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Emploi et politique sociale - Marché intérieur
Révision de la directive sur le détachement des travailleurs – Onze Etats membres sortent le "carton jaune" contre un texte demandé entre autres par le Luxembourg
11-05-2016


Détachement des travailleurs - source: PELa Commission européenne a présenté le 8 mars 2016 un projet de révision qu’elle qualifie de "ciblée" des règles relatives au détachement de travailleurs, celles en vigueur actuellement datant de 1996, donc d’avant l’élargissement de l’UE.

Le Luxembourg fait partie avec la France, l'Allemagne, l'Autriche et la Suède, des Etats membres qui étaient demandeurs de cette révision. Le projet présenté "traduit l’engagement pris par l’actuelle Commission, dans ses orientations politiques, de promouvoir le principe d’une rémunération identique pour un même travail effectué au même endroit". Il vise à faciliter le détachement de travailleurs dans un environnement de concurrence loyale et de respect des droits des travailleurs, qui sont employés dans un État membre et que leur employeur envoie travailler temporairement dans un autre État membre. Plus spécifiquement, l’initiative a pour but de garantir des conditions de rémunération équitables et des conditions de concurrence égales tant pour les entreprises détachant des travailleurs que pour les entreprises locales dans le pays d’accueil.

L’accueil de cette proposition a été mitigé auprès des partenaires sociaux, qui n’avaient pas été consultés au préalable. Elle l’a également été auprès d’un certain nombre d’Etats membres, comme l’avait révélé la réunion informelle des ministres européens de l’Emploi et des Affaires sociales des 19 et 20 avril 2016, au cours de laquelle avait eu lieu une première discussion sur la nouvelle proposition sur le détachement des travailleurs.

"La mobilité des travailleurs est devenue un sujet très sensible au niveau de l'Union européenne", avait souligné Nicolas Schmit au cours d’un débat qui s’était annoncé houleux, car le sujet divisait les Etats membres selon une ligne Est/Ouest, les premiers étant "méfiants voire hostiles" à la réforme, les seconds y étant dans l’ensemble plutôt favorables. La Commission et la Présidence néerlandaise du Conseil avaient encore pu faire part après la réunion de leur soulagement qu’on eût pu éviter "la confrontation entre deux blocs complètement antagonistes sur le sujet".

Onze parlements nationaux déclenchent la procédure du "carton jaune"

Mais depuis, la confrontation a repris, et elle a culminé le soir du 10 mai 2016 dans le fait que les parlements nationaux de onze Etats membres – Bulgarie, Croatie, République tchèque, Danemark, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie – ont déclenché la procédure dite du "carton jaune" à l’égard de la proposition de la Commission.

Qu’est-ce la procédure du "carton jaune" ? Le traité de Lisbonne prévoit que les parlements nationaux peuvent rédiger des avis motivés lorsqu’ils estiment qu’un projet d’acte législatif n’est pas conforme au principe de subsidiarité (c’est-à-dire que les Etats membres sont mieux placés pour légiférer dans un domaine) et si ces avis représentent un tiers des voix attribuées aux parlements, la Commission est obligée de réexaminer sa proposition. Dans l’UE actuelle qui compte 28 Etats membres, dix parlements nationaux doivent participer à la procédure pour que l’avis motivé soit recevable. Après avoir procédé à un réexamen, la Commission peut décider de maintenir, de modifier ou de retirer son texte. Si elle maintient son texte, le Parlement européen et le Conseil devront examiner s’il est conforme au principe de subsidiarité avant la fin de la première lecture. Si une majorité simple des membres du Parlement ou 55 % des membres du Conseil estiment que la proposition enfreint le principe de subsidiarité, son examen ne sera pas poursuivi.

La Commission européenne a défendu le 11 mai 2016 devant la presse son projet, son porte-parole, Christian Wigand, le qualifiant d’"équilibré et respectant le principe de subsidiarité" tout en se disant consciente que "des opinions différentes" existaient sur le sujet. Il a précisé que la Commission examinerait avec attention les considérations des différents parlements nationaux qui n’ont pas tous la même approche. Même si aucune échéance n’est fixée à la Commission, elle procédera "avec diligence" dans le cadre d’une procédure normale prévue par les traités qui demandent aux parlements de vérifier si une proposition législative est en accord avec le principe de subsidiarité.

D’après des sources concordantes, Agence Europe et Euractiv, les onze pays qui participent à la procédure visent un retrait pur et simple du texte, car ils mettent en question le principe même qui est à la base de la proposition, celui d'"un salaire égal à travail égal sur le même lieu", estimant qu’il empiète sur la compétence des États membres relative à la fixation des salaires.

Un porte-parole du gouvernement hongrois a clairement décrit le 20 avril 2016 au site Euractiv le problème qui préoccupe la plupart des Etats membres qui ont tiré la carte jaune. Ils seraient obligés de payer à leurs travailleurs détachés un salaire de fait plus élevé. "La mesure envisagée nous serait désavantageuse, et elle menacerait des dizaines de milliers d’emplois de Hongrois, par exemple les chauffeurs de camions actifs dans le secteur du transport routier international." Un tel désavantage compétitif est pour le gouvernement hongrois "contraire à l’intérêt national".

Nicolas Schmit espère que la Commission ne retirera pas son projet

Le ministre luxembourgeois du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit a déclaré à Europaforum.lu que la procédure du "carton jaune" enclenchée contre la proposition de la Commission pour réviser la directive sur le détachement des travailleurs confirmait le fossé qui se creuse dans l’UE entre les nouveaux Etats membres de l’Europe centrale et orientale et les Etats membres de l’Europe de l’Ouest et du Sud depuis les débuts de la crise migratoire. Pour lui, les parlements de ces Etats membres sont parfaitement dans leur droit de déclencher la procédure du "carton jaune" qui est prévue dans les traités. "Mais je ne suis pas sûr qu’ils aient à 100 % raison en le faisant", a-t-il estimé, avant de déclarer : "J’espère que la Commission ne retirera pas son projet, malgré ses imperfections."

Car il faut selon lui répondre aux problèmes et aux pressions sociales, notamment sur les salaires, que le détachement et les bas salaires payés aux travailleurs détachés créent dans les pays d’accueil. "La situation actuelle ne correspond pas non plus aux principes des traités. Les discriminations sont nombreuses. Il y a des lacunes dans le texte de 1996 qui rendent les contrôles pour parer aux abus difficiles dans les pays où les travailleurs sont détachés. La situation en 2016 est très différente de celle de 1996, et il faut y répondre en ajustant le texte."