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Commerce extérieur - Traités et Affaires institutionnelles
TTIP – Le président de la commission INTA du Parlement européen Bernd Lange a dressé à Luxembourg un état des lieux des négociations et fait l’inventaire de ce qui pourra se faire et de ce qui ne se fera pas
10-03-2015


lange-bernd-luxembourg-150310-bLa Fondation Robert Krieps et l'eurodéputée Mady Delvaux-Stehres (S&D) avaient invité le 10 mars 2015 le député européen SPD Bernd Lange, président de la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, à tenir une conférence publique sur l'accord de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis (TTIP). Les organisateurs du débat avaient en amont salué "le débat public qui s’est engagé après les cachoteries bureaucratiques du début" et avaient affiché leur ambition d’apporter leur contribution en invitant Bernd Lange à Luxembourg.

La commission INTA que Bernd Lange préside est en tant que telle compétente pour tous les traités commerciaux de l’Union européenne. Lui-même est le rapporteur principal pour le TTIP et vient de soumettre fin février 2015 un projet de rapport sur le TTIP, dans lequel il demande au nom du Parlement européen, qui est l’un des deux législateurs européens essentiels pour un accord final, un traité ambitieux, équilibré et global entre l’UE et les Etats-Unis.

Pour le parlementaire européen, le temps est venu de dresser un bilan intermédiaire, de définir vers où l’UE veut aller, "de sortir le navire de la tempête et de le ramener vers des eaux plus calmes" après "une communication totalement ratée et le manque de transparence jusqu’à octobre 2014", donc du temps de l’ancienne Commission. Pour lui, il est tout à fait normal que la population s’inquiète quand elle ne dispose pas des documents essentiels d’un traité aussi controversé. "Heureusement, la nouvelle Commission a pris un nouveau chemin" avec la publication des documents fondamentaux après chaque nouveau round de négociations, permettant ainsi "une discussion constructive et rationnelle". Bernd Lange a été très clair : "Sans transparence, il n’y aura pas d’accord !"

Bernd Lange a ensuite exposé les raisons pour lesquelles les sociaux-démocrates européens sont prêts à négocier le TTIP avec les USA. L’économie globale évolue vers le démantèlement des barrières commerciales et vers une circulation des capitaux qui sont investis là où ils rapportent le plus. Dans de telles circonstances, il faut des règles qui mettent des limites au dumping social et écologique, et "une régulation équitable de la mondialisation" dans le cadre du TTIP qui couvrirait 50 % de l’économie mondiale. Par ailleurs, les chaînes de valeur sont elles aussi globales. Il est donc crucial de s’accorder sur des "normes raisonnables" qui stabiliseront l’industrie et l’emploi dans l’UE.

Bernd Lange décrit le TTIP comme un traité à trois corbeilles : l’accès aux marchés, les barrières commerciales et les règles collatérales.

L’accès aux marchés est régulé par les droits de douane, qui sont en général bas entre l’UE et les USA, mais il y a des exceptions dans des secteurs comme la céramique ou l’automobile. L’UE se heurte par ailleurs aux USA aux implications de la très protectionniste loi dite "Buy American Act" qui impose depuis 1933 l'achat de biens produits sur le territoire américain pour les achats directs effectués par le gouvernement américain. Cette règlementation affecte selon Bernd Lange avant tout le secteur des services et de l’aviation. De l’autre côté, l’UE voudrait ouvrir ses marchés publics aux entreprises américaines, mais demande aussi l’inverse.

Les barrières commerciales sont surtout dues aux normes. Il ne s’agit pas selon Bernd Lange de les adapter les unes aux autres, mais de les reconnaître mutuellement ou de reconnaître les certifications des uns et des autres. Mais même cela s’avérera difficile, puisqu'en 20 ans, six accords seulement ont pu être trouvés avec les USA sur des reconnaissances de certifications sectorielles. Il y aura de toute façon des exceptions comme l’industrie chimique, où les différences normatives sont trop grandes, de sorte qu’il faudra se contenter d’une information mutuelle. De même, dans l’alimentation, les règles sanitaires sont trop divergentes, de sorte que "le poulet au chlore" et la "viande aux hormones" ne feront pas partie de la masse négociable. Certains services seront concernés comme l’ingénierie et l’architecture, mais d’autres, qui touchent à l'approvisionnement de base, comme l’eau, la santé, la formation des adultes seront exclus et continueront de relever en règle générale d’entreprises règlementées, publiques ou semi-publiques.

Et comme Bernd Lange l’expliquera à un autre moment, les USA se refusent aussi à inclure les services financiers, avançant des arguments de souveraineté nationale qu’il estime oiseux, dans la mesure où il y existe des décisions du G20 et donc aussi des USA qui ont poussé vers plus de régulation dans le secteur. Reste qu’il lui semble raisonnable de s’abstenir, vu les réticences des USA sur la question et parce qu’ils ont des réglementations plus restrictives que l’UE pour le secteur financier. "Plutôt que de surcharger le navire, il faudrait lâcher du lest pour arriver à bon port", dira-t-il à un certain moment.     

En ce qui concerne les règles collatérales, les appellations d’origine continueront à être protégées. La reconnaissance mutuelle des normes continuera de primer sur l’élaboration de nouvelles normes communes, et si de telles normes devaient être élaborées, Bernd Lange ne voudrait pas que des comités d’experts puissent décider seuls, mais que les nouvelles normes soient soumises par des administrations publiques aux parlements qui trancheront.

Quant au très contesté mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE ou ISDS), il a été créé par les Européens dans les années 50 pour la protection de leurs investissements dans des pays tiers difficiles. Comme ce problème ne devrait pas se poser avec les USA, pays sûr, Bernd Lange estime que le RDIE n’est pas nécessaire. Il écrit en effet dans son projet de rapport : "Un tel mécanisme n'est pas nécessaire dans le PTCI (ou TTIP) compte tenu des systèmes juridiques élaborés dont disposent l'Union européenne et les États-Unis; le règlement des différends entre États et le recours aux juridictions nationales sont les moyens les plus appropriés en cas de litige relatif aux investissements". Au cours de sa conférence, il précisera que le RDIE est également un sujet de controverse au sein du Congrès américain qui est loin de représenter un bloc monolithique sur la question et qui exerce un contrôle démocratique fort sur le sujet.    

Les droits des salariés jouent aussi un rôle dans le cadre des négociations. Il demande "l'application et le respect complets et effectifs des huit conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) et de leur contenu, de l'Agenda pour le travail décent de l'OIT", sachant que les USA n’ont signé que deux de ces conventions et qu’ils doivent donc selon Bernd Lange rattraper ce retard. Pour le groupe S&D au Parlement européen, cet aspect-là est "décisif", a-t-il estimé. Il évoquera par la suite une coopération entre le groupe S&D et les syndicats états-uniens ainsi qu’une campagne commune qui sera lancée en mai 2015 et le souci des sociaux-démocrates européens que le TTIP devienne "un accord dans l’intérêt des travailleurs".

Finalement, Bernd Lange a abordé la question de la diversité culturelle, où des éléments comme les prix fixes pour les livres ne feront pas l’objet de négociations.   

"Les négociations n’ont pas encore pris leur pleine vitesse", a ensuite expliqué Bernd Lange. Cela est dû au fait que les USA veulent d’abord achever les négociations commerciales qu’ils ont entamées dans l’espace du Pacifique, ce qui ne se fera pas avant l’été 2015. S’y ajoute que la majorité politique a changé au Congrès américain, et que l’action de la Trade Promotion Authority (TPA), qui propose les objectifs d’une négociation commerciale au Président et la coordonne, est soumise à l’approbation du Congrès. "La sécurité passe avant la célérité", a conclu Bernd Lange qui se demande si le TTIP pourra encore être conclu sous le mandat du président Obama qui expire fin 2016, jugeant aussi "totalement illusoire" le souhait de la chancelière allemande Angela Merkel que les négociations soient bouclées fin 2015. Pour lui, le TTIP "touche à la conscience démocratique des citoyens de l’UE" et le Parlement européen prend très au sérieux son rôle de contrôle démocratique, comme cela a déjà été le cas avec d’autres accords commerciaux. Bref, si l’on veut aboutir, "il faut prendre au sérieux les souhaits des citoyens".            

La discussion

L’échange de Bernd Lange avec un public informé et intéressé a été long, substantiel et sans esquive.  

Le député socialiste et président de la commission des affaires étrangères et européennes à la Chambre des députés, Marc Angel, a voulu savoir si le TTIP sera considéré comme un accord mixte qui exige une ratification par les parlements nationaux ou un accord commercial simple pour lequel les institutions de l’UE ont une compétence exclusive. Les réponses de la Commission sur cette question sont selon le député "évasives", alors que la commissaire en charge du commerce, Cecilia Malmström, a estimé lors de son passage à Luxembourg fin février 2015 qu’il s’agira de manière "presque sûre et certaine" d’un accord mixte. Le député a également demandé à Bernd Lange d’exposer sa position sur une réouverture de l’accord avec le Canada, le CETA, vu les évolutions de l’attitude de l’UE à l’égard des RDIE qui ont toujours leur place dans le texte actuel mais non signé du CETA.

Pour Bernd Lange, il faudra attendre le projet final du TTIP pour pouvoir décider de manière juridiquement claire s’il sera un accord mixte ou non. Mais selon lui, tant le TTIP que le CETA sont des accords tellement vastes et en même temps controversés qu’il faudrait les considérer comme des accords mixtes qui doivent être discutés dans les parlements nationaux. Quant à la question de savoir s’il faudrait rouvrir le CETA, sa réponse est affirmative, d’abord parce que le texte de 1 600 pages contient encore des erreurs factuelles, ensuite parce que le dispositif RDIE qui y est prévu est "inacceptable dans l’état". La Commission européenne devrait selon lui "tenir compte des réserves au Parlement européen et dans les Etats membres, si elle ne veut pas essuyer une tempête". L’attente va clairement pour Bernd Lange vers des amendements du CETA. Ce travail devrait s’étendre jusqu’à la fin de 2015, puis il faudra traduire l’ouvrage et le soumettre à la mi-2016 au Parlement européen qui le contrôlera.

Bernd Lange a répondu à une question concernant le statut des PME dans le TTIP et le CETA en expliquant que ces accords seraient d’abord utiles aux PME. "Les grandes entreprises n’en ont pas autant besoin et les champions européens et américains pourraient se passer de ces accords", a-t-il précisé. Le TTIP serait par contre un moyen de poser des limites à de très grandes entreprises américaines comme Google qui ne respectent pas les règles de l’UE. Les PME seraient par contre renforcées par le principe de la reconnaissance mutuelle des normes. De toute façon, a-t-il estimé, un accord qui ne bénéficierait pas aux PME ne pourrait pas être approuvé.

La protection des consommateurs par l’UE est constamment renforcée, comme le prouve selon Bernd Lange l’entrée en vigueur en décembre 2014 des nouvelles règles européennes d'étiquetage des denrées alimentaires, et il n’y a donc pas de nécessité à la démanteler. La sécurité alimentaire joue un grand rôle dans les exportations, et selon lui, elle fonctionne très bien également. Néanmoins, pense-t-il, l’UE doit arriver à convaincre les USA que ses règles sont meilleures.    

Comment sortir éventuellement de ces accords, pourquoi des négociations secrètes ? Telles étaient les questions qui ont suivi. Bernd Lange a expliqué que l’UE ne peut sortir de ces accords qu’avec une décision prise à l’unanimité, mais qu’elle peut aussi en suspendre les effets, comme cela a été le cas avec le Sri Lanka. Il trouve leur négociation secrète "scandaleuse" et a expliqué à Cecilia Malmström que "si le public en est exclu, le Parlement européen quittera le navire". Il faut une "transparence formelle" plutôt que des "leaks" et une "coopération règlementaire" pour arriver à bon port.