Le 10 novembre 2014, les 290 organisations de la société civile issues de 23 Etats membres de l’UE regroupées au sein de l’Initiative citoyenne européenne (ICE) "Stop TTIP" ont déposé une plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne contre la décision, rendue par la Commission européenne le 11 septembre 2014, de juger irrecevable leur ICE, appelant le Conseil à la révocation du mandat de négociations du traité de libre-échange avec les Etats-Unis (TTIP) et le renoncement à la conclusion du traité de libre-échange avec le Canada (CETA).
Sous le slogan "TTIP op den Tip" ("Le TTIP à la poubelle" en luxembourgeois), la Plate-forme luxembourgeoise Stop TTIP a organisé un rassemblement symbolique devant le bâtiment de la Cour de justice de l’UE, à l’occasion du dépôt de la plainte.
Devant le bâtiment de la CJUE, la présidente du Mouvement écologique, Blanche Weber, porte-voix en main, a dénoncé la politique de la Commission européenne. "Le fossé entre les politiques européennes et la population doit être comblé, tel est le credo des politiques. Néanmoins, l’écart entre ces paroles et la politique actuelle est une honte. L’arrogance de Bruxelles envers les citoyens européens est inacceptable !", a déploré Blanche Weber. "Le citoyen ne veut pas que des entreprises décident de nos choix."
Prenant le relais de Blanche Weber au mégaphone, le point de contact européen de l’ICE Stop TTIP, Michael Efler a mis en garde contre le risque d’une privatisation du droit par une voie détournée, si le TTIP et le CETA étaient adoptés.
"Quand on en arrive à la négociation de traités internationaux, la Commission européenne veut exclure les citoyens. Pendant la négociation, les gens ne doivent pas interférer et quand les accords finaux sont mis sur la table, c’est trop tard. Une telle approche légale rendra les futures ICE comme des tigres de papier", a-t-il par ailleurs déclaré. En voulant faire annuler la décision de la Commission, les ONG entendent œuvrer pour les futures ICE. En effet, elles estiment que la Commission cherche à "créer un précédent pour empêcher à l’avenir toute ICE de porter sur les accords internationaux, donnant ainsi aux institutions européennes une liberté d’action quasi-totale". "Une fois les traités internationaux en vigueur, il est presque impossible de les contester, et encore moins de les révoquer", disent-elles dans un communiqué de presse, diffusé à l’occasion du dépôt de leur plainte.
D’ailleurs, après avoir obtenu le droit de consulter tous les documents en lien avec la décision de la Commission, les membres de la Plate-Forme ont constaté que le secrétariat général a demandé un avis au Service juridique le 18 juillet 2014, trois jours après la demande d’enregistrement. Mais l’avis négatif remis le 25 juillet renvoyait à une note du 15 juillet, jour du dépôt de leur demande. "La Commission était donc certaine de rejeter l’ICE, ce dès le jour de son enregistrement", tout en informant les promoteurs de l’ICE que deux mois plus tard, déplorent les ONG dans un communiqué de presse.
La plainte doit permettre de sauver un instrument obtenu de longue lutte, dont "l’idée fondamentale était de donner aux citoyens plus d’influences et de pouvoir d’action sur la politique européenne, et en même temps de réduire le déficit démocratique que subit l’UE". Sans l’ICE, "il ne nous reste en fin de compte plus aucun moyen d’action officiel pour lutter contre la conversion de la démocratie en ‘lobbycratie’", disent les ONG.
L’Alliance européenne Stop TTIP avait déjà réagi au rejet de son ICE par la Commission en décidant de lancer une "ICE auto-organisée", qui, au 10 novembre, avait permis de récolter près de 900 000 signatures en un peu plus d’un mois.
La plainte devant la CJUE marque la seconde initiative. Pour composer cette plainte, visant à faire annuler la décision de la Commission afin de mener à bien l’ICE, elle a fait appel au professeur de droit de l’Université de Cologne, Bernard Kempen.
La décision de la Commission violerait notamment l’article 11 du Traité de Lisbonne et le règlement 211/2011 relatif à l’ICE, selon l’argumentaire présenté à la CJUE.
La Commission avançait comme premier motif pour ne pas enregistrer cette ICE que le mandat de négociation n’est pas un acte juridique touchant les citoyens mais qu’il constitue un acte préparatoire interne aux institutions de l’UE. Il n’aurait donc qu’une incidence sur les institutions et non sur la législation. Une ICE ne pourrait ainsi pas porter sur la phase préparatoire d’un accord international, mais uniquement sur la signature et la conclusion d’un tel accord.
Dans leur plainte, les promoteurs de l’ICE partagent le constat que le mandat de négociation du TTIP qu’ils veulent voir révoqué est un acte préparatoire. Mais ils soulignent que les propositions de directive de la Commission ont le même caractère et ne comprennent pas la différence de traitement faite par la Commission. Ils ne voient donc pas en quoi la Commission fait une interprétation différente de la notion d’"acte de droit" présente à l’article 11 du traité de Lisbonne, qui concerne l’ICE.
Ils objectent également le fait que ni le traité de Lisbonne ni le règlement n°211/0011 relatif à l’initiative citoyenne, ne font mention d’une distinction entre actes juridiques à effet interne et à effet externe.
Dans son argumentation la Commission avançait qu’il n’est possible de mener une ICE qu’au sujet de la signature et la conclusion d’un accord international. L’Alliance constate que la Commission se contredit : "Cela ne correspond pas à l’affirmation de la Commission selon laquelle les actes préparatoires d’accords internationaux ne pourraient pas faire l’objet d’une ICE. Car la signature d’un traité international par le Conseil est en soi un acte préparatoire – un accord n’étant véritablement conclu qu’une fois le processus de ratification terminé", dit-elle.
La Commission avançait également comme argument qu’une ICE ne peut être formulée que "positivement", c’est-à-dire en œuvrant à l’adoption d’un acte juridique, mais qu’elle ne peut pas appeler à ne pas ratifier un acte juridique.
"La participation des citoyens serait selon la conception de la Commission une initiative citoyenne d’acclamation approbative", déplore la plainte posée devant la CJUE. "Dans les dispositions sur l’initiative citoyenne, ne se trouve nulle part la moindre indication que les initiatives citoyennes, dans les affaires extérieures, doit être limitée à l’approbation et à l’acclamation de traités négociés", lit-on encore. Si l’intention de l ‘UE était d’exclure ces matières de l’ICE, il eût fallu le formuler clairement.
Selon l’énoncé et l’esprit du cadre légal de l’ICE, "la participation des citoyens est aussi envisageable sous la forme de révocation de règles existantes", avance encore la plainte. "Aucune syllabe du préambule n’indique que seules des initiatives constructives sont recevables."
D’ailleurs, dans leur argumentation devant la CJUE, les ONG évoquent le précédent de l’ICE sur la suppression de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE. L’exemple de cette ICE, acceptée par la Commission européenne en novembre 2012 puis retirée en mars 2013 par ses organisateurs, prouve "qu’une ICE pourrait donc bien demander de ne pas conclure un accord toujours en cours de négociation". La plainte accuse la Commission de ne pas avoir observé le principe de l’égalité de traitement inscrit à l’article 20 et de la bonne pratique administrative inscrit à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux.