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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Traités et Affaires institutionnelles
Relations entre l’UE et le Royaume-Uni – Les propositions de Donald Tusk sont plutôt bien accueillies au Parlement européen, avec des réserves sur le volet social
03-02-2016


Jean-Claude Juncker au Parlement européen © Commission européenne

Au lendemain de la publication des propositions du président du Conseil européen, Donald Tusk, en vue d’inciter le Royaume-Uni à rester dans l’Union européenne (UE) dans le contexte de la renégociation des relations entre les Britanniques et les 27 autres Etats membres voulue par le Premier ministre britannique, David Cameron, les réactions n’ont pas manqué.

Cela tout d’abord au Parlement européen, où les eurodéputés, réunis en séance plénière à Strasbourg le 3 février 2016, ont largement commenté le sujet lors d’un débat sur la préparation du Conseil européen des 18 et 19 février 2016. L’un des objectifs de ce sommet est en effet d’aboutir à un accord satisfaisant pour les deux parties, accord qui est la condition de David Cameron pour faire campagne auprès des Britanniques en faveur du maintien de son pays dans l’UE en vue du référendum qu’il a promis d’organiser sur cette question d’ici la fin 2017.

Pour le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, les propositions sont "équitables pour le Royaume-Uni et équitables pour les 27 autres Etats membres"

Lors de ce débat, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a estimé que les propositions mises sur la table la veille étaient "équitables pour le Royaume-Uni et équitables pour les 27 autres Etats membres", la Commission européenne ayant d’ailleurs été « étroitement associée » à leur rédaction et leur apportant "son plein soutien", a-t-il souligné.

Rappelant que le Parlement européen aurait "un rôle crucial" à jouer alors qu’il aura aussi à se prononcer sur les réformes envisagées, le président de la Commission est rapidement revenu sur les quatre domaines visés par les potentielles réformes, qui doivent désormais être discutées par les 27 autres Etats membres de l'UE. "Comme le Premier ministre David Cameron, nous voulons tous que l'UE soit plus compétitive et crée davantage d'emplois", a-t-il notamment appuyé, jugeant que l’innovation et la compétitivité ne devaient pas être pénalisées par des législations européennes "trop prescriptives", en particulier pour les PME, et que la Commission avait déjà largement engagé le travail en ce sens.

Jean-Claude Juncker a également souligné que les options suggérées par son homologue au Conseil européen  "reconnaissaient que tous les Etats membres ne participent pas à tous les domaines du ressort de l'UE". "Le Royaume-Uni bénéficie de plus de protocoles et d’opt-out que n’importe quel autre Etat membre", a-t-il indiqué, notant que "c’est pourquoi, tant en termes de droit que dans les faits, le concept d’Union toujours plus étroite a déjà pris un sens différent dans son cas". L’accord reconnaît donc que si le Royaume-Uni considère qu'il est désormais arrivé à la limite de son niveau d'intégration, "alors c’est très bien comme ça", mais dans le même temps, "il est clair que d'autres États membres peuvent avancer vers un degré d'intégration plus profond, comme ils l'entendent". Dès lors, "nous avons répondu aux inquiétudes du Premier ministre tout en respectant les traités", a assuré Jean-Claude Juncker.

Pour ce qui est de la zone euro, il a jugé que les propositions du président Tusk visaient "à protéger les intérêts légitimes" des Etats membres participant au marché intérieur sans être membres de la zone euro en donnant à ces pays l'opportunité de saisir le Conseil européen, s'ils estiment que le principe de non-discrimination pourrait être violé. Par ailleurs, il a jugé légitime d'éloigner ces Etats membres d'une responsabilité financière liée à des mesures prises pour assurer la stabilité de la zone euro. "En même temps, ma ligne rouge, la possibilité d’avoir plus d’Europe au sein de la zone euro pour renforcer la monnaie unique a été respectée. L'euro demeure l'unique monnaie de l'Union. Le Parlement européen demeure le Parlement de la zone euro et de l'Union dans son ensemble", a-t-il indiqué.

Enfin, Jean-Claude Juncker est revenu sur le sujet "le plus difficile", à savoir la liberté de circulation pour les citoyens de l’UE. Dans ce contexte, il a noté que la proposition prévoyait un mécanisme de "sauvegarde" qui permettrait de limiter, de manière graduelle et pendant une période pouvant aller jusqu'à quatre ans, les aides sociales aux travailleurs migrants intra-européens venant nouvellement s’installer sur le sol britannique. Cette solution "répond aux situations dans lesquelles d’importants mouvements de citoyens européens [vers un Etat membre] ne seraient pas liés à l’attractivité des marchés du travail mais à la structure et à la générosité des systèmes de sécurité sociale", a-t-il détaillé, notant que le mécanisme s'appliquerait "dans des cas exceptionnels" et d’une manière "limitée dans le temps", ce qui est "crucial" pour le respect des traités. Il a notamment fait remarquer que la situation exceptionnelle connue par le Royaume-Uni était en partie due au fait qu’il n’a pas adopté les dispositions transitoires mises en place pour réguler l’arrivée des travailleurs des 13 nouveaux Etats membres depuis 2004.

Les positions des groupes politiques, majoritairement favorables au maintien du Royaume-Uni dans l’UE

Lors du débat, le président du PPE, Manfred Weber, a rappelé que l’objectif de son groupe était le maintien du Royaume-Uni dans l’UE mais qu’il ne voulait pas une Europe britannique mais une Europe "meilleure pour tous". D'après lui, le projet d'accord peut servir à améliorer le fonctionnement de l'UE pour tous et stimuler la compétitivité et la réduction des charges bureaucratiques. Il a salué le fait que l’euro en tant que monnaie unique de l’Union n’y soit pas remis en question.

L’eurodéputé chrétien-démocrate a par ailleurs jugé que priver d’allocations sociales des travailleurs européens qui payent leurs impôts, contribuent au système et attendent dès lors à raison de pouvoir bénéficier de telles prestations sociales, était un "problème", mais que parallèlement l’existence d’abus constatés dans ce contexte nécessitait de définir "un équilibre" ce qui s’annonce comme un des sujets les plus difficiles.

Pour le groupe S&D, son président, Gianni Pittella, a considéré que les propositions de Donald Tusk apportaient "un certain nombre de précisions utiles" mais que divers éléments, en particulier les droits des travailleurs et les restrictions qui seraient imposées aux migrants intra-européens en matière de prestations sociales, étaient l’objet "d’importantes preoccupations" et qu’elles nécessitaient d’être davantage précisées.

Par ailleurs, son groupe juge également que le maintien du Royaume-Uni dans l’UE est "essential" pour les deux parties. "C’est dans l’intérêt des citoyens britanniques et surtout des membres les moins bien lotis de la société. Le Royaume-Uni sans l’Union européenne est plus faible, et nous devons parler un langage clair sur les avantages que les Britanniques tirent de leur appartenance à l’UE", a-t-il notamment indiqué.

Le président du groupe ECR, Syed Kamall, a pour sa part souligné la différence de perception qui existait entre les institutions européennes avec leur volonté d’intégration toujours plus poussée vers une forme de fédéralisme et les citoyens britanniques, "dont beaucoup pensaient qu’ils avaient choisi la participation au marché unique". Reprochant aux responsables politiques britanniques de tous les partis d’avoir minimisé la dimension politique de l’UE pendant 40 ans, il a jugé que David Cameron (issu du même parti politique que l’orateur) avait eu raison de demander son avis au peuple britannique.

Quant aux propositions du président du Conseil européen, l’eurodéputé conservateur a jugé qu’elles représentaient "un bon point de départ » dans les domaines définis par le Premier ministre britannique. Il s’est ainsi félicité du "respect mutuel entre la zone euro et les pays hors zone euro", de la volonté de rendre "l'UE plus concurrentielle en ouvrant le marché unique, en réduisant la paperasserie, et en accroissant les échanges mondiaux", du fait que le principe d’Union sans cesse plus étroite "ne s’applique pas à tous les pays" et que les parlements nationaux soient appelés "à jouer un rôle plus important", et enfin de la garantie d’une "liberté de circulation pour travailler, pas pour réclamer [des prestations sociales]". "Les gens qui se déplacent ne devraient obtenir quelque chose du système qu’une fois qu’ils y ont contribute", a-t-il notamment estimé.

Jugeant que ces questions concernaient en réalité l’ensemble de l’UE, il a appelé à un débat "franc et honnête" de la part des deux camps sur ce que signifie le maintien ou non dans l’UE.

Du côté du groupe de l’ALDE, son président, Guy Verhofstadt, a estimé que le départ des Britanniques de l’UE serait "une énorme erreur", pas uniquement en termes économiques mais aussi en termes géopolitiques, puisque le Royaume-Uni serait "un nain" politique, et que l’UE sans le Royaume-Uni ne pèserait pas grand-chose dans le monde.

Quant aux propositions de réformes, le président du groupe libéral a jugé ne pas avoir de problème avec la plupart, si ce n’est quand le président Tusk indique qu’une Union toujours plus unie n'est en fait pas une Union toujours plus unie. "On parle de partage de valeurs. On dit que ce n’est pas une intégration politique. (…) C’est en contradiction avec les traités, et d’autres solutions sont possibles", a-t-il indiqué. "Pourquoi au lieu de tuer le principe d'une "Union toujours plus unie" et de tuer la dynamique de l'UE, ne pas permettre au Royaume-Uni une autre clause d'exemption (opt-out)" alors que ce pays en dispose déjà pour l'euro, pour Schengen, pour la coopération policière notamment, a-t-il estimé.

Il a par ailleurs mis en garde contre l'utilisation exagérée  de ce mécanisme de "frein d'urgence". "Nicolas Sarkozy avait déjà obtenu un frein d'urgence pour Schengen. Mais où ce phénomène s'arrêtera-t-il ? Demain, un frein d'urgence pour Matteo Renzi concernant le pacte de stabilité et après-demain un frein d'urgence pour François Hollande concernant le marché intérieur? Je pense que ça suffit. Donnons son frein d’urgence à David Cameron et puis arrêtons de détruire l’Union avec des freins d’urgence dans toutes les directions", a-t-il conclu.

Gabriele Zimmer (GUE-NGL) a pour sa part d’abord critiqué le processus choisi pour traiter du sujet. "Si nous voulons une Europe plus démocratique, ce ne peut pas être que des décisions soient prises hors du cadre formel." Elle souligne ainsi qu’il n’est pas fait mention du Parlement européen dans le document de Donald Tusk. Il y a un besoin de discussion commune, sinon l’UE perdra de nouveau de sa crédibilité, a-t-elle prévenu.

Par ailleurs, elle a estimé qu’avec un tel projet, "l’idée d’une Union sociale est enterrée". "Ce n’est pas un compromis mais une génuflexion devant la victoire de Londres." Des libertés fondamentales seraient reniées tout comme des principes tels que celui qui revendique "un même salaire, pour un même travail au même endroit". "Que cela signifie-t-il pour la protection de l’emploi et le développement social futurs, en Grande-Bretagne mais aussi dans les autres Etats membres ?", s’est-elle demandé.

Rebecca Harms, pour les Verts-ALE, a appelé à de véritables échanges entre, d’une part, les citoyens britanniques, dont le vote aura de grandes conséquences pour le reste de l’UE et, d’autre part, les citoyens du reste de l’UE qui veulent dans leur majorité que le Royaume-Uni reste dans l’UE. "La perspective du débat référendaire nous fait rentrer dans un de ces moments où nous avons réellement à parler d’Europe, à expliquer d’où nous venons", comme lors de la discussion actuelle sur la Pologne, ou celles plus anciennes sur la Hongrie et la Grèce. "Nous venons de la guerre et nous avons atteint la paix."

L’eurodéputé britannique, Nigel Farage, président du groupe eurosceptique EFDD, a ironisé sur les prétentions initiales de son Premier ministre, David Cameron, qui voulait contrôler la libre circulation, attendait des réformes fondamentales non seulement dans les relations entre le Royaume-Uni et l’UE mais aussi  à l’intérieur de l’UE. Au final, la lettre de Donald Tusk ne restitue aucun pouvoir au Royaume-Uni et ne permet pas de contrôle aux frontières. Quant à la limitation des aides sociales, "on voulait une interdiction totale des allocations pour quatre ans, c’est donc tout sauf un frein d’urgence". Pour Nigel Farage, adopter les propositions de Donald Tusk reviendrait "à remettre 75 % des pouvoirs du Royaume-Uni entre les mains de l’UE, gouverné par un pouvoir froid, assis au Luxembourg" et même être contraint à rompre les liens avec le Commonwealth et le reste du monde.

En conclusion des débats, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a souligné que le débat référendaire "ne devrait pas nous conduire à cesser toutes les activités de l’UE". Ainsi, la Commission continuera son travail, notamment en matière de politique sociale, en proposant entre autres un paquet sur la mobilité, un socle de droits sociaux  et des amendements sur la directive détachement qui sont une "nécessité absolue".

Par ailleurs, l’Agence Europe rapporte que le 3 février 2016, s'exprimant devant le Parlement national, David Cameron a appelé les élus britanniques à le suivre dans l'entreprise de réforme de l'UE et de maintien du pays dans cette Union réformée. "Si vous voulez mettre fin au 'donner sans recevoir', si vous voulez sortir le Royaume-Uni d'une union toujours plus étroite, si vous voulez l'équité entre membres et non-membres de la zone euro et si vous voulez une Europe plus compétitive, menons ce combat ensemble", a-t-il dit en soulignant que "beaucoup de travail reste à faire".