Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a répondu le 22 février 2016 à deux questions parlementaires posées un mois plus tôt par les députés Martine Hansen (CSV) et Marc Angel (LSAP) au sujet de l’intégration d’indicateurs sociaux dans les procédures du Semestre européen.
Pour mémoire, les ministres de l’Economie et des Finances de l’Union européenne (UE), réunis en Conseil ECOFIN le 15 janvier 2016, s’étaient dit "préoccupés" par l’inclusion par la Commission de trois nouveaux indicateurs en matière d'emploi au tableau de bord du mécanisme d’alerte de la procédure de déséquilibre macroéconomique (PDM), "compte tenu de la nécessité de préserver l'efficacité du tableau de bord en tant que dispositif d'alerte précoce ainsi que de la nature de la PDM en tant que procédure établie pour se concentrer sur la constatation, la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques", indiquent les conclusions du Conseil.
L’inclusion de ces indicateurs avait pourtant été saluée à l’issue du dernier Conseil "Emploi, Politique sociale, Santé et Consommateurs" (EPSCO) organisé sous Présidence luxembourgeoise, le 7 décembre 2015. "Nous considérons que l’intégration des trois indicateurs en matière d’emploi [à savoir le taux d’activité, le chômage de longue durée et le chômage des jeunes, NDLR] dans la procédure des déséquilibres macroéconomiques peut être un avantage : cela correspond à la reconnaissance que le chômage est un déséquilibre macroéconomique majeur et qu’il doit être traité comme tel", avait alors indiqué Nicolas Schmit, ministre luxembourgeois du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire.
Dans sa question parlementaire, la députée Martine Hansen dénonce un "revirement en la matière" et demande à Nicolas Schmit s’il peut souscrire aux conclusions du Conseil ECOFIN et à Pierre Gramegna s’il a approuvé ces conclusions. La députée souhaite également connaître la position du gouvernement sur le sujet.
Le député Marc Angel adresse les mêmes questions aux ministres et demande comment la dimension sociale est prise en compte dans l'élaboration du programme national de réforme au Luxembourg et quelles seront les conséquences de ces conclusions pour l'analyse des déséquilibres macroéconomiques, les priorités économiques et les recommandations par pays. Enfin, Marc Angel souhaite savoir si la prise en compte de ces indicateurs sociaux aurait changé la décision de déclencher des mesures dans le cadre de la PDM. Si oui, quels pays auraient été susceptibles d'être concernés ?
Dans sa réponse, le ministre des Finances a commencé par rappeler l’implication du gouvernement luxembourgeois dans le renforcement de la dimension sociale. Ainsi, il indique que ce sujet a été une priorité de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l'Union européenne, précisant que le gouvernement a "tablé des propositions concrètes visant une implication approfondie des parlements nationaux, partenaires sociaux et autres acteurs clés dans le processus du Semestre européen, le développement et l'utilisation des outils de surveillance existants pour considérer davantage la dimension sociale, d'analyses plus horizontales des différentes politiques, l'approfondissement de la coopération entre les différents comités impliqués dans le Semestre européen.". Ces propositions ont donné lieu à des conclusions du Conseil de l'UE intitulées "Une gouvernance sociale pour une Europe inclusive et adoptées le 7 décembre 2015, rappelle-t-il.
En ce qui concerne la procédure de suivi des déséquilibrés macro-économiques (PDM), sur laquelle portent les questions des députés, Pierre Gramegna précise qu’elle est un "instrument parmi d'autres utilisés annuellement dans le processus du Semestre européen" et qui a pour but de "mieux prévoir et gérer des potentiels déséquilibres macro-économiques externes et internes au sein d'un Etat-membre". Le tableau de bord, qui est compris dans la PDM, est censé permettre de "mieux détecter de potentiels déséquilibres macro-économiques internes et externes au sein d'un État membre, en comparant les valeurs nationales des indicateurs à des seuils jugés comme critiques", précise encore le ministre. À ces indicateurs principaux du tableau de bord s'ajoutent une série d'indicateurs auxiliaires qui eux permettent d'analyser plus en profondeur la situation d'un État membre, y compris en matière d'emploi et de pauvreté.
Pierre Gramegna précise encore qu’au courant du premier semestre de 2015, la Commission européenne a proposé de reprendre trois indicateurs supplémentaires en matière d'emploi dans le tableau de bord principal de la PDM, en plus du taux de chômage qui figurait déjà : le taux d'activité des personnes âgées entre 15 et 64 ans, le taux de chômage de longue durée des personnes âgées entre 15 et 74 ans et le taux de chômage des jeunes âgés entre 15 et 24 ans.
Lors des consultations techniques au sein des comités dans les filières ECOFIN et EPSCO, il est apparu que "les réponses que la Commission européenne apportait aux nombreuses questions liées à l’ajout des trois indicateurs dans le tableau de bord principal ne pouvaient être considérées comme suffisantes". Les États membres ont notamment argumenté que d'autres outils existaient déjà, comme les indicateurs de suivi de la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente durable et inclusive (taux d'emploi et risque de pauvreté), le Rapport conjoint sur l'emploi avec son tableau de bord d'indicateurs en matière sociale et d'emploi (JER), le suivi des résultats dans le domaine de la protection sociale (SPPM) et la méthode ouverte de coordination (MOC), permettant un meilleur suivi en matière d'emploi et sociale, indique Pierre Gramegna.
Dès lors, les États membres avaient proposé de "tirer meilleur profit des autres outils existants avant d'introduire de nouveaux Indicateurs dans le tableau de bord principal de la PDM qui ne demeure qu'un seul outil parmi d'autres dans l'ensemble du Semestre européen", dit-il encore, précisant que "l'ajout des trois indicateurs dans |e tableau de bord principal de la PDM (…) a été considéré Comme apportant peu de valeur ajoutée eu égard aux autres outils et comme risquant de diluer l'objectif principal de la PDM qui est la prévention des déséquilibres macro-économiques".
Pierre Gramegna indique encore que malgré les questions techniques soulevées par les Etats membres, la Commission européenne a publié, le 26 novembre 2015, son "paquet de novembre" constitué de plusieurs documents stratégiques, dont l'examen annuel de la croissance (EAC) et le rapport du mécanisme d'alerte de la PDM qui inclut ces trois nouveaux indicateurs en matière d'emploi. "Les trois indicateurs ayant été utilisés pour la première fois dans le processus du Semestre européen en novembre 2015, il s'avère prématuré de tirer dès à présent un bilan", indique le ministre.
Pour Pierre Gramegna, "il appartiendra à la Commission européenne de préciser la conjugaison de ces trois indicateurs avec les autres outils existants au fur et à mesure de l'avancement du processus, et notamment lorsqu'elle publiera en mai 2016 ses propositions de recommandations spécifiques pour chaque État membre".
Pour répondre à la question de Marc Angel concernant le déclenchement des mesures dans le cadre de la PDM, Pierre Gramegna indique que la Commission européenne a par le passé précisé que ces trois nouveaux indicateurs principaux, ainsi que l'indicateur principal existant du taux de chômage, dans le tableau de bord de la PDM ne donnerait per se pas lieu à un déclenchement de la deuxième étape du volet préventif de la PDM ("examen approfondi"). Suivant le tableau de bord repris dans le rapport du mécanisme d'alerte de la PDM, 19 des 28 État membres dépassent les seuils pour au moins un des quatre indicateurs relatifs à l'emploi pour l'année 2014, les données pour l'ensemble de l'année 2015 n'étant pas encore disponibles au moment de la publication, indique t-il.
Quant à la position du gouvernement, le ministre tient à souligner qu’ "à aucun moment, ni le gouvernement luxembourgeois, ni le Conseil de l'Union européenne, n'ont remis en question un renforcement de la dimension sociale dans le processus de la PDM et du Semestre européen dans son ensemble".
Pierre Gramegna appelle à ce que le renforcement de la dimension sociale soit "un élément central de l’approfondissement de l'Union économique et monétaire et de sa gouvernance". Pour lui, elle "dépasse le seul cadré de la PDM". Le ministre des Finances est d’avis qu’il serait "trop réducteur de limiter l'ensemble du processus européen à la seule PDM, même si cette dernière relève d'une importance majeure dans la coordination des politiques économiques à partir de 2011".
De nombreux travaux sont réalisés au niveau européen, indique le ministre : au niveau technique par une coopération étroite entre les différents comités consultatifs des formations EPSCO et ECOFIN du Conseil, les services de la Commission européenne et les représentants européens des partenaires sociaux, et au niveau politique par des échanges entre ministres qui tiennent mieux compte de la situation sociale dans chaque État membre, ceci dans toutes les formations du Conseil, notamment EPSCO et ECOFIN. Selon lui, une éventuelle réunion commune entre les formations ECOFIN et EPSCO serait une "possibilité, parmi autres, de renforcer davantage cette coopération entre les deux formations".
Au niveau national, Pierre Gramegna invite les acteurs clé à "s'approprier le processus du Semestre européen et être plus impliqués dans celui-ci". Il cite les actions déjà réalisées par le gouvernement comme l’approfondissement des échanges avec la Chambre des Députés, les partenaires sociaux dans le cadre du dialogue social national et les autres acteurs indispensables dans l’ensemble du processus du Semestre européen, de l'élaboration du Programme national de réforme (PNR) à la mise en œuvre des recommandations spécifiques au niveau national.
Plus précisément, pour l'élaboration du PNR, dont la structure est toutefois déterminée par la Commission européenne, le gouvernement a toujours suivi une approche horizontale et intégrative par une coordination étroite des différents ministères et administrations visées, ainsi que par une forte implication de la Chambre des Députés et des partenaires sociaux, notamment en ce qui concerne les différentes mesures à mettre en œuvre pour répondre aux recommandations spécifiques et qui sont décrites chaque année dans le PNR. Pierre Gramegna indique que ces efforts du gouvernement seront poursuivis et résulteront cette année dans des échanges plus approfondis et de meilleure qualité lors de la semaine du Semestre européen qui aura lieu prochainement.
Enfin, le ministre souligne que le processus du Semestre européen et celui de la PDM ne sont "pas figés". Au contraire, depuis leur mise en place en 2011, ils ont été "optimisés en continu pour tirer meilleur profit d'une coordination des diverses politiques économiques, sociales et environnementales et contribuer ainsi à une croissance intelligente, durable et inclusive dans l’UE".