Le Parlement européen réuni en plénière à Strasbourg a adopté le 19 mai 2015 à une très large majorité sa position sur le projet de règlement concernant les indices utilisés comme indices de référence dans le cadre d’instruments et de contrats financiers.
Un indice de référence est un indice (ou une valeur) qui est calculé sur la base d’un ensemble représentatif de données ou d’informations et qui est utilisé pour tarifer un instrument ou un contrat financier, ou pour mesurer la performance d’un fonds d’investissement. Le London Interbank Offered Rate (LIBOR) et l’Euro Interbank Offered Rate (Euribor) sont deux exemples d’indices de référence, utilisés pour les taux d’intérêt interbancaires; il en existe d’autres, notamment pour les prix du pétrole et les indices boursiers. Les indices de référence ont une incidence très importante sur les consommateurs, puisqu’ils servent à calculer les taux hypothécaires acquittés par des millions de ménages, tandis que, dans le secteur financier, par exemple, ils déterminent le prix d’un grand nombre de produits dérivés.
L’eurodéputée Cora van Nieuwenhuizen (ADLE), rapporteur sur ce projet législatif, a souligné à l’issue du vote que "la manipulation des indices de référence nous affecte tous, s'il s'agit de l'intérêt que nous payons sur nos prêts hypothécaires, de la valeur de nos régimes de retraite ou du prix de l'essence". "Les banques étaient en mesure de gagner d'énormes sommes d'argent sur le dos des consommateurs et des entreprises. Le nombre de scandales impliquant la manipulation de toutes sortes d'indices de référence est la preuve qu'il faut absolument une nouvelle réglementation plus rigoureuse", a-t-elle expliqué en soulignant que le projet législatif en question "répond à ce besoin".
"La législation adoptée comprend les conflits d'intérêts dans la production d'indices de référence et prévoit également une transparence totale et introduit une surveillance prudentielle", a-t-elle résumé en soulignant que l'adoption de la législation par le Parlement européen "ouvre la voie à des négociations avec le Conseil sur la législation finale à venir."
Jonathan Hill, commissaire chargé de la stabilité financière, des services financiers et de l’union des marchés de capitaux, n’a d’ailleurs pas manqué de faire part de son espoir de "progresser rapidement en direction d’un accord sur un texte définitif". Il s’agit donc d’un dossier dont devrait hériter la Présidence luxembourgeoise du Conseil au second semestre 2015.
Pour rappel, c’est en septembre 2013, à la suite d’allégations de manipulation de plusieurs indices de référence, et notamment des taux interbancaires de référence (entre autres l’EURIBOR et le LIBOR) et d’indices de référence de taux de change et de matières premières (entre autres pour l’or, l’argent, le pétrole et les biocarburants), que la Commission avait mis sur la table cette proposition législative.
L’objectif du cadre réglementaire proposé par la Commission était d’améliorer le fonctionnement et la gouvernance des indices de référence produits et utilisés dans l’UE pour des instruments financiers tels que les obligations, les actions, les contrats à terme (futures) ou les contrats d’échange (swaps) et dans le cadre de contrats financiers tels que les crédits immobiliers. L’enjeu était de faire en sorte qu’ils ne soient plus susceptibles de manipulation.
Du côté du Conseil, un mandat de négociation a été accepté en Coreper le 13 février 2015 pour entamer au plus vite les négociations avec le Parlement européen en vue d’un accord en première lecture.
Selon la position du Conseil, le projet de règlement devrait mettre en place un code de conduite juridiquement contraignant pour les contributeurs (qui fournissent des données) et utilisant des méthodes solides et des données suffisantes et exactes. Il préconise en particulier l'utilisation de données sous-jacentes tirées de transactions réelles, lorsque cela est possible. Toutefois, d'autres données peuvent être utilisées si les données de transaction ne sont pas suffisantes.
Du point de vue du Conseil, le champ d'application du règlement est large, mais les indices de référence jugés d'importance critique seront soumis à des règles plus strictes, dont la possibilité, pour l'autorité compétente, d'exiger la fourniture de données sous-jacentes. Le règlement ne s'appliquerait pas à la fourniture d'indices de référence par les banques centrales ni à des fins de politiques publiques, précise le Conseil.
Les administrateurs d'indices de référence devront solliciter un agrément et seront soumis à une surveillance par l'autorité compétente du pays dans lequel ils sont situés, indique encore le Conseil en précisant que si un administrateur ne respecte pas les dispositions du règlement, l'autorité compétente peut retirer ou suspendre son agrément. Les administrateurs auraient obligation de disposer de dispositifs de gouvernance et de mécanismes de contrôle adéquats en vue d'éviter les conflits d'intérêts, prévoit encore le Conseil dans sa position.
Le Conseil prévoit par ailleurs que l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF ou ESMA) coordonnerait la surveillance des administrateurs d'indices de référence assurée par les autorités nationales compétentes. Pour les indices de référence d'importance critique, un collège des autorités compétentes nationales, incluant l'ESMA, sera mis en place et prendra les décisions essentielles, prévoit le Conseil
Au Parlement européen, le vote en plénière est venu renforcer la position adoptée en commission des Affaires économiques et financières le 31 mars 2015 sur la base du rapport préparée par l’eurodéputée Cora van Nieuwenhuizen (ADLE).
"Nous avons besoin de garde-fous pour les 'benchmarks' comme le LIBOR, mais nous avons aussi besoin d'un large nombre d'indices pour éviter une concentration du marché et nous avons besoin d'une approche équilibrée envers les petits et plus grands indices", a expliqué. Le Parlement entend donc apporter de la proportionnalité et imposer des exigences plus strictes aux indices dits "critiques". Le Parlement veut ainsi réduire les conflits d’intérêts en fixant des indices "d'importance critique", comme le LIBOR et l'EURIBOR, qui influencent les instruments financiers et les contrats d'une valeur moyenne d'au moins 500 milliards d'euros et qui pourraient donc affecter la stabilité des marchés financiers en Europe.
La décision finale déterminant si un indice est "d'importance critique" reviendrait à l'AEMF et aux autorités nationales, indique la position du Parlement européen en précisant qu’une autorité nationale pourrait également juger critique un indice administré sur son propre territoire s'il a un impact "significatif" sur le marché national. Les administrateurs d'indices de référence d'importance critique devraient avoir une structure organisationnelle claire afin de prévenir les conflits d'intérêt et être soumis à des procédures de contrôles efficaces, souhaitent encore les parlementaires.
Selon la position adoptée, le calcul d'indices de référence d'importance critique qui concernent au minimum deux pays, serait contrôlé par un "collège" de superviseurs, notamment l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et d'autres autorités compétentes.
Pour les parlementaires, les données sur le calcul d'indices d'importance critique devraient pouvoir être vérifiées et provenir de contributeurs fiables tenus par un code de conduite pour chaque indice. Les contributeurs, comme les banques contribuant aux données nécessaires pour déterminer un indice d'importance critique, devraient informer l'administrateur de l'indice de référence ainsi que l'autorité compétente s'ils souhaitent arrêter d'agir en ce sens. Ils devraient néanmoins poursuivre ces activités jusqu'à ce qu'un remplaçant soit trouvé.
Tous les administrateurs d'indices de référence devraient être enregistrés auprès de l'AEMF et devraient publier une "déclaration concernant l'indice de référence" définissant précisément ce que leur indice mesure et jusqu'à quel point il est fiable, indiquaient encore les parlementaires de la commission ECON, qui insistaient sur cette question de transparence. Les "administrateurs" d'indices de référence sont des personnes physiques ou morales, qui collectent, analysent et traitent des données qui ne sont pas disponibles publiquement ou qui utilisent une formule ou une méthode de calcul pour déterminer un indice. Les administrateurs seraient également contraints de publier ou de dévoiler les conflits d'intérêt existants et potentiels, et de répondre aux exigences en matière de responsabilité, de conservation d'informations, d'audit et de contrôle.
A l’issue du vote, le groupe des Verts/ALE a réagi par voie de communiqué pour critiquer la position du Parlement européen qui "ne permet pas de remédier aux failles qui ont conduit aux scandales du LIBOR et de l’EURIBOR". "Les députés ont préféré affaiblir davantage une proposition déjà faible en déposant les amendements que leur a directement soumis le lobby financier", a dénoncé Philippe Lamberts, rapporteur fictif pour le groupe, qui s’était déjà prononcé contre la position adoptée en commission ECON.
"Si l'introduction du principe de proportionnalité dans la législation doit être saluée, les exemptions sont trop nombreuses", déplore le député écologiste. "Quant aux principales dispositions relatives à la transparence, à la protection des consommateurs et à la supervision initialement proposées par la Commission, celles-ci ont tout simplement été retirées ou affaiblies", dénonce-t-il.
"En refusant la transparence sur la composition des indices, les députés entravent la capacité des investisseurs privés et institutionnels d'évaluer correctement les risques. Le scandale du LIBOR a eu lieu précisément en raison d'un manque de transparence", déplore le parlementaire belge qui s’était déjà opposé en commission au compromis trouvé sur les questions de transparence.
Le groupe Verts-ALE se félicite certes d’avoir pu "introduire un filet de sécurité européen permettant à l'autorité européenne de surveillance des marchés financiers (AEFM ou ESMA) de signaler un indice de référence comme étant critique". Mais il déplore le fait que l'AEFM n'aura cependant et malheureusement pas un rôle de médiation obligatoire en cas de litiges entre les autorités nationales à propos de la supervision d'indices de référence critiques.
"Le choix d'exclure de la définition d'un indice de référence "critique" l'ensemble des indices déterminés d'après des données régulées a créé une faille importante dans le projet de législation", met encore en garde Philippe Lamberts, qui s’était déjà opposé en commission à l’amendement introduit dans ce sens par le groupe PPE. " Le régime allégé - en matière d'exigences de gouvernance - qui a été accordé aux indices de référence déterminés sur base de contributions d'entités non supervisées est également particulièrement contestable et préoccupant", s’inquiète le député.
Philippe Lamberts estime que la position adoptée par le Parlement européen "édulcore les dispositions sur la surveillance des indices de référence empêchant ainsi toute surveillance efficace au niveau européen".