Principaux portails publics  |     | 

Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Traités et Affaires institutionnelles
Les réformes en matières constitutionnelle et de médias publics en Pologne suscitent l’inquiétude de la Commission européenne et du Luxembourg
04-01-2016


Le drapeau polonaisLe président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a décidé d'inscrire la question du respect des principes de l'État de droit en Pologne à la réunion du collège des commissaires du 13 janvier 2016, a confirmé le porte-parole de la Commission, Margaritis Schinas, lors du point de presse quotidien de l’institution le 4 janvier.

Le contexte

Cette décision fait suite à plusieurs semaines de polémique après le vote fin décembre 2015 de deux lois controversées portées par le nouveau gouvernement polonais (issu du parti conservateur Droit et Justice, PiS, qui a remporté la majorité absolue aux législatives du 25 octobre 2015), l’une sur la réforme du fonctionnement du Tribunal constitutionnel polonais et l’autre sur les médias publics. Ces réformes ont suscité de nombreuses craintes dans l’UE, notamment de la part du ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn.

Dans le premier cas, la réforme promulguée le 28 décembre introduit notamment la règle de la majorité qualifiée de deux tiers pour les décisions du Tribunal, obligé désormais de réunir, pour pouvoir statuer dans les cas de grande importance, 13 des 15 juges que compte cette cour, au lieu de neuf auparavant. Comme le rapporte l’Agence France Presse (AFP), le PiS avait auparavant placé au sein de ce Tribunal cinq juges de son choix, suivant une procédure jugée en grande partie inconstitutionnelle par la plus haute instance, ce qui devrait lui permettre de bloquer facilement les avis défavorables du Tribunal.

La nouvelle loi sur les médias a pour sa part été approuvée le 31 décembre 2015 par le Sénat polonais après son adoption la veille par les députés. Les nouvelles dispositions font expirer avec effet immédiat les mandats des membres des directions et des conseils de surveillance de la télévision et de la radio publiques. C'est le ministre du Trésor qui aura désormais la compétence de nommer et de révoquer les nouveaux chefs des médias publics, jusqu'à présent choisis par voie de concours organisés par le Conseil national de l'audiovisuel (KRRiT), rapporte encore l'AFP.

La réaction de la Commission

Ces évolutions ont suscité les inquiétudes de l’opposition, de nombreuses ONG et de plusieurs organisations internationales, ainsi que de la Commission européenne. Dans une interview accordée au quotidien allemand "Frankfurter Allgemeine Zeitung" le 3 janvier, le commissaire européen en charge du Numérique, Günther Oettinger, qualifie notamment la loi sur les médias de "contraire aux valeurs européennes". Il y reproche à la Pologne d'avoir adopté une loi soumettant les médias publics au contrôle du parti conservateur au pouvoir et menace d'enclencher la nouvelle procédure au titre du cadre sur l'État de droit. "Beaucoup de choses plaident pour que nous activions le 'mécanisme État de droit' et que nous placions Varsovie sous surveillance", a souligné Günther Oettinger.

Pour précision, la procédure au titre du mécanisme de sauvegarde de l'État de droit a été adoptée par la Commission en mars 2014 et prévoit un système d'alerte dès qu'un risque d'atteinte aux droits fondamentaux se manifeste dans un État membre. Cette procédure permet, entre autres, d'émettre des recommandations préventives et, à terme, le déclenchement de l'article 7 du Traité pouvant conduire à la suspension des droits de vote d'un État membre au Conseil de l’UE en cas de "violation grave et persistante" des valeurs de l'UE. Le débat annoncé le 13 janvier sur la situation en Pologne ne sera cependant "qu'un débat d'orientation" et non le lancement de cette procédure "mécanisme État de droit", a précisé le porte-parole de la Commission le 4 janvier.

Le premier vice-président de la Commission, Frans Timmermans, en charge de l’Etat de droit, s’est pour sa part directement adressé au gouvernement polonais auquel il a envoyé deux lettres les 23 et 30 décembre 2015 qui ont fuité dans plusieurs médias. Dans la première, le vice-président appelait les autorités polonaises à geler l’adoption de la loi qui pourrait voir "l'intégrité, la stabilité et le bon fonctionnement de la Cour constitutionnelle nationale compromis". Dans la seconde, Frans Timmermans demandait à la Pologne des explications sur les implications de la nouvelle loi pour les règles européennes en matière de liberté des médias, rappelant que "la liberté et le pluralisme des médias sont cruciaux dans une société pluraliste d'un État membre respectueux des valeurs communes sur lesquelles l'Union est fondée".

En réponse, le ministre polonais des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski, a indiqué que le nouveau gouvernement conservateur polonais, voulait "simplement guérir" la Pologne après 25 ans "d'endoctrinement libéral", dans un entretien au quotidien allemand Bild le 4 janvier.

Au Luxembourg

Jean Asselborn appelle la Commission à agir

Au Luxembourg, pays qui occupait jusqu’au 31 décembre 2015 la Présidence tournante du Conseil de l’UE, les réactions n’ont pas manqué. Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a ainsi demandé à la Commission européenne d’agir au sujet de la Pologne. "La restriction des droits de la Cour constitutionnelle est inacceptable", a déclaré le ministre dans une interview accordée à l’agence de presse Reuters diffusée le 23 décembre 2015 dans laquelle il juge que les développements à Varsovie "ne sont malheureusement pas sans rappeler le cours pris par les régimes dictatoriaux". "Il s’agit des valeurs fondamentales, non seulement de la Pologne, mais de toute l’Union. C’est pourquoi la Commission, le Parlement européen et au besoin le Conseil des ministres doivent agir", a-t-il ajouté.

Dans une autre interview avec la radio publique Südwestrundfunk (SWR2), diffusée le 21 décembre 2015, le ministre a dénoncé des "attaques contre les médias et la justice" qui rappellent selon lui l’époque de l’Union soviétique. Le nouveau gouvernement polonais, qu’il qualifie de "surprenant" et "effrayant", "bafoue" selon lui la perception fondamentale de la politique de l’Europe. Pour le ministre, il est cependant "positif" que le peuple polonais ne joue pas le jeu et "tienne tête" au gouvernement, contrairement à la Hongrie où l’UE a été "trop laxiste".

L’UE "se doit" de formuler ses critiques d’une manière "plus ferme", a insisté Jean Asselborn. Interrogé par le journaliste sur le moment à partir duquel il faudrait suspendre certains droits du pays, comme c’est autorisé par l’article 7 du Traité en cas de "violation grave et persistante" des valeurs communes, le ministre a répondu : "le moment est venu quand le développement continue ainsi, quand la presse en Pologne n’est plus libre et mise sous surveillance, quand la justice n’est plus indépendante" et quand des "opérations commando" (Nacht- und Nebelaktion en allemand, ndlr) injustifiables ont lieu. Jusqu’à présent, le mécanisme de sanction prévu par l’article 7 n’a jamais été utilisé dans l’UE.

Pour Nicolas Schmit, ministre luxembourgeois du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, l’action du gouvernement polonais est dirigée "contre les valeurs européennes". "Pour ce gouvernement ultra-conservateur, la liberté de la presse et le pluralisme sont une maladie dont il faut guérir la Pologne", a-t-il écrit le 3 janvier 2016 sur son compte Twitter.

L’ambassadeur de Pologne au Luxembourg dénonce une volonté de diversion par rapport à la crise des réfugiés

L’ambassadeur de Pologne au Luxembourg, Bartosz Jalowiecki, a pour sa part répondu à ces critiques, le 5 janvier 2016, dans une interview du journal luxembourgeois "Le Quotidien".

Tout d’abord, il a tenu à souligner qu’entre 80 et 90 % des Polonais soutiennent l’intégration européenne et l’appartenance de leur pays à l’UE. "Nous voyons l’UE comme une famille de nations", a-t-il déclaré, regrettant que "les contacts directs manquent" en Europe et souhaitant avoir "une chance de parler avec M. Asselborn pour lui dire ce qui se passe actuellement en Pologne".

Bartosz Jalowiecki a également avoué être "touché personnellement" par la comparaison avec le communisme faite par Jean Asselborn, alors que son père avait été emprisonné sous le régime communiste et que sa famille avait été contrainte de quitter la Pologne. "Aujourd’hui, même un enfant serait capable de faire la différence entre la réalité polonaise actuelle et le régime communiste. Si quelqu’un se lance dans une telle comparaison, cela veut dire que cette personne ne connaît absolument rien de la période communiste ou pas assez", a-t-il lancé. Il a regretté que les leaders politiques ne connaissent pas assez le communisme, "responsable de la mort de 94 millions de personnes".

Sur le respect de l’Etat de droit en Pologne dans le contexte du vote de la loi sur les médias publics, Bartosz Jalowiecki a indiqué que, selon lui, les critiques n’étaient pas justifiées, ajoutant qu’il n’était "pas inhabituel dans l’UE que les gouvernements nomment les directeurs des médias publics", citant à ce titre le cas de la France où cette compétence revient au Président de la République. Selon lui, cette loi est un "moyen de mieux gérer, notamment du point de vue financier, les médias publics". L’ambassadeur a encore tenu à rappeler qu’il n’y avait, à sa connaissance, aucun journaliste en Pologne qui n’ait été renvoyé ou dont les articles ont été censurés depuis la nomination du gouvernement fin octobre 2015.

Interrogé ensuite sur la crainte que le PiS veuille contrôler tous les pouvoirs et éliminer toute opposition, notamment avec la réforme du Tribunal constitutionnel, le diplomate polonais a indiqué que c’était la première fois en Pologne, où les élections sont régies par le système électoral à la proportionnelle, qu’un seul parti gagne les élections et est en mesure de former seul un gouvernement. Dans ce contexte, le parti veut alors "appliquer l’ensemble de son programme", a-t-il ajouté, reconnaissant que "cela peut paraître un petit peu radical".

Néanmoins, pour Bartosz Jalowiecki, ce flot de critiques à l’encontre de la Pologne est "un sujet de substitution, une diversion, car certains politiciens sont fatigués de parler de la crise migratoire, qui est le réel problème auquel nous faisons face en Europe".

A ce sujet, l’ambassadeur a évoqué le "fossé entre les politiciens qui mettent en avant les "bons sentiments" et ceux qui font preuve de réalisme", rappelant que la Pologne évoque depuis le début le contrôle des frontières extérieures de l’UE. "Nous ne pouvons pas avoir une situation où seulement 20 % des migrants arrivent en Europe sont enregistrés", a-t-il dit, ajoutant que des individus mêlés au terrorisme sont arrivés par le Sud sans avoir subi les contrôles nécessaires.

Le diplomate a encore évoqué la répartition des migrants entre les Etats membres qui "semble être la bonne solution, sur le papier". "Dans la pratique, que faites-vous des personnes qui ne veulent pas aller dans votre pays ?", a-t-il demandé, ajoutant qu’il serait difficile d’empêcher les migrants d’aller vers d’autres pays. Dans ce contexte, Bartosz Jalowiecki a plaidé pour un rétablissement des contrôles aux frontières car "ce système de quotas va, in fine, aboutir à la destruction totale de l’espace Schengen".