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Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Frank Vandenbroucke a exposé son plaidoyer pour une Union sociale européenne qui serait une condition pour pérenniser l’Union économique et monétaire en privilégiant l’investissement social et dans le capital humain
05-03-2015


frank-vandenbroucke-bei-150305-source-beiL’Institut BEI, qui a pour vocation de promouvoir les objectifs de l’Union européenne en soutenant les initiatives européennes pour le bien commun, a invité le 5 mars 2014 Frank Vandenbroucke, professeur à l’Université catholique de Louvain et ancien ministre fédéral belge tout comme du gouvernement régional flamand  pendant de nombreuses années à exposer les vues qu’il a développées dans un papier intitulé "The Case for a European Social Union: From Muddling Through to a Sense of Common Purpose" qui date de septembre 2014 et qu’il a présenté déjà à de nombreuses occasions. La conférence de Frank Vandenbroucke fut suivie d’un débat qui lui a permis de préciser certaines des options qu’il prône.

"Les pères fondateurs de l’Europe étaient convaincus que l’intégration économique européenne contribuerait à la prospérité des nations et à la cohésion sociale sans que l’on ait besoin de toucher à la politique sociale qui resterait de leur ressort", a-t-il expliqué. Mais si "l’Histoire ne les a pas désavoués, car il y a plus de prospérité et de cohésion dans les Etats membres, les choses ont changé depuis 2008." Pour que l’UE continue sur la voie du succès, se pose donc la question de savoir comment concilier l’intégration européenne et sa dimension sociale dans le cadre d’un partage des tâches. Le soutien à la relance de la croissance et l’adoption d’une politique macroéconomique sont des mesures utiles qui couvrent le court terme, estime Frank Vandenbroucke, mais à long terme, il faut trouver un compromis sur le rôle que l’UE doit jouer dans la politique sociale et sur celui qu’elle ne doit pas jouer.

Frank Vandenbroucke plaide donc pour une idée cohérente d’Union sociale européenne qui ne se résume pas à une Union des Etats-Providence. Cette Union sociale soutiendrait les Etats-Providence nationaux à un niveau systémique dans leurs fonctions-clés et leur offrirait une guidance pour se développer en vertu de normes sociales et d’objectifs communs dont la mise en œuvre et les moyens choisis relèveraient de la compétence des Etats sur la base d’une définition opérationnelle du "modèle social européen". 

Dans son exposé, Frank Vandenbroucke a mis l’accent sur le fait que les problèmes se posaient autrement dans la zone euro que dans l’UE des 28, et que l’idée que l’on se fait de la solidarité dans les Etats membres et entre Etats membres est une chose très complexe qui demande à ce que l’on arrive à définir ensemble une idée plus normative de la solidarité.

La zone euro et l’UEM exigent pour mieux fonctionner à terme une double approche combinée : que soient menées des politiques visant la symétrie entre les Etats membres et des politiques visant la flexibilité en leur sein.

L’UE doit aller vers plus de symétrie, pas seulement entre les économies, mais aussi entre les systèmes de formation des salaires et les systèmes de transferts sociaux, y compris entre les systèmes de pensions. Cela est nécessaire, estime l’expert belge, parce que l’UEM est marquée par plusieurs faiblesses qui peuvent la fragiliser : le fait qu’il n’y a pas de payeur en dernier ressort, et que les divergences entre Etats membres de la zone euro sont fortes en termes de compétitivité, de sorte que d’aucuns sont en crise quand d’autres prospèrent.

Les politiques de flexibilité déterminent l’ordre social dans un Etat membre, juge Frank Vandenbroucke. Dans son papier, il ne nie pas que les processus qu’elles induisent puissent être douloureux. Mais il est convaincu que la négociation tarifaire coordonnée a des avantages et qu’une approche symétrique des questions de compétitivité est incontournable pour que la convergence dont l’UEM a besoin puisse se mettre en place, car "il y a des limites aux divergences avec lesquelles on peut vivre". Le besoin existe dès lors d’une "main visible" qui organise ces démarches coordonnées.

Vue sous cet angle, la définition des objectifs sociaux de l’UEM n’apparaît pas comme un luxe, mais comme une nécessité. Un consensus sur le modèle social européen est selon Frank Vandenbroucke nécessaire pour assurer la durabilité de l’UEM. Et il décline : A court terme, l’UEM doit être stabilisée. A moyen terme, il lui faut des lignes directrices pour atteindre une symétrie entre des coûts salariaux compétitifs et développer ce qui est d’ores et déjà dans la compétence des institutions européennes. A long terme, la durabilité des systèmes de pension doit être assurée. Si cette convergence n’est pas atteinte, il y aura de gros problèmes sur les marchés. Mais avant tout, il faudra investir sur le long terme dans le capital humain qui est menacé par les déséquilibres macroéconomiques et sociaux, notamment dans les pays en crise qui se caractérisent tous par le grand nombre de personnes peu qualifiées au chômage et par un taux d’emploi bas. Un élément que Frank Vandenbroucke a placé au centre d’une série de recommandations soumises en mars 2015 par le think tank "Friends of Europe".  

Frank Vandenbroucke voit de l’autre côté l’Union sociale européenne aussi comme un moyen d’accomplir l’intégration de l’UE des 28 et de garantir des règlementations sociales équilibrées. La question du dumping social doit être affrontée sous l’égide de la subsidiarité et avec des moyens proportionnels qui tiennent compte de la jurisprudence Laval-Viking. Souveraineté sociale et clause sociale horizontale devraient pouvoir être conciliées à condition que les parties prenantes jettent un double regard pan-européen et intérieur sur les questions qu’elles doivent aborder dans une perspective de solidarité et de cohésion sociale interne. Il s’agit en fait de revenir aux impulsions des pères-fondateurs de l’intégration européenne, sachant néanmoins que l’UEM et l’élargissement ont rendu les choses plus complexes, crise ou pas crise.

Un impératif pour que cette Union sociale européenne fonctionne est l’investissement social. Frank Vandenbroucke a une liste. Y figurent les enfants, le capital humain, les mécanismes qui permettent de concilier travail et famille, la retraite plus tard, mais aussi plus flexible, les migrants et leur intégration par l’éducation et la participation, un revenu minimum et la formation professionnelle. Le social-démocrate Vandenbroucke a admis que sa liste n’avait "rien d’original". Beaucoup de ces éléments se retrouvent dans les propositions de l’ancien commissaire européen aux affaires sociales, Laszlo Andor, mais peu a été mis en œuvre. Et dans certains pays, les dépenses en matière d’éducation ont même baissé. Or, pour l’expert belge, discipline budgétaire et investissement social doivent aller de pair et être soutenus par l’UE, et cela de manière systémique dans le cadre d’une Union sociale européenne forte sur les contenus des normes sociales, qui n’exclurait pas le principe du salaire minimum au niveau européen et qui laisserait aux Etats membres le soin de choisir leur voie pour ce faire.

Frank Vandenbroucke a saisi l’occasion pour exprimer ses regrets quant au fait que les "arrangements contractuels" proposés en décembre 2012 par l’ancien président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, dans sa feuille de route pour une "authentique Union économique et monétaire" et repris en mars 2013 par la Commission dans ses propositions pour approfondir l’UEM ont été laissés tomber. Pour mémoire : il était prévu de créer un instrument de convergence et de compétitivité (ICC) basés sur deux instruments : la conclusion d’arrangements contractuels par lesquels les États membres se seraient engagés à entreprendre certaines réformes et un soutien financier pour les aider à les mettre en œuvre. Ces deux instruments seraient venus compléter l’architecture déjà existante pour la surveillance des politiques économiques et budgétaires au niveau de l’Union, déjà renforcées par l’instauration du semestre européen et les réformes dites du six-pack et du two-pack.  

Reprenant son bon mot qui a servi de titre à une autre grande étude sur le même sujet qu’il avait dirigée et qui avait parue au printemps 2014,  "A European Social union: 10 tough nuts to crack", Frank Vandenbroucke a estimé que l’Europe avait encore "plein de grosses noix à casser".

La discussion a permis au conférencier de préciser sa pensée à l’exemple . Interrogé sur les échecs et les succès du gouvernement Monti - premier gouvernement anti-crise en Italie après Berlusconi entre 2011 et 2013 - , Frank Vandenbroucke a estimé que Mario Monti aurait mieux réussi s’il avait été "plus pratique". Il a certes agi sur les taux d’intérêt, mais il n’a pas su selon l’expert miser sur des "actions collectives" qui auraient créé de la confiance autour de la question de la dette souveraine, ce qui est plus important. Il a aussi plaidé pour un salaire minimum en Europe, excluant que celui-ci puisse être identique partout. Par ailleurs, il a rappelé la jurisprudence de la CJUE qui demande à chaque Etat membre de définir clairement le salaire minimum dans sa législation. L’important serait que ce salaire minimum soit "décent" dans tous les Etats membres. Il a par ailleurs estimé que la BEI et le Fonds européens des investissements stratégiques (FEIS ou EFSI) pourraient jouer un rôle dans les investissements dans l’éducation, par exemple en cofinançant des infrastructures éducatives et des maisons d’étudiants. Finalement, il a estimé que la seule guidance de l’UE envers les Etats membres de la zone euro en matière de formation des salaires n’était pas suffisante, car le passage à la mise en œuvre demeure difficile. D’où pour lui la nécessité que l’on investisse au niveau de l’UE dans la coordination des politiques salariales.