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Pour prévenir le cancer, des eurodéputés appellent à une meilleure régulation des perturbateurs endocriniens
07-01-2015


Le Logo des MEPs against cancer (MAC)Des eurodéputés ont souligné l’importance d’une meilleure régulation des perturbateurs endocriniens pour la prévention du cancer, alors que le dossier visant à une définition de ces substances chimiques nocives a pris du retard. La réunion interparlementaire a été organisée le 7 janvier 2014 par le groupe "MEPs against cancer" (Eurodéputés contre le cancer), l'Association des ligues européennes de lutte contre le cancer (ECL) et l'ONG environnementale Health and Environment Alliance (HEAL).

"Une réglementation efficace sur les produits chimiques qui perturbent le système endocrinien est une opportunité importante pour la prévention primaire des cancers liés aux hormones, dont le cancer du sein, de la prostate et des testicules", a déclaré l'eurodéputée Christel Schaldemose (S&D), hôte de cette réunion, citée dans un communiqué.

Le contexte

Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances chimiques d'origine naturelle ou artificielle étrangères à l'organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères pour l'organisme. Plusieurs rapports mettent en évidence leur impact sur la santé, dont un rapport de l’ONU et de l’OMS qui conclut que certaines substances peuvent perturber le système endocrinien et causer des cancers. Un autre rapport, publié en novembre 2014, en évidence l'impact des perturbateurs endocriniens chimiques sur la santé reproductive des hommes et les coûts importants qu'ils représentent pour les budgets de santé. L’ONG HEAL chiffre l’impact des perturbateurs endocriniens sur les budgets de santé à 31 milliards d’euros.

La Commission s’était engagée à présenter pour décembre 2013 des mesures de détermination des perturbateurs endocriniens, mais le dossier n’a toujours pas abouti, poussant certains Etats membres à prendre leurs propres initiatives. La France a ainsi élaboré sa propre stratégie nationale visant à réduire l’exposition de la population et de l’environnement aux perturbateurs endocriniens. La Suède avait pour sa part introduit en juillet 2014 un recourscontre la Commission devant la CJUE pour ne pas avoir respecté le délai de décembre 2013.

Quant au Parlement européen, il avait adopté en mars 2013 une résolution appelant la Commission à agir pour réduire l’exposition aux perturbateurs endocriniens, qui faisait suite à un rapport adopté en janvier 2013.

Réactions à la réunion interparlementaire

Convaincu que "réduire l'exposition aux produits chimiques qui perturbent le système endocrinien devrait constituer un élément central de la stratégie de prévention du cancer en Europe", Wendy Tse Yared, directeur d'ECL, a déclaré: "Nous devons saisir chaque opportunité que nous avons de prévenir le cancer. La prévention environnementale est importante. Les cancers liés aux hormones, en particulier ceux du sein et de la prostate, ont augmenté au cours des dernières décennies. Aujourd'hui, le cancer du sein est le cancer le plus fréquemment diagnostiqué chez les femmes en Europe et le cancer de la prostate le plus communément diagnostiqué chez les hommes"

Le docteur toxicologiste Marjorie van Duursen a rappelé que, "pour le cancer du sein, de nombreuses études ont montré que l'exposition aux perturbateurs endocriniens comme le bisphénol A ou les pesticides peut affecter négativement le développement normal de la glande mammaire, la rendant potentiellement plus exposée aux risques de cancer".

Génon K. Jensen, directeur de HEAL, a estimé que l’exposition aux perturbateurs endocriniens est l’explication la plus probable du fait que des cancers liés aux hormones, comme celui du sein ou  de la prostate, ont augmenté au cours des dernières décennies".

Une consultation publique "trop technique", estime une coalition d’ONG

En septembre 2014, la Commission a lancé une consultation publique dans l’objectif de "faciliter la définition de critères applicables aux perturbateurs endocriniens". La consultation se termine le 16 janvier 2015.

Le 20 novembre 2014, 19 ONG, dont HEAL, Greenpeace et le Bureau de l’environnement européen (EEB), ont adressé une lettre au président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Regroupés dans la coalition "EDC free Europe" (Europe libre des PE), les ONG appellent Jean-Claude Juncker à agir en faveur d’une définition ainsi que d’une réduction de l’exposition aux perturbateurs endocriniens et à publier sa stratégie relative aux PE. Les ONG annoncent leur volonté de participer à la consultation publique, mais dénoncent son "caractère technique" qui ne viserait pas le public. C’est pourquoi la coalition a créé un formulaire "simplifié" qui aurait permis à plus de 11 000 personnes de participer à la consultation publique de la Commission. Selon ce site, la Commission européenne a "retardé l'action sur les produits chimiques perturbateurs hormonaux en raison du lobbying intensif de l'industrie".

L’influence de l’industrie chimique sur le dossier

La question de la définition touche notamment la législation sur la mise sur le marché de pesticides ou encore le règlement sur l’autorisation des substances chimiques.

Un article du quotidien Le Monde du 2 octobre 2014 met en évidence le poids de l’industrie chimique dans le dossier. Il explique d’abord que la Commission a finalement décidé de lancer une étude d’impact économique, puis mentionne une lettre, publiée par le journal Terra Eco, qui provient du grand producteur de produits chimiques allemand Bayer. Dans cette lettre, Bayer demande à la Commission de se "prononcer en faveur de la mise en œuvre d’une étude d’impact", mais met en même temps en garde contre les "impacts massifs" qu’aurait "la mise en œuvre du concept actuel de la DG Environnement" sur les entreprises européennes du secteur chimique. Bayer ajoute que ce concept "nuirait de manière particulièrement significative à la compétitivité" des entreprises. En réponse au journaliste du Monde, la Commission précise que "ce n’est pas une seule lettre, issue d’une seule entreprise, qui a un poids dans ce processus".

Le Monde relate une autre lettre du 2 juillet 2014, également publiée par Terra Eco, signée par Catherine Day, la secrétaire générale de la Commission, aux DG de l’environnement et de la santé des consommateurs. Elle appelle à procéder au préalable à une étude d’impact et une consultation publique parce que l’élaboration des critères de définition des perturbateurs endocriniens "est sensible en raison de la divergence de vues au sein de la communauté des parties prenantes et des impacts potentiels sur certains secteurs de l’industrie chimique et le commerce international". La réponse de la Commission au Monde : Afin d’élaborer "les bons" critères scientifiques, "une étude d’impact est donc essentielle et ceci est maintenant en cours".

Le renvoi d’une conseillère controversée

Le journal relève également le renvoi de la Conseillère scientifique principale (Chief Scientific Adviser, CSA), un poste créé en 2012 par l’ancien président de la Commission José Manuel Barroso et occupé par la professeure Anne Glover. Son mandat, arrivé à terme le 31 octobre, n’a pas été prolongé par Jean-Claude Juncker en novembre 2014, note Euractiv. Le journal en ligne cite une porte-parole de la Commission selon laquelle Jean-Claude Juncker n’a pas encore décidé "comment institutionnaliser ce conseil scientifique indépendant". La Commission lui aurait confirmé que la fonction du CSA aurait "cessé d’exister", a écrit Anne Glover dans une lettre citée par The Guardian

Selon un article du quotidien britannique Telegraph, la décision de Jean-Claude Juncker intervenait sous pression de la France qui aurait insisté sur la suppression du poste, en raison des "opinion inacceptables" de la conseillère sur les OGM.

Une coalition d’ONG avait également demandé sa démission, dans deux lettres adressées au président de la Commission, qui critiquent notamment que le poste "concentre trop d’influence dans une seule personne et sape une recherche scientifique approfondie conduite pour ou par la Commission". Les ONG reprochent à Anne Glover d’être à l’origine du retard qu’a pris le dossier des perturbateurs endocriniens, notamment à cause d’une lettre à la DG Environnement dans laquelle elle demande à "être impliquée déjà à un stade précoce dans les dossiers scientifiques aussi sensibles et aussi controversés". Pour Greenpeace et  l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO), cette lettre était "une attaque sur le processus décisionnel scientifique". Anne Glover "a court-circuité les processus scientifiques institutionnels de la Commission et a créé l’impression qu’il y avait une controverse scientifique significative sur la définition des perturbateurs endocriniens, alors que votre propre documentation a montré qu’il n’y en a pas", expliquent-ils dans une lettre adressée le 23 septembre 2014 à la professeure. Dans sa réponse, Anne Glover a pour sa part démenti être à l’origine de ce retard.

Néanmoins, Anne Glover a reçu le soutien d’une quarantaine d’organisations scientifiques qui ont adressé une lettre à Jean-Claude Juncker en sa faveur, note Euractiv. L’organisation patronale Businesseurope avait également plaidé pour le maintien de son poste.