Le 16 juin 2015, les députés de la commission des affaires juridiques (JURI) au Parlement européen ont adopté par 19 voix pour, 2 contre, avec 3 abstentions la position que défendront les négociateurs du Parlement européen au sujet du projet de directive sur les secrets d’affaires. Mandat leur a été donné par la même occasion pour engager les négociations informelles avec le Conseil en vue de parvenir à un accord en première lecture.
La Commission avait mis sur la table cette proposition de directive en novembre 2013, avec pour objectif d’établir une définition commune du secret d’affaires, basée sur des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués, de façon à protéger la compétitivité des activités européennes et des organismes de recherche. L’enjeu de ce texte est ainsi de mieux protéger les entreprises de l'UE contre le vol ou le détournement de secrets commerciaux, comme des technologies spécifiques, des recettes ou des procédés de fabrication, ce qui devrait à son tour stimuler la confiance et augmenter les incitations à innover. En vertu de ce texte, les États membres pourraient être amenés à adopter une série d'outils pour que les victimes du détournement de secrets commerciaux soient en mesure de défendre leurs droits devant les tribunaux et de demander réparation.
De son côté, le Conseil a adopté sa position sur le sujet dès le mois de mai 2014.
"Face à la multiplication inquiétante des cas de vols de "secrets d'affaires", l’Europe ne pouvait rester silencieuse ou inerte. Aujourd’hui, nous avons posé la première pierre d’un socle juridique européen commun pour lutter contre l’espionnage industriel et protéger l’innovation, tout en préservant les libertés fondamentales, au premier rang desquelles la liberté d'expression et d'information" a déclaré Constance Le Grip (PPE), rapporteur sur le texte relatif à la protection des "secrets d'affaires".
Constance Le Grip s’est notamment félicitée d’avoir pu parvenir à "un texte équilibré qui préserve les intérêts des entreprises tout en protégeant les journalistes et les lanceurs d’alertes".
Ce projet législatif a en effet suscité de vives inquiétudes de la part de plusieurs organisations de la société civile qui dénoncent un projet qui "menace les droits fondamentaux et fait primer les profits des multinationales sur les intérêts sociaux, environnementaux et démocratiques".
La question a visiblement occupé les parlementaires qui, soucieux que la législation ne limite pas le travail des journalistes, la protection de leurs sources et le droit du public à être informés, entendent clarifier et renforcer les dispositions assurant le respect de la liberté d'expression et d'information et la protection adéquate des dénonciateurs.
Ainsi, selon la position adoptée par les eurodéputés de la commission JURI, les victimes de vol ou de détournement de secrets commerciaux n'auront pas le droit d'obtenir réparation si un secret commercial a été acquis, utilisé ou communiqué aux fins suivantes:
Enfin, les députés ont inséré une disposition spécifique soulignant que la législation ne devrait pas affecter la liberté et le pluralisme des médias.
"Les garanties apportées par le Parlement européen au travail des journalistes et à la protection de leurs sources sont réelles et sans ambiguïtés", estime par conséquent Constance Le Grip. "Nous écrivons clairement que les journalistes seront exemptés de l’application des mesures de la directive dans le cadre de leur activité professionnelle même dans le cas où ils auraient été amenés à détenir et divulguer illégalement un "secret d’affaires" lors d’une investigation. De même, leurs sources auront la possibilité de bénéficier de cette même exemption si elles leur révèlent un dysfonctionnement ou une activité illégale par exemple, dans le but de défendre l’intérêt public".
Le groupe S&D se félicite d’avoir pu obtenir que la protection des secrets d’affaires ne puisse se faire aux dépens des lanceurs d’alerte et des journalistes et a donné son soutien à un texte "substantiellement amélioré" notamment en matière de protection de la liberté d’expression et d’information et en ce qui concerne l’exemption portant sur les lanceurs d’alerte agissant dans l’intérêt général.
Autre groupe que le groupe S&D a tenu à protéger dans les amendements qu’il a réussi à faire adopter en commission, ce sont les syndicats et les salariés. Evelyn Regner, porte-parole du groupe pour les affaires juridiques, se félicite en effet d’avoir pu introduire des exemptions protégeant non seulement les journalistes et lanceurs d’alerte, mais aussi les syndicats et représentants du personnel, ainsi que les salariés.
La commission JURI veut modifier les règles proposées par la Commission afin d'assurer qu'elles ne portent pas atteinte à l'utilisation de l'information, de la connaissance, de l'expérience et des compétences honnêtement acquises par les salariés lors du cours normal de leur emploi précédent. Les nouvelles règles ne devraient pas créer de restrictions pour les employés qui cherchent à changer d'emploi, autres que celles incluses dans leur contrat de travail, estiment les députés.
Evelyn Regner salue ainsi "des garanties fortes que cette directive ne sera pas utilisée comme une attaque déguisée contre les droits des travailleurs". Autant d’exemptions sur lesquelles le groupe S&D n’entend pas céder au cours des négociations en trilogue à venir, a prévenu Sergio Cofferati, rapporteur fictif pour le groupe.
Par ailleurs, pour assurer la transparence des institutions de l'UE et des autorités publiques nationales, la commission JURI a inséré une clause prévoyant que les règles ne touchent pas la divulgation d'informations relatives aux entreprises par les institutions de l'UE et les autorités publiques nationales.
Le compromis trouvé ne satisfait toutefois pas les écologistes, qui se sont opposés au texte. Pascal Durant, membre de la commission des affaires juridiques et porte-parole du groupe Verts / ALE sur les questions de transparence, reste en effet convaincu que, ce texte "constitue une atteinte aux droits fondamentaux". "Les quelques améliorations obtenues par la mobilisation n'auront pas suffi à changer l'essence de cette proposition : faire du secret une règle générale et de la transparence une exception", déplore le parlementaire.