L’eurodéputé Frank Engel (PPE) est le seul membre luxembourgeois de la commission spéciale mise en place par le Parlement européen dans la foulée de l’affaire Luxleaks.
Dans un entretien publié par le Quotidien dans son édition du 2 mars 2015, il évoque avec la journaliste Geneviève Montaigu sa perception de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux.
L’eurodéputé, qui a aussi été membre de la commission spéciale sur la crise et a passé à ce titre du temps en Grèce, commente aussi les choix du nouveau gouvernement grec.
Pour Frank Engel, interrogé sur la commission spéciale du Parlement européen sur les rescrits fiscaux, "il y a un intérêt légitime par rapport à une pratique qui ne [lui] inspire pas que du positif". Il raconte à la journaliste que beaucoup de collègues, bien conscients que nombreux sont les Etats membres qui pratiquent le ruling, l’interrogent "sur la politique luxembourgeoise en matière de rescrits fiscaux pour essayer de comprendre le phénomène". Il évoque aussi "un certain nombre de collègues franchement hostiles au Luxembourg, comme l'ancienne juge Eva Joly", contre lesquels "nous n'avons rien à gagner, mais ils sont marginaux".
Frank Engel précise toutefois que pour l'instant, les eurodéputés de cette commission spéciale n’ont eu qu’une réunion d'une heure pour constituer le bureau, et n’ont pas de plan de travail. "Rien n'est clair", juge-t-il avant d’évoquer une réunion de travail prévue le 9 mars 2015. "La décision d'instituer cette commission porte sur six mois et elle expirera à la fin juillet, donc je suppose que nous allons de toute façon déjà devoir prolonger", confie-t-il à Geneviève Montaigu avant d’appeler à "se mettre au travail rapidement".
Selon Frank Engel, la commission spéciale va sans doute se focaliser "sur les pays où la pratique est très développée". Il imagine par conséquent que les visites prévues par la commission ECON au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Irlande avant la création de la commission spéciale "reviendront à l’ordre du jour". Pour ces visites, "nous dépendons de la bonne volonté des pays membres de nous recevoir ou de venir nous voir", précise Frank Engel qui raconte avoir "insisté auprès des acteurs luxembourgeois pour qu'ils soient coopératifs". Car de son point de vue, "nous n'avons rien à cacher" et "il s'agit maintenant d'expliquer" que "la pratique des rescrits est certes contestée, mais n'a rien d'illégal".
Pour l’eurodéputé luxembourgeois, qui se montre vivement opposé à des taux d’imposition trop élevés, il n'est toutefois "pas normal que certaines grandes entreprises parviennent à ne pas payer d'impôt ou presque". Aussi, il estime qu’il faut aller vers "une logique commune qui tient en une imposition juste". Ce qui ne signifie pas pour autant "harmonisation" à ses yeux.
De son point de vue, "il peut y avoir une continuité de concurrence fiscale mais dans un cadre organisé". "Pour l'imposition des sociétés, il faut revenir à une base d'imposition commune", avance Frank Engel qui assure que le Luxembourg le demande depuis longtemps.
Interrogé sur l’image que le pays devrait donner dans le cadre du "nation branding", Frank Engel souligne que le Grand-Duché est "un tout petit territoire avec une économie basée aux neuf dixièmes sur les services à dominante financière". Un des arguments qu’il défend au Parlement européen, est par exemple qu’il faudrait veiller à "la permanence de centres financiers en zone euro".
"Ma démarche a toujours été de dire que le Luxembourg connaît son métier et tout le monde peut profiter d'un centre financier propre et bien régulé dans la zone euro", indique-t-il dans ce contexte. Et lorsque la journaliste lui demande si le moment n’est pas "mal choisi pour vendre la compétence de la place financière luxembourgeoise", il répond que "c'est précisément dans les moments où on est acculé qu'il faut savoir rebondir".
Interrogé sur sa perception du nouveau gouvernement grec, Frank Engel estime qu’il "ne pourra pas tenir ses promesses électorales". Pour autant, "tout n'est pourtant pas déraisonnable" à ses yeux et il donne crédit à un certain nombre d’arguments avancés par l’équipe du Premier ministre Alexis Tsipras.
"Il y a un gouvernement légitime en Grèce qui n'a aucune expérience et qui a besoin de temps et c'est précisément ce qu'il demande pour pouvoir mettre en œuvre les éléments de son programme", commente l’eurodéputé PPE en soulignant que "nous n'allons pas mourir en donnant quelques mois à la Grèce pour voir si son programme mène à quelque chose ou non".
"Le nouveau gouvernement dit qu'il ne peut résoudre le problème de la dette simplement en la remboursant, car les conditions ne sont pas réunies pour le faire dans la dignité", rappelle-t-il avant de lancer que "là, il a raison!". Devant l’exil de près d’un quart de million de jeunes Grecs qualifiés depuis le début de la crise, Frank Engel craint qu’il n’y ait d’ici quelques années "plus personne en Grèce pour rembourser la dette".
"Je suis également tout à fait d'accord avec Syriza quand il refuse de privatiser des infrastructures qui sont actuellement bradées parce que cela ne leur rapportera rien à l'avenir", ajoute Frank Engel. "Nous aurions dû faire un effort européen et aider les Grecs à trouver des investisseurs chez nous en Europe pour qu'ils ne soient pas contraints d'aller se prostituer devant les cheiks du Golfe et autres qui veulent pignon sur la Méditerranée pour peu de sous. Mais nous ne l'avons pas fait, on s'est contenté de dire aux Grecs de se débrouiller tout seuls pour privatiser dans des conditions impossibles", explique-t-il à Geneviève Montaigu.