Un des points à l’ordre du jour du Conseil EPSCO qui réunissait les ministres de l’Emploi de l’UE à Luxembourg le 16 juin 2016 a été la révision de la directive concernant le détachement des travailleurs, proposée le 8 mars 2016 par la Commission européenne et l'état de la situation après que les parlements nationaux de onze Etats membres - Bulgarie, Croatie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Danemark - ont déclenché en mai la procédure dite du "carton jaune". Ces pays visent un retrait du texte, car ils rejettent le principe qui est à sa base, celui d'"un salaire égal à travail égal sur le même lieu", lui reprochant de ne pas se conformer au principe de la subsidiarité, et pour certains, de ne pas respecter non plus le principe de la proportionnalité. Le Luxembourg en revanche fait partie, avec l’Autriche, la Belgique, la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède partie des sept Etats membres qui ont transmis en juin 2015 une lettre à la Commission pour demander la révision de la directive.
En marge du Conseil, une manifestation, soutenue par la Confédération européenne des syndicats (CES) et le syndicat luxembourgeois OGBL, et qui avait été organisée par la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois (FETBB) a eu lieu pour exprimer le soutien du monde syndical au "maintien de la proposition existante de révision de la directive ‘détachement’".
Liina Carr, secrétaire confédérale à la CES, qui est intervenue lors de la manifestation, a mis en avant que "le détachement des travailleurs n’est possible et juste que s’il garantit le principe fondamental du salaire égal pour un travail égal". Elle a rejeté la concurrence sur les coûts de main-d’œuvre. Elle a critiqué les lacunes dans la proposition sur la nature de la protection sociale des travailleurs détachés, et elle s’est demandée comment une égalité de salaire pouvait être garantie si les conventions collectives sectorielles de certains pays ainsi que tous les accords collectifs d’entreprise en sont exclus. Comme aucune consultation préalable n’a eu lieu avec les partenaires sociaux, elle craint que de nombreux travailleurs détachés ne connaissent pas l’égalité salariale et que les syndicats soient obligés de continuer à saisir les tribunaux pour faire valoir leurs droits. "Si l’on veut mettre fin à l’exploitation des travailleurs, la révision doit inclure le droit des syndicats à négocier collectivement pour les travailleurs détachés et contraindre les entrepreneurs conjointement avec leurs sous-traitants à respecter les termes et conditions d’emploi", a-t-elle demandé.
La demande des manifestants et des différents orateurs était clairement que la Commission rejette la demande de "carton jaune" des onze Etats membres et maintienne son projet malgré ses imperfections, qu’un vrai débat puisse avoir lieu avec les gouvernements et le Parlement européen et que le processus législatif garantisse le respect des systèmes nationaux de négociation collective et de fixation des salaires, conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Après la réunion formelle du Conseil, les ministres de l’Emploi ont eu des échanges avec des représentants de la Confédération européenne des syndicats (CES) qui ont porté sur le détachement des travailleurs. Lors de celle-ci, le ministre luxembourgeois du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit, a exprimé son soutien aux préoccupations des syndicats et que les efforts doivent porter sur une amélioration du cadre réglementaire pour mieux lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale.
Interrogée à l’issue de cette partie du Conseil sur les intentions de la Commission, la commissaire en charge du dossier, Marianne Thyssen, a expliqué que la Commission allait analyser les lettres des onze parlements nationaux, puis seulement elle pourra formuler sa réponse. Les traités n’imposent aucun délai à la Commission, a-t-elle mis en avant, tout en soulignant que "la question est trop importante pour la laisser traîner". Marianne Thyssen a émis l’espoir que la chose soit tranchée avant les vacances d’été, "avant fin juillet, disons".
Le traité de Lisbonne prévoit que les parlements nationaux peuvent rédiger des avis motivés lorsqu’ils estiment qu’un projet d’acte législatif n’est pas conforme au principe de subsidiarité (c’est-à-dire que les Etats membres sont mieux placés pour légiférer dans un domaine) et si ces avis représentent un tiers des voix attribuées aux parlements, la Commission est obligée de réexaminer sa proposition. Dans l’UE actuelle qui compte 28 Etats membres, dix parlements nationaux doivent participer à la procédure pour que l’avis motivé soit recevable. Après avoir procédé à un réexamen, la Commission peut décider de maintenir, de modifier ou de retirer son texte. Si elle maintient son texte, le Parlement européen et le Conseil devront examiner s’il est conforme au principe de subsidiarité avant la fin de la première lecture. Si une majorité simple des membres du Parlement ou 55 % des membres du Conseil estiment que la proposition enfreint le principe de subsidiarité, son examen ne sera pas poursuivi. Or, les onze Etats membres qui ont déclenché la procédure recueillent 20,99 % des voix au Conseil.