Principaux portails publics  |     | 

Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Éducation, formation et jeunesse - Emploi et politique sociale
Aide financière pour études supérieures - Selon l’avocat général de la CJUE, un enfant au sein d’une famille recomposée peut être considéré comme l’enfant du beau-parent en matière d’avantage social transfrontalier
09-06-2016


CJUELe 9 juin 2016, l’avocat général de la CJUE Melchior Wathelet a rendu de nouvelles conclusions portant sur la loi luxembourgeoise sur les bourses d’étude.

Cette loi contestée depuis son introduction a été modifiée suite à l’arrêt de la Cour du 20 juin 2013 dans l’affaire Giersch (C-20/12). Elle prévoit désormais que les enfants de travailleurs frontaliers employés au Luxembourg ou exerçant leur activité dans ce pays peuvent demander une aide financière pour études supérieures (ci-après "bourse d’études"), à condition notamment que le travailleur frontalier ait travaillé au Luxembourg pendant une durée ininterrompue de cinq ans au moment de la demande. La question de savoir si cette condition de durée de travail minimale et ininterrompue de cinq ans, introduite est discriminatoire ou non au regard du droit de l’Union fait l’objet de l’affaire Bragança Linares Verruga e.a. (C-238/15) dans laquelle l’avocat général Melchior Wathelet a rendu ses conclusions le 2 juin dernier.

Mme Noémie Depesme, M. Adrien Kaufmann et M. Maxime Lefort vivent chacun dans une famille recomposée constituée respectivement de leur mère génétique et de leur beau-père (le père génétique étant soit séparé de la mère soit décédé). Chacune de ces trois personnes a demandé des bourses d’étude au Luxembourg, du fait que son beau-père respectif y travaille de manière ininterrompue depuis plus de cinq ans (aucune des mères ne travaille en revanche dans ce pays). Les autorités luxembourgeoises ont refusé de faire droit à ces demandes, au motif que Mme Depesme et MM. Kaufmann et Lefort n’étaient pas juridiquement les "enfants" d’un travailleur frontalier, mais uniquement des "beaux-enfants".

Les trois étudiants ayant contesté les décisions des autorités luxembourgeoises, la Cour administrative du Luxembourg, saisie de l’affaire, demande en substance à la Cour de justice si, en matière d’avantage social, la notion d’ "enfant" doit également inclure les beaux-enfants. Autrement dit, il s’agit de déterminer si le lien de filiation peut être envisagé d’un point de vue non pas juridique, mais économique.

Dans ses conclusions rendues le 9 juin 2016, l’avocat général Melchior Wathelet rappelle tout d’abord que, selon le règlement (UE) n° 492/2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union, un travailleur issu d’un État membre doit bénéficier dans tout autre État membre dans lequel il travaille des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. Par ailleurs, il rappelle que, en matière de citoyenneté de l’Union, les enfants sont définis par la directive 2004/384 comme "les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt et un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire". L’avocat général ne voit aucune raison de ne pas appliquer cette définition en matière d’avantage social dans le cadre du règlement. Selon lui, la famille d’un citoyen de l’Union doit être la même que celle des citoyens de l’Union appréhendés en leur qualité de "travailleur". Il relève ainsi que la Cour a déjà jugé, en matière de scolarisation des enfants (matière tombant dans le champ d’application du même règlement), que tant les descendants du travailleur migrant que ceux de son conjoint ont le droit d’être admis dans le système scolaire de l’État membre d’accueil (Arrêt de la Cour du 17 septembre 2002, Baumbast et R). En outre, le législateur de l’Union a lui-même confirmé, dans la directive 2014/54/UE, dont le champ d’application est identique à celui du règlement en cause, l’unicité de la notion de "membres de la famille", dans le sens où les enfants du conjoint d’un travailleur frontalier doivent être considérés comme un "membre de la famille" de ce travailleur. Enfin, l’avocat général estime que cette interprétation est conforme à l’interprétation de la "vie familiale" protégée par la Charte des droits fondamentaux de l’UE et par la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour européenne des droits de l’homme s’étant d’ailleurs elle-même progressivement détachée du critère relatif au "lien de parenté" pour reconnaître la possibilité de "liens familiaux de facto" (Arrêt de la CEDH du 22 avril 1997 dans l’affaire X, Y et Z c. Royaume-Uni ).

Pour illustrer ses propos, l’avocat général prend l’exemple d’une famille recomposée de trois enfants, dont le premier est l’enfant de la mère, le second l’enfant du conjoint de la mère et le troisième l’enfant du couple. Dans cet exemple où il est supposé que seule la mère a la qualité de travailleur frontalier au Luxembourg, l’avocat général constate que, si la notion d’"enfant" devait être retenue dans son acceptation juridique stricte, la mère pourrait obtenir une bourse d’études luxembourgeoise pour son propre enfant et pour l’enfant commun du couple, mais ne le pourrait pas pour l’enfant de son conjoint, alors même que cet enfant vivrait par exemple depuis l’âge de deux ans au sein de la famille recomposée. L’avocat général en conclut qu’un enfant qui n’a pas de lien juridique avec le travailleur migrant, mais qui répond à la définition de "membre de la famille" au sens de la directive 2004/38 doit être considéré comme l’enfant de ce travailleur et peut donc bénéficier des avantages sociaux prévus par le règlement.

S’agissant enfin du degré de contribution nécessaire à l’entretien d’un étudiant vis-à-vis duquel le travailleur frontalier n’a pas de lien juridique, l’avocat général rappelle que la qualité de membre de la famille à charge résulte d’une situation de fait (Arrêt de la Cour du 18 juin 1987, Lebon), cette jurisprudence devant également s’appliquer à la contribution d’un conjoint vis-à-vis de ses beaux-enfants. Ainsi, la contribution à l’entretien de l’enfant peut être démontrée par des éléments objectifs comme le mariage, un partenariat enregistré ou bien encore un domicile commun, et ce, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les raisons du recours à ce soutien ni d’en chiffrer l’ampleur de façon précise.

L’avocat général note toutefois que, depuis le 24 juillet 2014, le Luxembourg a modifié la loi en cause en prévoyant expressément que les enfants de travailleurs frontaliers peuvent bénéficier de bourses d’étude à condition que le travailleur continue à contribuer à l’entretien de l’étudiant. La loi luxembourgeoise ne définit cependant toujours pas expressément ce qu’il convient d’entendre par "enfant", est-il relevé.