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Economie, finances et monnaie - Traités et Affaires institutionnelles
Brexit – La Chambre des députés a débattu des opportunités économiques pour le Luxembourg
06-07-2016


chd-brexitLe 6 juillet 2016, lors d'une heure d'actualité demandée par le parti chrétien-social (CSV), les députés  ont discuté des conséquences et des effets pour l'économie et la place financière luxembourgeoise du vote britannique en faveur d'une sortie du pays de l'Union européenne.

C'était le second débat sur les conséquences du Brexit du 23 juin 2016, après celui organisé le 30 juin 2016. Le Premier ministre Xavier Bettel avait alors rétorqué à ceux qui " pensent que le gouvernement devrait être hyperactif et faire la promotion du Luxembourg", qu'il est "déjà depuis longtemps sur les radars".

Les positions des députés

Le député CSV, Laurent Mosar, à l'initiative de cette heure de discussions, a rappelé que toutes les projections, dont celles, récentes, du STATEC, tablent sur un ralentissement de l'économie causé par le Brexit. Il a estimé que l'ampleur de ce ralentissement pour le Luxembourg dépendra de la manière dont le gouvernement et le secteur économique se positionneront dans les prochaines semaines et les prochains mois. "Les dommages peuvent être encore limités", dit-il en désignant l'insécurité engendrée par le Brexit, comme un "poison", pour le secteur financier en particulier.

Or, Laurent Mosar reproche au gouvernement de ne pas avoir eu de plan B. En créant une task force interministérielle et en prévoyant une mission économique à Londres, le gouvernement a eu une réaction salutaire mais "tardive" alors qu'à Dublin, à Francfort et  à Paris, on y réfléchit depuis des mois. Tout comme "une sorte d'expédition punitive contre le Royaume-Uni" menée par les responsables de l'UE serait nuisible aux "bonnes relations politiques et stratégiques" avec le Royaume-Uni, dont le Luxembourg a besoin, le gouvernement ne devrait pas se jeter comme "des vautours" sur le gâteau. Néanmoins, il est possible d'agir "loyalement et avec respect", en cherchant à attirer des entreprises et investisseurs britanniques et de pays tiers qui ont besoin d'un nouveau pays d'établissement pour accéder au marché européen. Laurent Mosar a notamment attiré l'attention sur le potentiel que constituent les start-up installées en nombre à Londres qui ont besoin elles aussi du passeport européen. Il a également suggéré de baisser le taux d'affichage de l'impôt sur les sociétés pour se donner un argument supplémentaire.

Jugeant le débat prématuré, le député DP, Eugène Berger a fait remarquer qu'il ne s'agissait pas d'une "braderie", où le premier arrivé et celui qui crie le plus fort feraient les meilleures affaires, mais qu'il fallait mener "une négociation intelligente". Ce n'est pas au dernier moment que les sociétés regardent où elles peuvent s'installer, mais leurs décisions sont le fruit de réflexions poussées, pense le député libéral. Les sociétés qui ont des succursales au Luxembourg vont les développer. Le gouvernement, pour sa part, aurait fait tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir le pays, rendu "plus que jamais attractif" par la politique de transparence.

Pour le socialiste Franz Fayot, le Brexit s'impose d'abord par ses éventuelles conséquences macroéconomiques pour le Luxembourg. Différentes approches d'experts concordent  pour dire que le Luxembourg, une économie ouverte par excellence, serait un des grands perdants. Par ailleurs, "nous ne maîtrisons pas tout", comme la date de la sortie du Royaume-Uni de l'UE et les conditions auxquelles il sortira. Mais il y a aussi des opportunités qui se profilent. "Comment le Luxembourg doit-il se comporter" dans ce contexte, demande Franz Fayot. Doit-il pratiquer le dumping social pour attirer des activités et faire des cadeaux aux entreprises, comme le Royaume-Uni s'apprête à le faire de son côté ? Doit-il créer de nouvelles niches qui risquent de nouveau de nuire à sa réputation ? Il y aura sûrement des transferts d'activités et la création de nouveaux emplois, estime Franz Fayot, "mais il ne faudra pas créer des exceptions pour les attirer".  Pour lui, le Luxembourg possède des atouts que Londres est en train de perdre : la prévisibilité juridique et l'accès aux marchés de l'UE, mais aussi une législation à jour et le multilinguisme. Cette situation devrait conduire des entreprises de secteurs de la FinTech comme les paiements électroniques et les monnaies électroniques à s'établir au Luxembourg. Néanmoins, Franz Fayot ne voudrait pas que le Luxembourg devienne "un Monaco du Nord où l'on ne voit plus que des 'High net value individuals' dans la rue".

Pour le Vert Gérard Anzia, "le futur n'est pas clair", car le Royaume-Uni n'a pas encore déclenché la procédure de sortie de l'UE prévue à l'art. 50 TFUE. Pour contrer la baisse de la fiscalité des entreprises au Royaume-Uni, il prône une politique de sanctions dérivée du BEPS. Il ne voit pas comment le Royaume-Uni pourrait construire ses relations économiques avec le continent sur la base d'un accès au marché intérieur, puisque le Brexit équivaut aussi à un refus de l'application des quatre libertés fondamentales, dont celle de la libre circulation des personnes.

Roy Reding, de l'ADR, pense qu'il n'y a pas lieu de se ruer sur le gâteau. "Le gâteau va là où les entreprises le décident", pense-t-il. Quant au plan B, ce n'est pas au gouvernement mais aux banques et industries de l'avoir. Or, elles seraient "prêtes" et sauraient pertinemment quelles activités seraient délocalisées ici ou Irlande. Roy Reding, pense par ailleurs que la libre circulation des personnes et des capitaux ne sera pas remise en cause. Les changements consisteront dans la nécessité de disposer d'un permis de travail et l'accès plus restreint aux droits sociaux.

Marc Baum (Déi Lénk) craint l'agrandissement d'une place financière duquel le pays est déjà trop "dépendant politiquement et économiquement" à son goût. Il déplore qu'à Luxembourg se soient faites entendre des revendications, relayées par Laurent Mosar, semblables à celles des "forces réactionnaires" du Royaume-Uni, qui vont dans l'octroi de nouveaux cadeaux à la Place financière. Il s'oppose à "la concurrence effrénée qui rend le progrès social impossible", que ces revendications impliquent. Une stratégie post-Brexit devrait au contraire consister en une "politique européenne plus juste et coordonnée", notamment en termes de fiscalité, dit-il. Ainsi, alors que le Luxembourg a pointé du doigt le Royaume-Uni pour refuser la taxe sur les transactions financières qui fait l'objet d'une coopération renforcée, il devrait désormais rejoindre ses trois voisins qui y sont impliquées.

La réponse du gouvernement

Dans sa réponse à Laurent Mosar, le vice-premier ministre et ministre de l'Economie, Etienne Schneider, a confirmé que la perspective du Brexit avait suscité du désarroi et des inquiétudes dans les milieux des affaires. Le bilan est négatif pour le Royaume-Uni et l'on ne sait pas de quoi sera fait le futur des relations avec l'UE. Le gouvernement a évoqué la question avec les "big four" qui travaillent sur le terrain à Londres qui lui ont confirmé que le monde des affaires britannique marque de l'intérêt pour le Luxembourg, et cet intérêt existe, au-delà du secteur financier, aussi dans le domaine des médias. Le Luxembourg a de forts atouts - un PIB élevé, une stabilité politique, une administration qui fonctionne bien, un engagement fort en faveur de l'UE, une économie ouverte et internationalisée – que le gouvernement ira mettre en valeur sur le terrain au cours d'une missions économique entre le 25 et le 27 juillet à laquelle lui-même et Pierre Gramegna participeront, une mission par ailleurs préparée longtemps avant le référendum.  

Le ministre des Finances, Pierre Gramegna, a assuré que la place financière a tous les arguments pour être attractive. D'ailleurs, de nombreuses demandes d'informations sont parvenues depuis le Brexit. Le Luxembourg a sur le Royaume-Uni l'avantage de sa "grande prévisibilité". De plus, son attractivité a été renforcée par l'engagement du gouvernement actuel pour plus "de transparence et de crédibilité". "Si nous ne l'avions pas fait, nous ne parlerions pas aujourd'hui des moyens d'être proactif, car personne ne voudrait parler avec nous", a-t-il déclaré. En la matière, Pierre Gramegna appelle à être "réalistes". Il faut faire les choses "avec décence" et traiter le Royaume-Uni comme le partenaire économique, financier, à l'OTAN, qu'il est. Convaincu que les relations économiques avec le Royaume-Uni resteront en grande partie intactes, Pierre Gramegna a dit qu'il fallait privilégier une attraction "qualitative", en appuyant sur les qualités du pays, à savoir l'industrie des fonds, le private banking, l'assurance et le fintech. Par contre, Pierre Gramegna a rejeté toute nouvelle baisse d'impôt supplémentaire à celle déjà prévue, qui envoie déjà "un message fort".

En tout cas, Pierre Gramegna pense que c'est le Royaume-Uni, et non le gouvernement luxembourgeois, qui n'avait pas de plan B. Le gouvernement avait un "plan C" pour coopération, consistant à trouver des solutions avec le Royaume-Uni. Par ailleurs, en réponse à une interrogation de Laurent Mosar, Pierre Gramegna a dit que le Luxembourg serait un "candidat naturel" pour accueillir l'Autorité bancaire européenne (EBA) actuellement basé à Londres. En vertu d'une décision du 8 avril 1965, relative à l'installation provisoire de certaines institutions et de certains services des Communautés, le Luxembourg aurait déjà dû accueillir cette institution à sa création en 2008.

Intervenant à la fin du débat, le Premier ministre Xavier Bettel a de nouveau confirmé que le Luxembourg  insistera sur le fait qu'il faudra établir dans les négociations avec le Royaume-Uni, qui ne commenceront qu'avec le lancement de la procédure de l'art. 50, un "level playing field", des conditions de concurrence équitables, entre Londres et l'UE, faute de quoi le Luxembourg ne pourrait pas entériner le résultat de ces négociations. "Cherrypicking is not on the agenda", a lancé le Premier ministre.