Le 3 février 2016, le Parlement européen réuni en plénière a rejeté à une courte majorité un projet de résolution soumis par la commission de l’Environnement (ENVI) qui visait à opposer un veto à un acte d’exécution portant sur la mesure des émissions de d’oxydes d’azote (NOx) des véhicules diesel adopté le 28 octobre 2015 par le Comité technique des véhicules à moteur (CTVM), qui regroupe des experts des Etats membres et des représentants de la Commission. Cet accord controversé introduit des "facteurs de conformité" pour les tests en conditions de conduite réelles (ECR ou RDE pour "Real Driving Emissions") qui ont fait l’objet d’un accord en mai 2015, avant que n’éclate le scandale Volkswagen, et a été confirmé au Conseil en novembre dernier.
Jusqu’ici, les émissions d’oxyde d’azote (NOx) des véhicules à moteur diesel, à la réduction desquelles l’UE veille depuis 2000, par une baisse des plafonds de 500 mg/km en 2000 à 80 mg/km en 2014 pour le standard Euro 6, étaient mesurées en laboratoire. Or, selon la Commission européenne elle-même, les essais en laboratoire ne rendent pas compte avec précision de la quantité de pollution atmosphérique générée dans des conditions de conduite réelles. Les véhicules diesel Euro 6 produits actuellement se situeraient en moyenne 4 à 5 fois au-dessus de la limite d’émission des NOx (400 %) lorsqu’on effectue les mesures dans des conditions de conduite réelles plutôt qu’en laboratoire.
Une nouvelle procédure d’essai en conditions de conduite réelles a été votée en mai 2015 par le Comité technique des véhicules à moteur (CTVM). Le Conseil a donné son feu vert à ces mesures le 10 novembre 2015, sous présidence luxembourgeoise, alors que l’affaire Volkswagen battait encore son plein.
L’accord trouvé le 28 octobre 2015 par CTVM vise à définir des exigences RDE quantitatives afin de limiter les émissions d'échappement des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 6). Dans un premier temps, les constructeurs automobiles devraient réduire l’écart entre mesures en laboratoire et mesures RDE à un "facteur de conformité" de maximum 2.1 (110 %) d'ici septembre 2017 pour les nouveaux modèles (et d'ici septembre 2019 pour les nouveaux véhicules). Dans un second temps, cet écart devrait être réduit à un facteur de 1.5 (50 %), en prenant en compte les marges d'erreurs techniques, d'ici janvier 2020 pour tous les nouveaux modèles (et d'ici janvier 2021 pour toutes les nouvelles voitures).
Les eurodéputés de la commission de l’Environnement (ENVI) avaient proposé le 14 décembre 2015 que le Parlement européen s’oppose à ce projet de décision d’exécution. Selon les parlementaires de la commission ENVI, ce texte "se traduirait de facto par une dérogation générale aux limites d’émission applicables et n’est donc pas compatible avec le droit de l’Union, en ce qu’il n’est pas compatible avec le but et le contenu du règlement (CE) n° 715/2007" (encadrant les émissions des véhicules, ndlr).
Entre temps, la commission d’enquête sur la mesure des émissions dans le secteur de l’automobile (EMIS), créée dans la foulée de l’affaire Volkswagen, s’est constituée et s’apprête à entamer ses travaux.
De son côté, la Commission européenne a présenté le 27 janvier dernier de nouvelles propositions législatives visant à "garantir que les constructeurs automobiles se conforment strictement à toutes les prescriptions de l'UE en matière de sécurité, d’environnement et de production". L’ambition de la Commission est de rendre les essais de véhicules plus indépendants et d’accroître la surveillance des voitures déjà en circulation, et ce notamment via une plus grande supervision européenne.
Juste avant le vote, la commissaire européenne à l'Industrie et au Marché intérieur, Elzbieta Bienkowksa, a fait valoir cette proposition de nouveau système d’homologation qui donnera à la Commission "plus de pouvoirs". Elle s’est aussi engagée à ce que le facteur de conformité de 1,5 soit ramené à 1 le plus tôt possible et au plus tard en 2023. "La Commission est prête à utiliser la clause de révision dès 2017, sur une base annuelle", a-t-elle encore assuré. La commissaire a aussi ajouté qu’elle veillerait à ce que l'adoption des mesures et des procédures concernant les facteurs de conformité intervienne à l'avenir "via des actes délégués", comme le Parlement le demande, et non via des actes d'exécution (c'est-à-dire par comitologie), qui le contournent.
Ses engagements ont manifestement tenu une part importante dans les votes, puisque le projet de résolution, a finalement été rejeté par 323 voix contre 317, et 61 abstentions.
En témoigne la déclaration du président de la commission de l'environnement, Giovanni La Via (PPE), juste avant le vote. "Des négociations intenses ont été organisées avec la Commission européenne et les États membres après l'adoption de l'objection en commission de l'environnement. Et la Commission européenne a tenu ses promesses", a-t-il déclaré. "Nous disposons désormais d'engagements clairs de la part de la Commission en faveur d'une clause de révision avec un calendrier précis, dans le but de réduire les valeurs d'émissions maximales aux niveaux que nous avons conclus avec les co-législateurs. Une proposition de réforme à long terme du régime européen d'approbation des véhicules est également sur la table, comme l'a demandé le Parlement", s’est-il félicité. Il a ainsi salué une "décision responsable" de la plénière qui va permettre de "poursuivre la procédure RDE dans le but de réduire les émissions de NOx des voitures, qui sont actuellement 400 à 500 % au-dessus des limites officielles".
Ce sont principalement les groupes PPE, ECR et ENL qui ont voté contre le texte, rejoints par les voix dissidentes d’un certain nombre de députés S&D et ALDE.
Les six eurodéputés luxembourgeois se sont tous prononcés en faveur de cette résolution.
Les eurodéputés luxembourgeois du groupe PPE, Georges Bach, Frank Engel et Viviane Reding, se sont ainsi nettement démarqués de leur groupe lors du vote, puisqu’ils ont tous les trois voté en faveur de la résolution qui demandait à bloquer la décision d’exécution introduisant ces facteurs de conformité. Au Luxembourg, le groupe CSV s’était déjà mobilisé sur la question, ainsi qu’en témoignait une question parlementaire posée par Serge Wilmes en décembre dernier.
Dans un communiqué diffusé par les trois eurodéputés du CSV, ils saluent toutefois "les améliorations" obtenues par le Parlement européen dans les négociations avec la Commission. Mais ils indiquent ne pas s’être pliés à la pression des lobbies. "Nous avons pu mettre des limites au laisser-aller des grands Etats membres", s’est ainsi félicitée Viviane Reding.
Un des points les plus sensibles aux yeux des trois parlementaires est de veiller à ce que le Parlement participe aux décisions techniques, ce à quoi s’est engagée la Commission. "Les députés du CSV seront inflexibles sur cette question", assurent-ils dans leur communiqué. Georges Bach souligne les avancées, mais il met aussi l’accent sur le fait que les plafonds d’émission ne sont pas indicatifs, et doivent être respectés. "Il ne doit pas y avoir de combine politique", s’insurge le parlementaire qui explique ainsi ne pas avoir pu "laisser passer la décision du comité technique".
Le groupe S&D, qui a majoritairement voté en faveur de la résolution, non sans quelques divisions, a assuré après le vote qu’il continuerait à se battre pour améliorer les tests d’émission automobile. L’eurodéputée Kathleen Van Brempt a ainsi dénoncé les tentatives de la Commission et du Conseil "d’utiliser des voies détournées pour hausser les limites légales des émissions", à savoir celles qui ont été fixées dans le règlement de 2007. "Elles ne peuvent être changées en commission technique en dehors du Parlement européen", a-t-elle mis en avant tout en saluant les engagements pris par la Commission. Selon elle, le résultat très serré du vote signifie que "la Commission et le Conseil seront surveillés de près lorsqu’ils élaboreront les procédures de test, et qu’ils ne pourront pas tout se permettre."
Le groupe ECR, qui s’est associé avec le PPE pour rejeter la proposition de résolution, a réagi par l’intermédiaire de l’eurodéputée Julie Girling selon laquelle le veto du Parlement européen à la décision d’exécution serait revenu à "jeter le bébé avec l’eau du bain" en bloquant "tout le processus de transition aux tests en conduite réelles". Si elle reconnaît partager certaines des inquiétudes des auteurs de la résolution, elle a toutefois salué un vote qui va permettre de sortir enfin des tests d’émissions qui remontent aux années 70".
Claude Turmes (Verts/ALE), qui est membre suppléant de la nouvelle commission d’enquête EMIS et qui a déjà pris position sur le sujet, a dénoncé, comme son groupe politique, "une mauvaise décision". "La majorité constituée par les eurodéputés conservateurs et quelques sociaux-démocrates a fait d’eux des laquais de l’industrie automobile", a-t-il dénoncé, jugeant que "les intérêts de l’industrie leur étaient visiblement plus chers que la santé des citoyens". A ses yeux, "l’argument hypocrite de l’industrie, selon laquelle un rejet de ces plafonds aurait retardé l’introduction de meilleures procédures de tests, est tout simplement faux". Claude Turmes a souligné à nouveau les conséquences sanitaires désastreuses des émissions des véhicules diesel et assuré que les Verts au Parlement européen allaient "se battre au sein de la commission EMIS et dans le cadre de la procédure législative portant sur les nouvelles propositions de la Commission pour que cette mauvaise décision soit corrigée".