou non, les enjeux du lobbying sont assez similaires, puisque sa cible reste les pouvoirs de décision. Dans le cas du lobbying communautaire, il s’agit donc du Conseil, de la Commission, du Parlement européen, de la CJUE, des nombreux comités d’experts ou encore des agences.
Charles De Marcilly, responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation Robert Schuman, qui a auparavant fait ses armes en tant qu’assistant parlementaire puis de lobbyiste dans le secteur automobile, a lui présenté le lobbying comme le fait "d’oser dessiner la piscine dans laquelle vous et vos concurrents vont devoir nager". Et le jeune représentant du think tank a présenté les quatre grands piliers du lobbyisme que sont la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil et enfin l’ensemble des groupes d’experts.
Pour ce qui est de la Commission européenne, Charles De Marcilly a décrit brièvement une procédure interne qui, de consultations en procédures visant à vérifier l’impact d’un acte législatif sur le secteur à la décision politique finale, devient de plus en plus transparente. Pour intervenir dans ce processus, les lobbyistes doivent être à la fois politiques et techniques, et il importe qu’ils apportent de la valeur ajoutée pour pouvoir être entendu.
Au Parlement européen, le critère politique est plus fort, note Charles De Marcilly, puisque l’objectif est de parvenir à une coalition. Les lobbyistes doivent donc agir au niveau politique auprès des groupes politiques, mais aussi au niveau technique dans les commissions parlementaires et auprès des rapporteurs. Il s’agit en effet d’accompagner le législateur sur le plan technique. Enfin, il y a aussi un travail qui se fait en jouant sur l’aspect national, même s’il est plus discret au Parlement européen.
Au Conseil, le lobbying se fait dans les capitales, et là aussi il s’agit de parvenir à une coalition pour avoir la majorité qui permet de soutenir ou de bloquer une proposition, à part dans les rares cas où l‘unanimité est requise.
Enfin, Charles De Marcilly évoque l’aspect le plus obscur du lobbying, à savoir le travail mené au moment de la mise en œuvre des actes législatifs. Car une fois prise la décision politique, sa mise en pratique est souvent déléguée à des groupes d’experts, et c’est là que se livrent une bataille qui est avant tout technique ou scientifique.
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la comitologie devient plus opaque pour les législateurs eux-mêmes, comme en témoigne l’exemple du texte sur les semences que le Parlement européen a rejeté par crainte de voir "cette bête" qu’est a comitologie devoir s’occuper de mettre en œuvre un tel texte. En effet, dans le cas d’un acte délégué, le Parlement européen ne peut que dire non à un texte dans son ensemble, et en rien influer sur son contenu.
Charles De Marcilly a aussi donné un exemple d’une réunion d’experts : on va trouver un fonctionnaire, doté d’un mandat politique, face à 24 constructeurs automobiles qui sont les seuls à maîtriser l’aspect technique du dossier. En bref, la comitologie est une zone d’ombre sur laquelle les lobbyistes jouent à plein avec la bienveillance de la Commission. Et les membres des groupes d’experts veillent bien à ce que l’ouverture ne se fasse pas trop grande à de nouveaux représentants.
Pour ce qui est de quantifier le phénomène du lobbying, Mourad Attarça a présenté des chiffres qu’il juge lui-même vagues, puisque 3000 groupes d’intérêt auraient un bureau à Bruxelles, - il compte là aussi les représentations de collectivités locales par exemple - , tandis qu’entre 10 000 et 30 000 lobbyistes y travailleraient. Si la fourchette est large, elle témoigne surtout de l’importance du nombre de lobbyistes par rapport à ceux sur qui s’exerce cette influence, comme n’a pas manqué de le relever le chercheur. Et ce d’autant plus que le lobbying s’exerce aussi dans les Etats membres.
Charles De Marcilly a aussi fait remarqué que ce sont en général un à trois fonctionnaires de la Commission européenne qui sont en charge de la rédaction d’un acte législatif, quand ce sont plusieurs centaines voire milliers de réponses, cela dépend du secteur, que suscitent les consultations qu’ils mènent. Dans ces conditions, l’impact de la société civile est nécessairement significatif, observe Charles De Marcilly.
Le Registre européen recense les lobbyistes officiels sur une base volontaire. En octobre 2014, on y comptait plus de 6112 lobbies inscrits représentant tous types d’intérêts. Mourad Attarça s’est penché plus précisément sur les entreprises qui sont inscrites au registre, en relevant qu’il y a dedans beaucoup d’erreurs, de paradoxes.
Charles De Marcilly observe qu’aucune vérification n’est faite de la part de la Commission, et, comme il n’a rien de coercitif, on peut y écrire ce que l’on veut. Un registre partagé par toutes les institutions pourrait être une meilleure solution, mais le Conseil ne le souhaite pas. Quant à la transparence, Charles De Marcilly la jugerait utile sur le nom des personnes et des structures, ainsi que sur les dossiers sur lesquels elles travaillent. Mais il estime en revanche que les montants déclarés n’ont pas vraiment de sens puisqu’ils ne disent rien sur l’influence réelle d’un lobbyiste. Et s’il y a transparence, elle doit être la même pour tout le monde, y compris les ONG.
Sur ce point, Henri Wagener, le représentant de la Fedil à Bruxelles, a dénoncé le fait que les ONG ne sont pas soumises aux mêmes règles, ce qui est d’autant plus pervers selon lui qu’elles ne déclarent pas les subsides qu’elles perçoivent de la part de la Commission.
Pour Mourad Attarça, la transparence sur les consultations et les auditions importerait plus que le registre lui-même. Il serait en effet plus intéressant de savoir qui participe à quel groupe d’experts ou qui a reçu qui. Mais, relève le chercheur, bien souvent, les responsables politiques ne souhaitent pas cette transparence, comme en témoigne les efforts, restés vains, de certains parlementaires pour que tous les députés publient leur agenda.
Henri Wagener confirme que du point de vue des entreprises, il n’y aurait pas de problème à ce que les décideurs politiques disent qu’on les a rencontrés et qu’ils divulguent les documents qui leur sont soumis. Car ils sont après tout responsables devant leurs électeurs, tandis que les lobbyistes parlent en leur nom.
Les orateurs ont été interpellés à la fin de la discussion sur certaines pratiques, comme le fait que des amendements rédigés par des lobbyistes puissent être repris tels quels par les parlementaires, qui pourraient être qualifiées de "distorsion de la démocratie". Pour Mourad Attarça, la légitimité des intérêts défendus peut être acceptée, mais c’est plus la légitimité des moyens mis en œuvre qui peut poser problème. "L’expertise de certaines entreprises leur donne un monopole de l’information", observe en effet le chercheur. Mais de son point de vue, il est de la responsabilité du politique de se donner les moyens de contrôler l’information qui lui est fournie par les lobbyistes.
Du point de vue de Mourad Attarça, pour les entreprises, le lobbying n’est ni une fin en soi, ni une activité naturelle, mais un moyen parmi d’autres qui peut être mis au service de son développement. Il fait la distinction entre un lobbying défensif, qui vise à défendre ses positions, protéger ses intérêts, par exemple en tentant d’entraver une réglementation trop contraignante, et un lobbying offensif qui vise plutôt é se créer des opportunités de marché et à promouvoir des décisions publiques favorables aux activités de l’entreprise.
Mourad Attarça relève aussi que les actions de lobbying n’ont pas toute la même importance, certaines pouvant relever d’une question existentielle, la légitimité de l’entreprise ou sa pérennité pouvant être mise en question par une décision publique, quand d’autres peuvent être des enjeux moins vitaux, par exemple lorsqu’il s’agit d’obtenir des marchés ou d’augmenter la rentabilité. Et dans ces différents cas, ce sont les enjeux qui guident la manière dont une entreprise peut agir.
La pratique du lobbying n’est pas sans poser des enjeux managériaux et organisationnels pour les entreprises, a relevé Mourad Attarça. Pour ce qui est de sa légitimité, il estime que les institutions européennes sont plutôt favorables au lobbying des entreprises car elles sont demandeuses de l’expertise qu’elles peuvent apporter. Et les entreprises peuvent être des vecteurs de démocratie en tant qu’intermédiaire entre citoyens et pouvoirs publics.
Mourad Attarça a présenté une liste de règles d’or pour mener un lobbying efficace. Il faut anticiper, grâce à la veille institutionnelle. Il faut être légitime, et la représentativité européenne de l’entreprise est essentielle. Il faut être crédible, en apportant une information pertinente. Il faut être disponible et se soumettre aux contraintes de l’agenda politique. Enfin, il faut savoir être pertinent, c’est-à-dire être capable de traduire les enjeux économiques en enjeux politiques.
Pour Charles De Marcilly, pour mener un lobbying efficace, il importe avant tout d’avoir une position. Ensuite, il faut être capable de construire une coalition. Enfin, il faut avoir de la patience et être capable de se projeter le plus vite possible sur le cœur du projet législatif en s’efforçant d’être pertinent et constructif.
Dans les entreprises, on parle d’affaires publiques plutôt que de lobbying, a précisé Mourad Attarça en soulignant que les entreprises cherchent, de façon plus générale, un environnement institutionnel favorable à leur activité, ce qui peut aller au-delà de l’influence sur la décision politique qui définit le lobbying et s’inscrit dans une logique relationnelle de long terme. Et cela élargit aussi la vision des instruments du lobbying.
Henri Wagener a présenté la pratique du lobbying de son point de vue de représentant de la Fedil à Bruxelles, où le patronat luxembourgeois est représenté par BusinessEurope. Pour aider les entreprises à traduire en enjeu politique des enjeux économiques de façon défensive ou offensive, il convient avant tout d’anticiper l’impact éventuel d’une législation qui se prépare et ensuite parvenir à définir une position. Il importe pour ce faire d’identifier les points clefs du livre blanc, vert ou de la proposition législative sur lesquelles une position devra être prise.
Il est difficile de représenter ses intérêts pour une entreprise seule, et même pour une fédération nationale, a expliqué Henri Wagener. Ce qui explique le choix de la Fedil de rejoindre BusinessEurope qui rassemble 41 fédérations nationales provenant de 35 pays, soit 3 millions d’entreprises et 250 millions d’employés. Un tel poids donne de la crédibilité et permet un accès privilégié aux institutions européennes, a souligné Henri Wagener.
Ainsi, a-t-il rapporté, il arrive que des fonctionnaires de la Commission européenne en charge de la rédaction d’un texte viennent s’enquérir auprès des milieux d’affaires sur l’impact du projet législatif ou sur les conséquences des différentes options qui s’offrent à lui. Le rôle de BusinessEurope est alors d’informer sur les conséquences possibles, ce qui va parfois au-delà des études d’impact de la Commission, ou qui peut parfois même les contredire. Il faut alors convaincre du bien-fondé des informations que l’on livre.
Le travail se poursuit au Parlement européen où il faut trouver des majorités, a expliqué Henri Wagener. Lors de la précédente législature, les majorités changeaient d’un sujet à l’autre. Mais les choses vont changer du fait avec les nouveaux rapports de force qui résultent des dernières élections européennes : les deux grands groupes auront besoin l’un de l’autre, tandis que les Verts et les Libéraux ne pourront faire pencher la balance comme auparavant.
Pour ce qui est de l’influence au Conseil, le groupe d’intérêt doit essayer de faire jouer les cartes de ses fédérations nationales auprès des capitales et de leurs représentations permanentes à Bruxelles, a souligné Henri Wagener.
Pour résumer son travail, le lobbyiste luxembourgeois explique donc qu’il s’agit de convaincre pour influencer la décision politique à tous les niveaux. Et il est pour cela nécessaire de s’organiser en grande coalition.
Se présenter ainsi en force n’est pourtant pas sans inconvénient. Il est ainsi long et laborieux de parvenir à une position commune au sein d’une telle organisation, et ce alors que la ponctualité est essentielle en matière de lobbying. C’est donc un véritable défi que de trouver un intérêt commun et pertinent dans des délais qui peuvent être très courts. Résultat : BusinessEurope a à sa manière développé une forme de bureaucratie pour pouvoir parvenir à des positions souvent très générales plus que vraiment techniques. Car les intérêts peuvent diverger au sein de la Fédération selon les secteurs ou les pays d’origine. Autre inconvénient, il est difficile de faire preuve de réactivité au fur et à mesure des changements du texte pendant le processus législatif. Il est ainsi difficile parfois de réagir au bon moment avec l’information pertinente, et ce notamment quand le bon moment en question est un trilogue au milieu de la nuit…
Pour ce qui est des positions chères aux entreprises luxembourgeoises, Henri Wagener a mis en avant le fait que les entreprises luxembourgeoises comptaient parmi les rares entreprises demandeuses de législation visant à harmoniser le marché intérieur, et ce du fait des limites du marché national. Autre préoccupation constante des entreprises luxembourgeoises, la mobilité des travailleurs dans la mesure où le Luxembourg a besoin d’importation massive de travailleurs.
Jean Quatremer, journaliste de Libération, a pour sa part fait le récit animé de l’affaire Orphacol, dont on peut retrouver bien des rebondissements sur son blog Les Coulisses de Bruxelles.
L’affaire a commencé dans un Thalys, lorsqu’un lobbyiste de ma connaissance m’a invité à m’y intéresser, a rapporté Jean Quatremer. Interpellé, quoique méfiant, Jean Quatremer s’est penché sur le dossier. L’Orphacol est un médicament fabriqué par une petite structure, le CTRS, qui permet de traiter une maladie orpheline dont 90 cas seraient estimés en Europe et 21 identifiés. Une maladie mortelle, l’espérance de vie étant de six mois à dix ans, sans l’usage de cette préparation à base d’acide cholique inventée en 1993 par l’Assistance publique des hôpitaux de Paris qui permet de prolonger durablement la vie des patients. Ce médicament étant difficile à fabriquer, c’est finalement un ancien médecin de l’Assistance publique ayant fondé son laboratoire, le CTRS, qui s’est vu proposer de le fabriquer, ce qu’il fait depuis 2007.
En 2010, le CTRS introduit auprès de l’Agence européenne des médicaments (EMA), une autorisation qui lui permettrait de commercialiser ce produit dans toute l’UE et lui donnerait l’exclusivité sur la molécule pendant 10 ans. En décembre 2010, l’EMA émet un avis positif.
En janvier 2011, surprise, la Commission européenne demande un second avis. Il s’agit plus précisément d’une fonctionnaire en charge du service des Médicaments humains, Patricia Brunko. Une telle demande est rarissime, relève Jean Quatremer qui rappelle que c’est suite au scandale de la vache folle que la Commission a créé l’EMA de façon à laisser à des scientifiques le soin de prendre de telles décisions. En avril 2011, l’EMA rend un second avis positif, dans lequel elle souligne combien ce médicament est une nécessité.
Pourtant, Patricia Brunko et avec elle toute sa hiérarchie et donc toute la Commission rejettent l’autorisation de mise sur le marché une première fois. Une majorité qualifiée d’Etats membres s’est ensuite opposé à cette décision, la Commission a fait appel et a perdu. Pour finalement rejeter quand même cette autorisation parce que des tests cliniques n’auraient pas été menés et parce que ce médicament ne serait pas en usage depuis plus de dix ans. Car la Commission considère que le médicament n’est utilisé que depuis 2007, date à laquelle il a pris le nom d’Orphacol, alors que la molécule en question est utilisée depuis 1993. Quant aux tests cliniques, il serait difficile de les mener sur 21 malades, à moins d’avoir le cynisme de vouloir en sacrifier la moitié…
Le Tribunal de l’UE a été saisi en première instance, et la Commission a tout simplement retiré son refus avant d’en décider un autre. Mais elle s’est tout de même vue condamner à tous les dépens avant d’être finalement condamnée en juillet 2013 lorsque le Tribunal a pu statuer sur son dernier refus d’autoriser le médicament.
Que s’est-il passé ? Jean Quatremer raconte que le Tribunal a découvert une lettre qu’un laboratoire américain Asklepion, aurait adressé en janvier 2011 à la Commission européenne pour critiquer l’Orphacol et expliquer qu’il travaillait à une nouvelle molécule. Les arguments avancés sont exactement ceux qu’a fait valoir la Commission européenne, et la date coïncide avec celle à laquelle Patricia Brunko a demandé un deuxième avis à l’EMA.
Jean Quatremer émet plusieurs hypothèses. Peut-être Patricia Brunko est-elle membre de l’Eglise adventiste du 7e jour dont dépend le laboratoire Asklepion ? Peut-être s’est-elle vu verser de l’argent ? Peut-être a-t-elle tout simplement pris peur devant cette lettre venue des Etats-Unis, faisant preuve de "la lâcheté du fonctionnaire de base" que n’a pas manqué de dénoncer Jean Quatremer ? Peut-être était-ce enfin une tentative de juriste eurocrate de se réapproprier les pouvoirs abandonnés aux autorités scientifiques suite au scandale de la vache folle ? Jean Quatremer n’a pas d’explication.
Mais le journaliste raconte avoir provoqué une crise interne au sein de la Commission lorsqu’il a révélé cette affaire, sans avoir peur de donner le nom de la fonctionnaire responsable. Une partie de la Commission aurait même voulu l’attaquer en justice. Ces mots ne sont pas tendres à l’égard d’une institution qui "se considère comme le bien absolu" et qui n’a de cesse de "dissimuler ses choix politiques derrière une fatalité incontestable". Car, explique le journaliste pour le moins remonté, si la Commission agit au nom d’un bien commun européen, remettre en cause son action revient à remettre en cause tout le projet européen...
Jean Quatremer tire deux enseignements de cette affaire. D’une part, les lobbyistes n’utilisent pas assez la presse. D’autre part, la Commission, comme tous les fonctionnaires de toutes les administrations, a horreur de la mise en lumière. Sa conclusion aura donc été un appel aux lobbyistes : "si vous constatez le moindre problème d’illégitimité, n’hésitez pas à contacter les journalistes, et pas seulement ceux du Financial Times car il ne sert à rien de convaincre les journalistes déjà convaincus"! Jean Quatremer observe en effet que bien souvent, les lobbyistes font le jeu de l’administration.
Cette situation dans l’administration de la Commission remonte selon Jean Quatremer à la réforme lancée par Neil Kinnock. Profitant de l’affaiblissement de la Commission suite à l’affaire Cresson, le Royaume-Uni a en effet réussi à fermer le recrutement externe. Résultat, les fonctionnaires font leur vie à la Commission, sont de plus en plus "hors sol". L’administration se referme sur elle-même et les fonctionnaires ont perdu tout sens de la réalité politique, comme en témoigne selon Jean Quatremer le chiffre avancé systématiquement sur ce que rapporterait la mise en œuvre du TTIP à un ménage européen dans dix ans…. Une situation que Jean-Claude Juncker veut changer, se réjouit Jean Quatremer qui explique que très vite, les commissaires se font prendre en otage par leur DG à cause de la technicité des dossiers. Une re-politisation de la Commission est donc plus que bienvenue.