Dans la nuit du 18 au 19 avril 2015, un nouveau drame s’est produit en Méditerranée. Il pourrait s’agit de la "pire tragédie" de ce genre, selon l’Union européenne. En effet, un chalutier avec à son bord plus de 700 migrants a chaviré à environ 60 miles (110 km) des côtes libyennes. A 07h30 le 20 avril, le bilan officiel était de 24 morts et de 28 survivants, selon les garde-côtes italiens qui coordonnent les secours, fait savoir l’Agence France-Presse (AFP). Mais le parquet de Catane (Sicile) a indiqué qu'un de ces 28 survivants qu'elle a pu interroger, avait mentionné la présence de 950 personnes à bord du chalutier, dont une cinquantaine d'enfants et quelque 200 femmes. Les garde-côtes italiens n’ont cependant pas pu confirmer ces chiffres et ont par ailleurs indiqué qu’aucun autre survivant ou nouvelle victime n'avaient pu été retrouvés, tout en précisant que ce chalutier de 20 mètres de long "a la capacité de transporter plusieurs centaines de personnes".
L'Union européenne s'est dite "profondément affectée". "Des vies humaines sont en jeu, et l'Union européenne dans son ensemble a l'obligation morale et humanitaire d'agir", a réagi la Commission, qui prépare une nouvelle stratégie sur l'immigration qui doit être adoptée mi-mai.
La Haut-Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, jugeant le nouveau naufrage en Méditerranée "inacceptable" dans "une union fondée sur des principes de solidarité, de respect des droits de l'homme et de dignité pour tous", a indiqué dans un communiqué qu’il était désormais temps, pour l’Union européenne, de s’attaquer à ces tragédies sans plus attendre". La Haute-Représentante a donc décidé de mettre cette question à l'agenda de la réunion des ministres des Affaires étrangères réunis en formation Conseil ce 20 avril à Luxembourg. Les ministres de l’Intérieur des 28 participeront également. Ils devraient discuter de l'assistance que pourrait fournir l'UE à un gouvernement d'unité nationale actuellement en pourparlers en Libye.
Le commissaire européen chargé de l'Immigration, Dimitris Avramopoulos, qui devait se rendre le 20 avril en Espagne pour rencontrer le ministre espagnol de l'Intérieur, Jorge Fernandez Diaz, a annulé sa visite pour assister à la réunion des ministres des Affaires étrangères à Luxembourg. Dimitris Avramopoulos et Jorge Fernandez Diaz devaient justement se rendre à Ceuta et Melilla, deux enclaves espagnoles au Maroc, qui sont aussi les deux seules frontières terrestres entre l'Afrique et l'Europe et qui attirent des milliers de migrants venant de zones de conflit.
Pour le ministre luxembourgeois des affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, "la Libye n’est pas l’origine du problème", mais "les vagues de migrations sont portées en Europe à travers la Libye", selon ses déclarations faites sur RTL le 19 avril 2015. L’origine de ces vagues de migrations se trouve selon lui dans "les guerres en Syrie, en Irak, au Yémen, en Somalie, et en Libye" et dans "l’instabilité et la pauvreté au Mali, au Niger, en Erythrée, etc.".
Pour ce qui est de la Libye, Jean Asselborn explique que celle-ci se trouve "dans une anarchie totale", où "des bandes opèrent sans scrupules" et se livrent à des "activités de passeurs". "Les conséquences de cela, ce sont les tristes images que nous voyons chaque jour", a-t-il indiqué. Dans ce contexte, l’UE doit selon lui "voir comment sortir la Libye de cette anarchie", et "c’est ce qui est prévu demain [le 20 avril 2015, ndlr] à l’ordre du jour de la réunion des ministres des affaires étrangères". Un envoyé spécial de l’ONU, Bernardino León, serait par ailleurs en train de négocier avec les deux camps principaux en Libye, le camp de Tobrouk, "qui a été légitimement élu par le parlement en Libye", et celui de Tripoli, "le camp qui conteste cette légitimité", explique le ministre. Il indique que s’il devait y avoir un accord, l’UE serait prête, s’il y avait un mandat de l’ONU, "d’apporter de l’aide dans le cadre d’une mission de paix". Ceci permettrait selon lui de contrôler les frontières de la Libye. "Mais nous n’en sommes pas encore arrivés là", souligne Jean Asselborn. "Nous nous trouvons actuellement dans une phase où l’UE doit éviter qu’il y ait davantage de morts en Méditerranée", a-t-il souligné.
Jean Asselborn estime par ailleurs qu’il faut "renforcer Triton d’une manière telle qu’elle retrouve l’efficacité de Mare Nostrum". "Ceci veut dire qu’il faut mobiliser plus d’argent, plus de bateaux, d’équipements", explique le ministre. "L’Europe ne peut résoudre le problème avec un seul trait de plume, mais elle doit s’organiser d’une manière telle qu’elle peut fournir une aide maximale", car "c’est l’image de l’Europe qui est en jeu", a conclu le ministre.
Le Premier ministre italien Matteo Renzi, qui a réclamé la tenue d’un sommet européen d'urgence, de préférence avant la fin de la semaine, a estimé que "ce n'est pas avec dix bateaux de plus ou de moins" que le problème sera réglé, relate une dépêche de l’AFP. "Si on ne parvient pas à régler le problème à la racine, on ne réussira jamais à le résoudre", a-t-il déclaré devant la presse, ajoutant que ce trafic d'êtres humains était une "plaie" pour le continent européen.
Le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy a quant à lui estimé que la "crédibilité" de l'Europe était en jeu et qu'il était temps pour elle d'"agir", rapporte l’AFP. "Aucun pays au monde, pour puissant et fort qu'il soit et quels que soient ses moyens, ne peut faire face seul à de tels événements", a-t-il estimé en ajoutant que "la réponse doit venir d'Europe”. Sur son compte Twitter, Mariano Rajoy s’est joint à la demande italienne de convoquer un sommet extraordinaire sur la question.
Le président français François Hollande, qui a appelé dès le 19 avril à une réunion européenne d'urgence des ministres de l'Intérieur et des Affaires étrangères pour prendre des mesures après le nouveau naufrage, a indiqué, lors d’une interview sur la chaîne de télévision Canal+, que si le bilan était confirmé, "ce serait la pire catastrophe de ces dernières années en Méditerranée" tout en qualifiant les passeurs de "trafiquants" et de "terroristes". Il faut "renforcer le nombre de bateaux", faire "plus de survols" aériens dans la zone, a-t-il proposé.
Le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel a déclaré que "toutes les polices d'Europe et les autorités chargées de surveiller les frontières doivent mobiliser l'ensemble de leurs forces pour lutter contre les bandes de passeurs criminelles qui font des affaires avec la misère humaine".
Quant au Premier ministre grec Alexis Tsipras, dont le pays est également sous la pression d'un nombre croissant d'arrivées de migrants par la mer, il a exhorté l'UE à intensifier ses opérations de secours en Méditerranée ainsi que ses efforts diplomatiques au Moyen-Orient et a appelé à renforcer la solidarité entre pays européens dans l'accueil des migrants, peut-on lire dans une dépêche de l’AFP. "J'exhorte les gouvernements des Etats membres de l'UE à définir immédiatement un plan cohérent pour faire face à la crise humanitaire à laquelle nous sommes confrontés", a-t-il indiqué dans une déclaration officielle.
Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a déclaré le 19 avril au soir sur son compte Twitter avoir parlé au premier ministre maltais Joseph Muscat après les "morts tragiques en Méditerranée". Il entend "poursuivre les discussions avec les dirigeants européens, la Commission et le service diplomatique de l'UE sur la façon de remédier à la situation". Son porte-parole, Preben Aamann, a ajouté qu’il prendra une décision sur la possible tenue d'un sommet extraordinaire "après ces consultations", rapporte l’AFP.