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La Cour de Justice de l’Union européenne rend un arrêt en faveur de l’égalité salariale pour les travailleurs détachés
12-02-2015


CJUELa Cour de Justice de l’Union européenne a rendu, le 12 février 2015, un arrêt (C-396/13) en faveur de l’égalité salariale des travailleurs détachés. Cet arrêt interprète l’article 3.1 de la directive 96/71/CE sur le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, article qui garantit au travailleur le taux de salaire minimal en vigueur dans le pays d’accueil. En apportant des précisions sur la manière dont doit être calculé le salaire minimal et ce qu'il doit inclure, telles les indemnités de trajet et les indemnités journalières, l’arrêt constitue pour la Confédération européenne des syndicats (CES) une rupture par rapport à la jurisprudence fort contestée des arrêts Laval et Viking de 2007 qui avait alors suscité un vif débat sur les conséquences de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement pour la protection des travailleurs détachés ainsi que, plus largement, sur la capacité des syndicats à protéger les droits des travailleurs dans les situations d’emploi transfrontières. Pour la CES, cet arrêt est une victoire en vue de l'égalité salariale et donne l'occasion aux États membres de mieux encadrer l'emploi sur leur sol de travailleurs détachés.

Le contexte

Elektrobudowa Spółka Akcyjna ("ESA"), une société polonaise, a conclu, en Pologne et en application du droit polonais, des contrats de travail avec 186 travailleurs avant de détacher ces derniers auprès de sa succursale finlandaise pour qu’ils effectuent des travaux d’électrification sur le chantier de la centrale nucléaire d’Olkiluoto. Ces travailleurs ont estimé que l'ESA ne leur a pas accordé la rémunération minimale prévue par les conventions collectives finlandaises conclues dans leur branche de travail (électrification et installations techniques du bâtiment). Ils ont fait appel au syndicat finlandais du secteur de l'électricité pour se faire représenter et pour que celui-ci assure le recouvrement de ce qu'il leur est dû.

Pour mémoire, la directive relative au détachement des travailleurs prévoit qu’en matière de taux de salaire minimal, les conditions de travail et d’emploi garanties aux travailleurs détachés sont fixées par la réglementation de l’État membre d’accueil et/ou, dans le secteur de la construction, par des conventions collectives déclarées d’application générale dans l’État membre d’accueil.  La loi finlandaise relative au détachement des travailleurs prévoit que le salaire minimal est une rémunération déterminée sur la base d’une convention collective d’application générale.

Le différend qui oppose les travailleurs détachés et l'ESA porte sur plusieurs questions :

  • Le problème de la rémunération repose sur le fait que les conventions collectives finlandaises établissent des classes de rémunération ou des groupes de salaires déterminés, où le calcul du salaire minimal à l'heure (rémunération par unité de temps) ou à la tâche (rémunération au rendement) est différent. L'ESA ne souhaite qu'appliquer la plus basse des rémunérations prévues.
  • L’ESA refuse d'inclure dans le salaire minimal les indemnités journalières, de trajet, d'accorder un pécule de vacances ou de prendre en charge l'hébergement.
  • Selon la société polonaise, le syndicat finlandais ne serait pas apte à représenter les travailleurs polonais, car le droit polonais interdit la cessation des créances découlant d'une relation d'emploi.

La jurisprudence rendue par l’arrêt

Saisie par le tribunal de première instance du Satakunta (Finlande), la CJUE a établi les points suivants :

  • Il résulte "sans ambigüité" de la directive relative au détachement des travailleurs que les questions portant sur le taux de salaire minimal sont régies, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, par la réglementation de l’État membre d’accueil, à savoir la Finlande. Le droit procédural de l’Etat d’accueil doit donc s’appliquer. La Cour précise également que la Charte des droits fondamentaux garantit le droit au recours effectif, c’est-à-dire qu’un syndicat du pays d’accueil peut représenter des travailleurs détachés, et qu’il convient de respecter ce droit.
  • Le mode de calcul du taux du salaire minimal et les critères retenus à son sujet doivent également être du ressort de l’État membre d’accueil. En effet, la directive ne s’oppose pas à un calcul du salaire minimal à l’heure et/ou à la tâche, fondé sur le classement des travailleurs en groupes de rémunération, à condition que ce calcul et ce classement soient effectués selon des règles contraignantes et transparentes, ce qu’il incombe au juge national de vérifier.
  • L’indemnité journalière de détachement doit être qualifiée d’allocation propre au détachement. Elle fait partie, conformément à la directive, du salaire minimal au même titre par exemple que pour un travailleur détaché dans une autre région d’un même Etat). L’indemnité du temps de trajet quotidien doit également en faire partie.
  • Les dépenses liées au logement ainsi que les bons d’alimentation ne peuvent cependant constituer des éléments du salaire minimal.
  • Le droit à une période annuelle de congé payé fait partie intégrante du salaire minimal. Le pécule de vacances minimal qui est accordé au travailleur détaché doit donc correspondre au  salaire minimal auquel il a droit durant la période de référence.

La réaction de la CES

La CES, dansConfédération européenne des syndicats un communiqué de presse, a vivement salué le jugement de la CJUE, estimant qu’il était "absolument nécessaire pour la dignité des travailleurs détachés". Veronica Nilsson, Secrétaire confédérale, ajoute : "c’est le principe de l’égalité salariale qui l’a emporté sur le dumping social et la compétition à tout prix".