Le 21 mars 2012, la Commission européenne présentait deux propositions de textes en vue d’adapter la législation européenne sur le détachement des travailleurs. Selon la Commission, l’objectif était de clarifier l’exercice des droits sociaux des travailleurs détachés, de mettre fin "aux abus inacceptables" constatés en la matière et de garantir le droit de grève.
Ces deux textes (une proposition de directive relative à l'exécution de la directive 96/71/CE sur le détachement et une proposition de règlement relatif à l’exercice du droit de mener des actions collectives) avaient été promis dès 2009 devant le Parlement européen par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, en réponse à la jurisprudence développée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le sujet entre 2007 et 2008.
Adoptée en 1996, la directive 96/71/CE, relative au détachement de travailleurs, avait pour objectif "de concilier l’exercice de la liberté de fournir des services transfrontaliers et la protection appropriée des droits des travailleurs détachés temporairement à l’étranger à cet effet". Elle établissait ainsi "un socle de conditions de travail et d’emploi, qui doivent être respectées par le prestataire de services dans le pays d’accueil pour qu’une protection minimale des travailleurs soit garantie", selon la Commission.
Or, l’interprétation de cette directive par la Cour de justice de l’Union avait mis en évidence un certain flou dans l’exercice des droits sociaux des travailleurs détachés. Selon la jurisprudence exprimée par la CJUE dans quatre arrêts rendus sur le sujet entre 2007 et 2008 (affaires Viking Line, Laval, Rüffert et Commission/Luxembourg), les droits fondamentaux étaient susceptibles de subir des restrictions et des limitations. Selon la Cour, les droits des syndicats à entreprendre une action collective ou à faire respecter les conditions minimum de travail par les prestataires de services étrangers pouvaient ainsi être limités par les principes européens de liberté de circulation et d’établissement.
Ces arrêts ont suscité un large débat sur les conséquences de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement sur la protection des travailleurs détachés ainsi que, plus largement, sur la capacité des syndicats à protéger les droits des travailleurs dans les situations d’emploi transfrontières. Si pour la plupart des Etats membres et l'organisation faîtière des patronats européens, BusinessEurope, les clarifications de la Cour étaient jugées satisfaisantes, du côté des syndicats européens, en revanche, c’est une politique « antisociale » qui était dénoncée.
La Confédération européenne des syndicats (CES) avait de fait pointé du doigt un "permis de bradage social" qui encouragerait une concurrence déloyale et un dumping social. Et les syndicats européens et appuyés par plusieurs groupes politiques du Parlement européen de revendiquer la révision de la directive pour y faire primer les droits fondamentaux sur les libertés économiques.
Les propositions de mars 2012 sont loin d’avoir apaisé la polémique. Alors que la Commission se félicitait d’"une intervention ciblée visant à définir plus clairement l’interaction entre l’exercice des droits sociaux et l’exercice, au sein de l’UE, de la liberté d’établissement et de la libre prestation des services garanties par le traité, conformément à l’un des objectifs principaux du traité (une «économie sociale de marché hautement compétitive»), sans toutefois renverser la jurisprudence de la Cour", pour la CES, au contraire, cette réglementation affaiblirait "le droit de grève".
Plusieurs Parlements nationaux s’étaient alors montrés critiques. Dans un avis motivé voté le 15 mai 2012 à l’unanimité, la Chambre des députés luxembourgeoise avait considéré la proposition de règlement sur le droit de grève contraire au principe de subsidiarité. Douze parlements nationaux au total (luxembourgeois, belge, danois, finlandais, français, letton, maltais, polonais, portugais, suédois néerlandais et britannique), pesant pour 19 voix sur 54 en termes de votes pondérés, se sont prononcés de manière similaire.
Dès lors, en réunissant plus d’un tiers des voix leur étant accordées, une première depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les parlements nationaux ont ainsi déclenché le mécanisme du "carton jaune" (Protocoles 1 et 2 du TFUE), obligeant la Commission à réexaminer un projet d’acte législatif.
En septembre 2012, la Commission préférait finalement reculer, annonçant le retrait du projet de règlement contesté. Pour l’institution bruxelloise, ce n’est pas la procédure du carton jaune qui aura motivé ce repli, mais une écoute du débat politique qui l’a poussé à conclure que sa proposition ne réunirait pas le soutien nécessaire au Conseil et au Parlement européen.
Les réactions face à ce retrait ont été nombreuses. En effet, tant la Confédération européenne des syndicats (CES) que BusinessEurope se sont félicités de cette décision, mais pour des raisons opposées. Tout en saluant le retrait du projet de mars 2012, la CES s’est inquiétée de l’absence de solution face aux inquiétudes soulevées par les arrêts de la Cour de justice tandis que BusinessEurope se satisfaisait du maintien en l’état de la jurisprudence de la CJUE.
La proposition de directive d’exécution de la directive sur le détachement, actuellement examinée au Parlement européen et au Conseil européen, n’est pas non plus exempte de craintes.
Pour les syndicats OGBL et LCGB, la proposition de directive ne doit pas devenir un instrument servant à réintroduire le principe du pays d’origine sur le marché du travail européen, mais doit pouvoir renforcer les mesures de prévention et de contrôle et en particulier la légitimité des services d’inspection nationaux en la matière.
En outre, les syndicats ont rappelé à cette occasion au ministre la nécessité d’inclure à leurs yeux un dispositif de responsabilité solidaire en cascade et sans condition permettant de mettre en cause la responsabilité du maître d’ouvrage pour l’ensemble de ses sous-traitants et entreprises internalisées. Une proposition déjà avancée par la Commission mais remise en question au sein du Conseil et du Parlement.