Le pape François s’est rendu le 25 novembre 2014 en visite officielle au Parlement européen. Une visite qualifiée d’ "historique", sachant que la dernière visite d’un pape au Parlement remonte au 11 octobre 1988, il y a 26 ans. L’ancien pape Jean-Paul II s’était alors prononcé devant les députés de douze Etats membres seulement. Il y avait notamment exprimé ses encouragements pour la poursuite de la construction européenne et avait appelé à ce que l’Europe respire de ses deux poumons, à savoir l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est, alors que le continent était encore divisé par le "rideau de fer". De notre temps, les défis de l’Europe sont différents, selon le pape François, qui en a relevé plusieurs.
"J'espère que le Parlement européen est de plus en plus un Siège où chaque membre sait et assure que l'Europe, consciente de son passé, regarde l'avenir avec confiance, pour pouvoir vivre le présent avec espoir". C’est avec cette phrase inscrite dans le livre d’or du Parlement européen que le pape a résumé sa visite au Parlement européen, 26 ans après celle de Jean Paul II.
Le pape François a indiqué que depuis la dernière visite accomplie par son prédécesseur, beaucoup de choses ont changé en Europe et dans un monde qui devient "toujours plus interconnecté et globalisé" et "de moins en moins ‘eurocentrique’". Alors que l’Union européenne s’est élargie et approfondie, son image apparaîtrait de plus en plus "vieille", "comprimée" et "distante", et l’Union aurait ainsi de plus en plus de mal à être un protagoniste dans le monde. "Les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive, en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions".
Le pape a tenu à transmettre aux citoyens européens un message d’ "espérance et d’encouragement". L’Europe doit selon lui s’unir dans les difficultés et "revenir à la ferme conviction des pères fondateurs de l’UE, qui ont souhaité un avenir fondé sur la capacité de travailler ensemble afin de dépasser les divisions, et favoriser la paix entre tous les peuples du continent".
Pour le pape, la dignité est une "parole-clé" devant être le fondement même de la poursuite de la construction européenne. Le long chemin à travers lequel l’Europe est passée, "fait de multiples souffrances et sacrifices", aurait fait naître une "conscience culturelle" en Europe de la promotion de la dignité humaine et notamment des droits de l’Homme. L’engagement de l’UE doit donc aller vers la promotion de la dignité de la personne, plaide le pape.
Pour ce faire, il faudrait reconnaître que la personne humaine est centrale et qu’elle "possède des droits inaliénables dont elle ne peut être privée au gré de certains, et encore moins au bénéfice d’intérêts économiques". Face aux tendances égoïstes et individualistes qui caractérisent notre société, il serait important de réconcilier l’Homme avec le "bien commun" et sa "dimension relationnelle". Le pape a appelé les députés européens à "prendre soin de la fragilité de la personne et des peuples" et à "prendre en charge" les personnes les plus exclues et marginalisées. "Une Europe qui n’a plus la capacité de s’ouvrir à la dimension transcendante de la vie est une Europe qui lentement risque de perdre son âme, ainsi que cet esprit humaniste qu’elle aime et défend cependant", a ajouté le pape.
Le pape François s’est dit disponible pour entretenir à travers la Commission des Conférences Episcopales Européennes (COMECE) un dialogue ouvert avec l’Union européenne, afin d’œuvrer à retrouver la confiance dans l’avenir de l’Europe.
En rappelant la devise de l’UE qui est "Unité dans la diversité", il indique que "l’unité ne signifie pas uniformité politique", mais que "toute unité authentique vit de la richesse des diversités qui la composent". Pour que l’Europe puisse se concilier avec toute sa diversité et "marcher dans la confiance réciproque", il rappelle les principes de base de l’architecture européenne, à savoir la solidarité et la subsidiarité. La dynamique d’unité-particularité propre à l’UE doit selon lui permettre de "maintenir vivante la réalité des démocraties".
Pour "donner espérance à l’Europe", l’Europe devrait également favoriser les capacités de la personne humaine. L’Europe devrait pour ce faire investir "dans les domaines où ses talents se forment et portent du fruit", par exemple l’éducation, pour laquelle la famille et les institutions éducatives (les écoles et les universités) seraient fondamentales. Selon lui, le potentiel créatif de l’Europe se situe également "dans divers domaines de la recherche scientifique", par exemple les sources alternatives d’énergie, qui sont selon lui essentielles pour protéger l’environnement.
Le pape François a loué les efforts de l’UE dans la protection de l’environnement, et l’a sollicitée à continuer dans cette direction. "Notre terre a en effet besoin de soins continues et d’attentions", a-t-il expliqué. L’Homme serait gardien de la terre et non son propriétaire. "Respecter l’environnement signifie cependant non seulement se limiter à éviter de le défigurer, mais aussi l’utiliser pour le bien", a indiqué le pape. Il regrette que dans le secteur agricole des tonnes de nourriture soient jetées chaque jour, alors que des gens meurent de faim.
Selon le pape, l’Europe doit également œuvrer à réconcilier le travail avec la personne humaine et ses talents. "Cela implique, d’une part, de repérer de nouvelles manières de conjuguer la flexibilité du marché avec les nécessités de stabilité et de certitude des perspectives d’emploi, indispensables pour le développement humain des travailleurs", a expliqué le pape. "D’autre part, cela signifie favoriser un contexte social adéquat, qui ne vise pas l’exploitation des personnes, mais à garantir, à travers le travail, la possibilité de construire une famille et d’éduquer les enfants", a-t-il poursuivi.
Le pape a encouragé l’UE pour qu’elle fasse preuve de soutien réciproque dans sa politique migratoire, faute de quoi "des solutions particularistes aux problèmes" seraient encouragées "qui ne tiennent pas compte de la dignité humaine des immigrés". Il a indiqué que l’Europe sera capable de faire face aux problématiques liées à l’immigration "si elle sait proposer avec clarté sa propre identité culturelle" et si elle adopte des législations qui protègent les droits des citoyens européens tout en garantissant l’accueil des migrants. A cela s’ajoute selon lui une politique de développement "courageuse" au lieu des "politiques d’intérêt", qui aiderait les pays d’origine à résoudre leurs problèmes sociopolitiques et leurs conflits internes.
Le pape a expliqué que l’UE doit avoir une identité plus consciente dans sa politique de voisinage et dans sa politique d’élargissement. Il prône l’élargissement de l’UE vers l’aire balkanique, "pour lesquels l’entrée dans l’Union européenne pourra répondre à l’idéal de paix dans une région qui a grandement souffert des conflits dans le passé".
"L’Europe qui contemple le ciel et poursuit des idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe qui chemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toute l’humanité !", a conclu le pape.
Dans un communiqué, le groupe du PPE soutient l’appel du pape "à un réveil de l’Europe". "Dans son discours, le pape appelle à un réveil de l'Europe. Nous devons résister à la tentation de l'égoïsme et donner à l'Europe un nouveau départ qui soit fondé avant tout sur les valeurs et les idées et non sur l'argent et l'économie", a déclaré Manfred Weber. "En ces temps difficiles, alors que les tensions se multiplient tant sur notre continent qu'à l'extérieur de celui-ci, les Européens ne doivent pas céder à la peur de l'autre et à la méfiance. Le pape François nous encourage à lutter pour la paix, pour le respect de la dignité humaine, pour la solidarité et pour combattre la pauvreté partout dans le monde", a-t-il conclu.
Le groupe des socialistes européens (S&D) a jugé l’intervention du pape François comme "un message de vérité qui doit réveiller l’Europe". Selon ses députés, le discours a eu quelques messages "strictes" visant à réveiller l'Europe et à lui rappeler sa mission d'origine, en mettant surtout "la dignité humaine" et "les droits fondamentaux" au centre de ses actions. L’eurodéputé Edouard Martin (S&D) a pour sa part exigé du pape qu’il lance un "appel à la solidarité internationale, particulièrement en se tournant vers sa droite", selon ses propos cités dans un article du quotidien La Croix.
La député verte Ulrike Lunacek a indiqué sur son site internet que le groupe des Verts européens (Verts/ALE) a salué l’engagement du pape en faveur de la paix, de l’unification européenne, la lutte contre le réchauffement climatique, et de la politique migratoire. L’eurodéputée indique que les écologistes ont remis une lettre au pape François. Philippe Lamberts et Rebecca Harms y remercient le pape pour ses "actions décisives" pour "mettre fin aux pratiques financières douteuses" du Vatican. En même temps, les auteurs y soulignent leur préoccupation quant aux "scandales de pédophilie dans l’Église", à la "stigmatisation des homosexuels", et à la "place des femmes" dans l’institution. Mais ils se félicitent aussi de l’engagement du pape en faveur des questions sociales et environnementales.
Les membres de la "Plate-forme laïque" du Parlement européen ont dénoncé une disproportion de l’accueil réservé au pape, comparé aux autres traditions religieuses. "L’hémicycle n’est pas un endroit fait pour passer des messages religieux", martèle la députéé néerlandaise Sophie In’t Veld (ALDE), qui préside la plate-forme. "Nous ne considérons pas que le monologue d’un leader religieux dans l’hémicycle du Parlement européen, la chambre où sont représentés les citoyens, est le format approprié pour engager un dialogue sur les valeurs", dénonce-t-elle dans une lettre ouverte au président du Parlement, Martin Schulz.