La Cour des comptes européenne (CCE ou ECA en anglais) a publié le 25 novembre 2014 son analyse panoramique des risques qui pèsent sur la gestion financière du budget de l'Union européenne (UE). Les auditeurs de la Cour y pointent du doigt "plusieurs problèmes clés" mettant en péril la bonne gestion financière des deniers de l'UE et appellent tous les intervenants impliqués dans la gestion du budget de l'UE à donner "la priorité à l'obtention de résultats et à l'apport d'une valeur ajoutée européenne, tout en veillant à ce que les fonds de l'Union fassent l'objet d'une comptabilité appropriée et soient utilisés comme prévu".
Dans leur analyse, les auditeurs de la Cour soulignent en effet l’existence de plusieurs risques pesant sur le budget de l’UE en matière de bonne gestion financière. Se posent notamment selon la Cour des questions de légalité et de régularité des dépenses (à savoir que le budget ne soit pas utilisé comme prévu, aux fins souhaitées et conformément aux règles établies par l’autorité budgétaire); des questions de fiabilité des comptes (absence de comptabilité appropriée dans les comptes financiers annuels); des questions en termes d’économie, d’efficience et d’efficacité (à savoir que le budget ne soit pas utilisé judicieusement, conformément aux principes de bonne gestion financière); et enfin la question de la valeur ajoutée européenne (à savoir d’engager des dépenses n’apportant aucune valeur ajoutée ni les avantages qui en étaient escomptés).
Dans ce contexte, l’entrée en vigueur du nouveau cadre financier pluriannuel (CFP) en 2014, l’introduction de la réglementation relative à sa mise en œuvre et le nouveau règlement financier, ainsi que l’engagement de la Commission à veiller à ce que le budget soit davantage axé sur la performance, seraient "autant d’éléments qui constituent des occasions de simplifier et d’améliorer la gestion financière du budget de l’UE", relève la Cour dans son analyse.
"Les gouvernements et les contribuables des Etats membres veulent que les fonds qu'ils versent pour contribuer au budget de l'UE soient mieux utilisés", a ainsi expliqué Igors Ludboržs, membre de la Cour responsable de l'analyse panoramique, lors d’une conférence de presse le 25 novembre. "Ils veulent que cet argent soit bien géré et dépensé de manière adéquate, qu'il serve aux fins approuvées par le Parlement européen et le Conseil, et qu'il permette d'obtenir les effets souhaités", a-t-il poursuivi.
Comme elle l’avait fait au début du mois de novembre lors de la diffusion de son rapport annuel sur le budget 2013 de l’UE, la Cour rappelle que "trop longtemps, on a veillé en priorité à ce que le budget de l’UE soit dépensé conformément aux règles établies pour son exécution, sans prêter une attention suffisante au rapport coût/efficacité et à la valeur ajoutée européenne qu’il procure". Or, les auditeurs relèvent que le budget de l'Union européenne "doit lui procurer, ainsi qu'à ses citoyens, des avantages manifestes et visibles qui ne pourraient pas être obtenus par des dépenses effectuées à un niveau national, régional ou local".
"Il arrive pourtant que l'UE se contente d'augmenter le budget total disponible, sans apporter une dimension européenne particulière", ajoute la Cour qui pointe un "effet d'aubaine". Les fonds de l'UE seraient ainsi parfois utilisés pour des activités qui auraient de toute façon été réalisées par les États membres et les autres bénéficiaires, lorsqu’ils ne sont pas "insuffisants pour obtenir les résultats escomptés".
Dans leur analyse panoramique, les auditeurs de la Cour constatent aussi qu'en raison de la complexité des règles d'éligibilité et d'autres conditions d’octroi, les fonds de l'UE risquent de ne pas être bien ciblés et l'utilisation du budget de l'UE pourrait ne pas être optimale. "Des règles complexes peuvent dissuader des bénéficiaires potentiels de solliciter l’aide de l’Union et accroître les difficultés et les coûts auxquels sont confrontées les administrations pour s’assurer que les demandes d’aide et les paiements sont corrects et que toutes les conditions d’octroi des aides de l’UE ont été respectées", lit-on dans le rapport
En outre, dans plusieurs domaines budgétaires, les niveaux réglementaires sont trop nombreux ce qui peut donner lieu à différentes interprétations et, par suite, à des incohérences lors de l'application des règles et à un risque d'erreur accru, note la Cour. Ces différents niveaux réglementaires entraînent des "exigences supplémentaires" qui peuvent "s’avérer superflues et alourdissent la charge administrative" alors que les systèmes de contrôle "ne sont pas toujours suffisants aux différents niveaux pour permettre de contrôler le respect de l’ensemble des conditions", poursuivent les auditeurs.
Les résultats des travaux d’audit de la Cour montrent que bon nombre des erreurs détectées concernent la mauvaise application des règles et procédures de marchés publics, relève par ailleurs le rapport. "Ces erreurs peuvent être commises délibérément pour favoriser certains fournisseurs ou par inadvertance en raison d’une mauvaise compréhension des règles", y lit-on.
Or, le non-respect de ces règles "peut entraîner une augmentation du coût imposé aux finances publiques, une faible concurrence, le rejet de soumissionnaires légitimes ou des frais et des retards supplémentaires dus à l’annulation de contrats", ajoutent les auditeurs.
Dans son analyse, la Cour rappelle que les fonds de l’UE sont dépensés par l’intermédiaire de 28 administrations nationales, ainsi que par de nombreuses autorités régionales et locales dotées de capacités administratives inégales, tant en termes de compétences que de ressources. Une situation qui selon les auditeurs "augmente le risque d’erreurs, de même que les risques pour l’exécution du budget d’être de mauvaise qualité". Elle peut aussi "ralentir la mise en œuvre des actions et des projets financés par l’UE, affecter la qualité des activités réglementaires et gêner l’échange d’informations entre la Commission et les États membres", écrit la Cour.
Les auditeurs relèvent par ailleurs des risques en matière de coordination budgétaire entre l’UE et ses Etats membres. Ainsi la Cour rappelle-t-elle notamment que le processus budgétaire de l’UE est en grande partie distinct de celui des Etats membres, leur cycle n’étant pas le même et leur mise en œuvre reposant sur des acteurs différents, dont les priorités sont variées. "Cette situation peut engendrer des doubles emplois, des écarts ou des contradictions entre les budgets nationaux et celui de l’UE", lit-on dans le rapport.
En outre, bon nombre d’activités et de projets sont financés à la fois par le budget de l’UE et ceux des Etats membres, soit des dépenses cofinancées "qui supposent que les budgets soient disponibles tant au niveau de l’UE que des États membres", note la Cour. Or, en raison des "mesures d’austérité" prises par ces derniers, "il se peut que les fonds nationaux soient considérablement réduits, voire qu’ils ne soient plus disponibles pour contribuer à la réalisation de certaines actions", avancent les auditeurs. "De plus, la durabilité des actions financées par l’UE peut aussi s’avérer problématique lorsque les fonds de l’UE ne seront plus disponibles".
Les "préfinancements", dont les autorités des Etats membres, les autres intermédiaires et les bénéficiaires peuvent bénéficier afin de commencer leurs activités peuvent également susciter des difficultés, souligne encore la Cour. Ainsi, dans les cas où ces préfinancements "s’étendent sur des périodes inutilement longues, le risque d’erreur et de perte est accru et toute réorientation des activités pour réaliser les objectifs peut s’avérer particulièrement difficile". Les délais pour la présentation des déclarations de coûts étant en outre relativement longs, les problèmes ne sont mis au jour qu’après plusieurs années, "lorsqu’il est parfois trop tard pour les corriger", déplorent les auditeurs.
Par ailleurs, outre les 908 milliards d'euros (crédits de paiements) convenus aux termes du cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2014‑2020, les États membres seront tenus d'apporter une contribution supplémentaire à hauteur de 326 milliards d'euros pour couvrir les engagements des CFP précédents. Une situation qui pourrait mener à ce que "la capacité de la Commission à satisfaire toutes les demandes de paiement pendant l'exercice au cours duquel elles sont présentées s'en trouve affectée".
Alors que la Commission assure la coordination entre les nombreux acteurs impliqués dans l'utilisation des crédits budgétaires et doit veiller à ce que des données correctes soient recueillies auprès des intermédiaires en temps opportun et qu'elles soient vérifiées de façon efficace, les auditeurs ont constaté que la gestion financière de la Commission, sa gestion de la performance, ainsi que son suivi "étaient souvent fondés sur des informations limitées, lacunaires ou non fiables", lit-on dans le rapport. Si la Commission peut appliquer des corrections aux dépenses imputables au budget de l'UE déclarées par les États membres en les rejetant ou en récupérant les fonds versés, "ces corrections sont toutefois difficiles à gérer", notent les auditeurs.
Dans ce contexte, un autre problème relevé par la Cour est que la Commission ne peut pas vérifier directement et systématiquement toutes les dépenses effectuées par les États membres, les pays tiers ou les organisations internationales, à la charge des différents volets du budget de l’UE, ni celles déclarées par les bénéficiaires, celle-ci s’appuyant donc sur des auditeurs indépendants. Cependant, la certification des dépenses par les auditeurs indépendants peut être "source de problèmes" liés à la question de leur véritable indépendance, de la qualité ou de la rapidité de leurs travaux, conclut la Cour.