L’inculpation, le 23 avril 2015, d’un journaliste français impliqué dans les révélations sur les décisions anticipées de l’administration fiscale luxembourgeoise à l’égard de grandes entreprises internationales faites dans le cadre de l'affaire Luxleaks n’a pas manqué de susciter de vives réactions dans le monde des médias. Une information judiciaire a été ouverte suite à une plainte du cabinet Price WaterHouse Coopers qui date de juin 2012, et le journaliste en question, se voit reprocher d’être "co-auteur, sinon complice des infractions commises par l’un des anciens collaborateurs de PwC".
Parmi les nombreuses réactions, la Fédération européenne des journalistes (FEJ), à laquelle est affiliée l’Association luxembourgeoise des Journalistes (ALJ), dénonce des poursuites qui relèvent "de la pure intimidation", l’objectif des autorités judiciaires grand-ducales étant, selon le secrétaire général de la FEJ, Ricardo Gútierrez, de "dissuader la presse de révéler les pratiques d’évasion fiscale qui ont cours au Luxembourg". Dans son communiqué de presse, la FEJ indique aussi avoir adressé dès le 24 avril 2015 au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, un courrier l’appelant à "prendre les mesures nécessaires pour assurer que le Luxembourg respecte le droit de l’Union européenne sur la liberté d’expression et d’information".
Du point de vue de la FEJ, les charges retenues contre le journaliste français, identifié comme étant Edouard Perrin, sont en effet "disproportionnées et violent l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 11 de la Charte des Droits fondamentaux de l’UE qui garantit le droit à la liberté d’expression et d’information".
La Fédération européenne des journalistes souligne dans son courrier la légitimité des arguments plaidant en faveur de l’intérêt général dans l’affaire des révélations dans le cadre du Luxleaks : "il est évident que l’enquête et la publication du Luxleaks ont été faites dans l’intérêt général avec pour objectif d’informer le public du fait qu’un petit groupe privilégié d’entreprises multinationales se voient octroyer des régimes fiscaux favorables", argue ainsi Ricardo Gútierrez en soulignant les nombreux débats qui ont suivis les révélations sur la pratique du tax ruling.
La FEJ met aussi l’accent sur la protection des lanceurs d’alerte en faisant référence à une recommandation du Conseil de l’Europe qui invite les Etats à les protéger dans la mesure où les informations qu’ils révèlent peuvent contribuer à renforcer la transparence et la responsabilité démocratique.
"Les journalistes ont le droit de protéger leurs sources confidentielles", insiste Ricardo Gutierrez, qui s’inquiète dans sa lettre du fait des "conséquences graves" que les poursuites des lanceurs d’alerte dans l’affaire Luxleaks pourraient avoir sur le journalisme d’investigation.
Des réactions assez vives pour que le Parquet du Luxembourg réagisse le 27 avril par un nouveau communiqué de presse dans lequel il assure que "la liberté de la presse et le droit à l’information garantis par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, pilier de la démocratie, sont toujours assurés". Le droit du journaliste entendu de ne pas divulguer ses sources n’est pas remis en cause, et il en est de même de la diffusion des informations par la presse, insiste le Parquet.
Selon le Parquet, il s’est avéré au fil de l’enquête que le rôle du journaliste inculpé "ne se serait pas limité à recueillir des informations offertes par l’inculpé [employé par PwC] mais, au contraire, aurait consisté à diriger celui-ci dans la recherche des documents qui l’intéressaient tout particulièrement". "Le journaliste aurait ainsi joué un rôle plus actif dans la commission de ces infractions", estime le Parquet qui en conclut qu’il "ne peut dès lors pas être question d’une violation ni du droit à la protection des sources journalistiques ni, plus généralement, des droits des journalistes dans leur rôle de "chiens de garde" de la démocratie".