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Traités et Affaires institutionnelles
Charles Goerens, invité des Midis de l’Europe, s’est prêté au jeu du débat et a fait part de ses inquiétudes quant à l’état de l’Union
02-05-2016


Charles Goerens à la Maison de l'Union européenne à Luxmebourg le 2 mai 2016Le 2 mai 2016, l'eurodéputé Charles Goerens (ADLE) était l'invité des Midis de l'Europe pour une conférence au cours de laquelle il a souhaité laisser place au débat. L'assistance, visiblement acquise au rêve européen, était composée de citoyens, de fonctionnaires des institutions européennes, mais aussi de députés et de représentants diplomatiques. Le manque d'information et de communication sur "les atouts de l'Union européenne" a été une des grandes préoccupations exprimées au cours du débat.

Pour Charles Goerens il serait "hasardeux" de vouloir passer par une modification des traités dans le contexte actuel

"Nous sommes en crise", a lancé en guise d'introduction Charles Goerens. L'eurodéputé a repris pour expliquer cette situation une formule prononcée par Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l'état de l'Union : "il n'y a pas assez d'Europe et pas assez d'Union". "Cette crise est manifestement une crise de solidarité", a précisé l'eurodéputé en référence à la crise des réfugiés, mais aussi à la crise de la dette souveraine. Selon lui, ce qui fait défaut, ce sont tant la discipline, la solidarité que la hauteur de vues.

Le Parlement européen, au-delà de sa fonction de législateur et de contrôleur budgétaire, peut aussi donner une impulsion politique au sein de l'UE, a rappelé Charles Goerens dans ce contexte. Et c’est à ce titre qu’il est en train de travailler à l'élaboration d'un rapport actuellement préparé par Elmar Brok (PPE) et Mercedes Bresso (S&D) qui a pour objectif de proposer des solutions pour améliorer le fonctionnement de l'Union européenne dans le cadre des traités actuels. Un rapport qui doit encore être voté en commission AFCO et dont Charles Goerens est rapporteur fictif pour le groupe ADLE.

Un autre rapport, sur lequel est en train de plancher Guy Verhofstadt, chef de file du groupe ADLE, proposera pour sa part des pistes de réflexion pour faire bouger les lignes en envisageant une modification des traités. Ce rapport, dont le projet n'est pas encore public, sera présenté ultérieurement. Charles Goerens a seulement évoqué une de ses sources d'inspiration, à savoir le rapport d'Altiero Spinelli de 1983 qui a déjà beaucoup inspiré le projet de traité constitutionnel.

Charles Goerens estime qu'il serait "hasardeux" de vouloir passer par une modification des traités dans le contexte actuel, car il serait peu probable selon lui de parvenir à trouver l'unanimité entre les 28 dans les années à venir. Mais il juge toutefois qu'il faut "faire l'exercice" et "engager la réflexion" sur une modification des traités. Or, le Parlement européen est à ses yeux la seule institution où une telle réflexion est possible. En effet, au niveau du Conseil, Angela Merkel, qui, incontournable comme elle était, aurait pu avoir la capacité d'instaurer une réflexion sur une modification des traités il y a encore quelques mois, est aujourd'hui "affaiblie par la crise des réfugiés", a expliqué le parlementaire.

Revenant sur la crise des réfugiés, Charles Goerens a exprimé son indignation devant des Etats membres dont certains érigent des barbelés là où il y a 25 ans à peine, on a lutté pour les faire disparaître. Il s’est aussi s'insurgé contre des Etats membres qui s'engagent à faire en deux ou trois ans ce que d'autres ont pu faire en trois jours en 2015. De son point de vue, une protection des frontières extérieures est nécessaire, mais pour y arriver, il faudrait mettre en place un "FBI européen".

"Si l'on n'arrive pas à juguler ce retour de l'irrationnel, cela pourrait déboucher sur de très mauvaises surprises", s’inquiète Charles Goerens

 A travers cette crise de solidarité, c'est une crise de l’État nation qui se révèle, analyse l'eurodéputé, car les Etats ne sont pas prêts à accepter les limites de leur action. S'il y avait eu une prédisposition  à la solidarité, il n'y aurait pas de crise des réfugiés, estime-t-il d'ailleurs.

Ce qui préoccupe tout particulièrement Charles Goerens, c'est le retour de l'irrationnel que l'on constate dans des discours qui surestiment les capacités des moyens nationaux en termes de sécurité par exemple, ou encore dans les amalgames qui sont fait entre islam et islamisme. "Si l'on n'arrive pas à juguler ce retour de l'irrationnel, cela pourrait déboucher sur de très mauvaises surprises", a mis en garde Charles Goerens en rappelant que cette indifférence et ce côté irrationnel, nous les avons déjà connus au 20e siècle, et qu'ils ont su balayer les Lumières. Charles Goerens n'a d'ailleurs pas manqué de faire un parallèle avec la Conférence d'Evian de 1938, au cours de laquelle les pays participants ont eux aussi refusé la solution de quotas ou de frontières ouvertes pour accueillir les Juifs qui tentaient de fuir l'Allemagne nazie.

Le débat

En réponse à une personne qui se demandait comment il était possible que les Britanniques puissent décider à eux seuls de la place du Royaume-Uni dans l’UE, sans que les autres ne soient consultés, Charles Goerens a relevé que le traité de Lisbonne permet d’organiser un référendum de sortie, autorisant de la sorte "un divorce qui privilégie les droits de celui qui veut quitter le ménage". L’eurodéputé, qui veut croire que le Royaume-Uni restera dans l’UE à l’issue du référendum du 23 juin, s’est montré critique à l’égard de David Cameron. En convoquant un référendum pour contrer les eurosceptiques qui étaient sur le point de prendre le dessus dans son propre parti, le Premier ministre britannique a selon lui commis l’erreur de "projeter sur le reste de l’Europe une crise interne", alors qu’un homme politique a pour rôle de calmer le jeu pour que des décisions puissent être prises en toute sérénité.

L’eurodéputé est aussi revenu spontanément sur le récent référendum qui s’est tenu aux Pays-Bas, s’étonnant qu’un quorum de 30 % d’électeurs dans un seul pays de l’UE suffise pour valider un vote qui risque finalement d’engager toute l’UE. Certes le référendum est facultatif et le Premier ministre néerlandais est tout à fait en droit de l’ignorer, au risque de s’attirer de vifs reproches, mais Charles Goerens suggère de respecter le résultat et de provoquer ainsi une crise institutionnelle qui pourrait mettre un terme à l’accord entre l’UE et l’Ukraine. "Le meilleur moyen de lutter contre la crise, c’est la crise", a lancé l’eurodéputé qui plaide pour réviser les règles en vigueur de façon à faire respecter la démocratie européenne. Sur une question comme celle qui a été soumise au vote des électeurs néerlandais, il aurait en effet fallu un référendum à l’échelle de l’UE, estime Charles Goerens.

Le parlementaire européen a aussi dénoncé le "réel déficit démocratique" de l’UEM, évoquant un mécanisme de sauvetage qui est une société de droit luxembourgeois sans contrôle démocratique organisé de manière uniforme. "Il devrait être basé sur les ressources propres de l’UE", estime Charles Goerens, conscient toutefois que le plafonnement du budget de l’UE à 1 % du PIB européen limite forcément les marges. L’eurodéputé a aussi mis l’accent sur la confusion générée par les solutions trouvées dans l’urgence pour faire face à la crise et contourner les traités qui interdisent à un Etat membre d’en aider un autre à payer sa dette. "Ce sont les mêmes acteurs qui agissent en vertu de traités différents", a-t-il ainsi mis en avant, rappelant que le Conseil européen s’est réuni une dizaine de fois dans un cadre intergouvernemental, donnant l’impression qu’il s’agissait d’une "marche arrière de l’UE".  Pour mettre fin à de telles confusions, Charles Goerens plaide pour un traité plus lisible expliquant clairement les droits des citoyens et les devoirs de leurs élus. Pour autant, Charles Goerens a jugé qu’il serait "abusif de déclarer que l’on n’a pas fait preuve de solidarité à l’égard de la Grèce".

Interpellé sur les relations de l’UE avec la Turquie, Charles Goerens a rappelé qu’il avait lui-même plaidé en 2004 pour que l’on accorde à la Turquie le statut de candidat. Aujourd’hui, il évoque "un pays qui recule" et il estime qu’il ne faut pas donner à la Turquie d’illusion sur son adhésion à l’UE. L’accord trouvé dans la crise des réfugiés relève de la realpolitik, a-t-il souligné, jugeant "très hasardeux" d’accorder à la Turquie la liberté de visas alors que les critères ne sont pas remplis.

Sur les questions de fiscalité, au sujet desquelles une jeune femme s’est indignée dans l’assistance, Charles Goerens a souligné les efforts réalisés par le Luxembourg, qui ne figure d’ailleurs plus sur la moindre liste noire ou grise. "Je défendrai becs et ongles une saine concurrence fiscale, a déclaré l’eurodéputé qui est contre l’harmonisation fiscale, ne serait-ce que parce que les situations budgétaires des Etats membres diffèrent les unes des autres. Il estime qu’il faudrait réduire les écarts entre les taux d’imposition, en ayant une assiette d’imposition qui permette la comparaison.

Quant à la question du désintérêt que provoquent les affaires européennes et de la désaffection à l’égard de la cause européenne, qui est revenue comme un fil rouge tout au long du débat, Charles Goerens a plaidé pour "faire preuve de pédagogie sans simplisme". La difficulté, a admis l’eurodéputé, "c’est qu’il faut nécessairement parler des faiblesses inhérentes aux Etats membres, ce que personne ne veut faire".