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Institutions européennes - Justice, liberté, sécurité et immigration
Les représentants d’intérêts d’entreprises sont les principaux acteurs en matière de lobbying auprès de la Commission européenne, selon une étude de l’ONG Transparency International
24-06-2015


Transparency International - EU OfficeQuelque 75 % des réunions que les commissaires européens et leurs conseillers les plus proches tiennent avec des lobbies le sont avec des représentants d’intérêts d’entreprises, selon les résultats d’une étude publiée le 24 juin 2015 par le bureau européen de l’ONG Transparency International (TI). Un volume déjà important qui, selon les sujets abordés, atteint parfois même plus de 90 % en faveur des représentants d’intérêts d’entreprises.

Ces résultats, l’ONG qui s’auto-définit comme une "organisation globale de la société civile menant la lutte contre la corruption", les a obtenus en compilant et en analysant les données des 4 318 réunions de lobbying déclarées entre décembre 2014 et juin 2015 par le peloton de tête des fonctionnaires de la Commission. Transparency a dans ce contexte mis en place un nouvel outil de surveillance des lobbies qu’elle a intégré dans sa base de données "EU Integrity watch" (www.integritywatch.eu), lancée en octobre 2014 pour renseigner les revenus des députés européens. Régulièrement mis à jour, l’outil permet de consulter l’ensemble des informations publiées par la Commission sur ses réunions avec des lobbies depuis décembre 2014.

90 % des rencontres dans le domaine des marchés financiers concernent les lobbies d’entreprises

Concrètement, le travail mené par l’ONG révèle donc que plus de 75 % des réunions entre les plus hauts responsables de la Commission (commissaires, directeurs et membres de cabinet) et des représentants d’intérêts ont eu lieu avec des lobbies d'entreprises. En revanche, seules 18 % de ces rencontres ont concerné les ONG, 4 % les "think tank" et 2 % les autorités locales, relève ainsi l’étude.

Et les écarts peuvent encore s’accentuer selon les portefeuilles en cause et les sujets abordés : ainsi, dans le domaine du commerce extérieur, la proportion de rencontres avec des représentants d’entreprises atteint 77 %, et dans ceux des marchés financiers ou de l’économie numérique, elle grimpe à près de 90 %. Dans les domaines de la santé ou de l’éducation en revanche, la représentation d’intérêts semble davantage équilibrée, même si les lobbies d’entreprises restent majoritaires en termes de volume de rencontre, avec respectivement 54 % et 52 % en leur faveur.

BusinessEurope, Google, General Electric et Airbus sont les plus actifs en matière de lobbying auprès de la Commission européenne

L’analyse de Transparency permet également de mettre en évidence les organisations et les entreprises qui sont les plus actives en matière de lobbying auprès de la Commission européenne. Ainsi, selon les données compilées par l’ONG, c’est l’organisation BusinessEurope, la fédération des organisations patronales au niveau européen, qui arrive en tête du nombre de réunions (42), suivie de près par Google, General Electric et Airbus, avec, respectivement 29, 26 et 25 réunions.

Google et General Electric figurent par ailleurs parmi les plus grands dépensiers à Bruxelles, chacun déclarant des budgets de lobbying de l'ordre de 3,5 millions d'euros par an, de même que BusinessEurope qui affiche un budget de représentation d’intérêts  de 4 millions d’euros annuels. Avec plus de 10,1 millions d’euros par an consacrés au lobbysme, le Conseil Européen de l'Industrie Chimique déclare le budget le plus imposant en la matière, devant Eurochambres, l’association européenne des chambres de commerce et d’industrie (avec 7,6 millions d’euros annuels déclarés), relève encore l’étude.

Du côté des ONG, c’est le bureau européen du WWF (Fonds mondial pour la nature ou World Wide Fund en anglais) qui arrive en tête du nombre de réunions avec 29 rencontres sur la période étudiée (pour un budget annuel de 1 millions d’euros), directement suivi par Greenpeace et le Climate Action Network Europe (Réseau Action Climat) qui totalisent chacun 22 rencontres pour un budget annuel respectif de 1 million et de 800 000 euros.

Certains portefeuilles sont davantage soumis aux groupes d’intérêts que d’autres

L’étude de Transparency met par ailleurs en évidence que, parmi les 7 908 organisations inscrites dans le registre de transparence de l'UE qui recense les lobbyistes actifs à Bruxelles – une inscription qui se fait sur base volontaire –, 4 879 cherchent à influencer les décisions politiques de l'UE au nom des intérêts des entreprises. A cet égard, les auteurs de l’analyse notent qu’Exxon Mobil, Shell et Microsoft sont les trois plus grandes entreprises en termes de budgets consacrés aux actions de lobbying (entre 4,5 et 5 millions d'euros annuels chacun), selon leurs déclarations dans le registre de transparence.

"Cela laisse à supposer qu'il existe un lien étroit entre le montant que vous dépensez et le nombre de réunions que vous obtenez", a notamment estimé Daniel Freund de Transparency International UE, cité dans un communiqué diffusé par l’ONG le 24 juin. "Les organisations dotées des plus gros budgets de lobbying obtiennent beaucoup d'entrées, en particulier dans les portefeuilles relatifs aux finances, au numérique et à l’énergie". Pour preuve, Transparency rappelle que toutes les entreprises qui ont eu plus de 10 réunions de haut niveau avec la Commission dans les six derniers mois déclarent au moins 900 000 euros par an en dépenses de lobbying, à la seule exception près d'Airbus qui déclare seulement 400 000 euros annuels.

Ainsi, les portefeuilles climat et énergie (487 réunions), emploi et croissance (398), économie numérique (366) et marchés financiers (295) sont ceux qui ont reçu le plus l'attention de la part des lobbyistes. Et l’ONG de souligner que les commissaires en charge de ces trois derniers dossiers (à savoir Jyrki Katainen, Günter Oettinger et Jonathan Hill) se distinguent aussi en ce qu'ils ont eu un nombre très faible de rencontres avec la société civile (3, 2 et 3, respectivement), ce qui représente entre 4 % et 8 % du nombre total de leurs réunions déclarées.

Par ailleurs, pour Transparency, si les grandes ONG comme le WWF et Greenpeace sont dans le top 10 des organisations ayant eu le plus de réunions avec les représentants de la Commission, "il faut noter que les réunions avec la société civile sont souvent organisées sous la forme de grandes tables rondes avec de multiples participants", lit-on dans l’étude. Or, rappelle l’ONG, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, avait en novembre 2014 lors de son entrée en fonction, demandé à ses commissaires d'assurer un équilibre et une représentativité appropriée dans leurs rencontres avec les parties prenantes.

Seuls 1 % des plus hauts fonctionnaires et 20 % des lobbyistes seraient concernés par les nouvelles mesures de transparence de la Commission

Les données montrent aussi que 80 % des 7 821 organisations actuellement enregistrées n'ont pas eu une seule réunion signalée avec un commissaire ou un membre de cabinet. Selon Transparency International, cela montre les limites des nouvelles dispositions de la Commission européenne en matière de transparence adoptées en novembre 2014, alors que seuls 1 % des plus hauts fonctionnaires et 20 % des lobbyistes seraient concernés par ces nouvelles mesures. Ainsi, seuls 300 fonctionnaires sur plus de 30 000 travaillant à la Commission sont couverts par ces règles, tandis que les fonctionnaires de niveau inférieur, comme ceux de l'équipe de négociation de l'accord de libre-échange avec les États-Unis (TTIP), ne le sont pas, note l’ONG.

"La Commission européenne devrait être félicitée pour donner un tel aperçu du lobbying des fonctionnaires de haut rang, mais cela n’est qu’une partie de l'image. La pression est exercée sur les fonctionnaires à tous les niveaux et une plus grande transparence est nécessaire pour rassurer le public quant à l'intégrité des politiques de l'UE ", a indiqué Carl Dolan, directeur de Transparency International UE, cité dans l’étude. "Toutes les institutions de l'UE devraient publier une "empreinte législative", [à savoir] un registre public de toutes les réunions de lobbying et autres contributions qui ont influencé les politiques et la législation".

La qualité des données du registre de transparence laisse à désirer

Dans un contexte similaire, Transparency International a aussi constaté que de nombreuses organisations ne sont pas inscrites dans le registre, y compris 14 des 20 plus grands cabinets d'avocats dans le monde ayant pourtant des bureaux de Bruxelles (comme Clifford Chance, White & Case ou Sidley Austin). En revanche, 11 de ces 14 cabinets d'avocats se sont enregistrés en tant qu'organisations de lobbying à Washington DC, où l'inscription est obligatoire. Cela montre les insuffisances de l'approche volontaire actuelle pour faire pression sur l'enregistrement des lobbies dans l'UE, considère Transparency.

Par ailleurs, "une grande partie de l'information que les lobbyistes déposent volontairement avec le registre des lobbyistes sont inexactes, incomplètes ou carrément vide de sens", a encore estimé Daniel Freund. Et de souligner que plus de 60 % des organisations qui ont fait pression sur la Commission européenne à propos du TTIP n'ont pas déclaré correctement ces activités. De même s’agissant de la réforme des services financiers et du projet d’Union des marchés de capitaux, où de nombreuses banques - dont HSBC, BNP Paribas et Lloyds - qui ont eu des réunions à ce sujet ont omis de déclarer dans le registre qu'elles étaient actives dans ce domaine.

Dès lors, et sur base des résultats de cette étude, Transparency plaide une nouvelle fois pour la mise en place d’un registre de transparence obligatoire dans l’UE ainsi que pour l’obligation, pour les institutions, de publier une empreinte législative, soit un dossier public complet de l'influence des lobbyistes sur une législation ou une décision publique.