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Migration et asile
La Commission européenne propose un deuxième paquet pour la réforme du régime d’asile européen commun qu’elle veut "ferme mais équitable"
13-07-2016


Des réfugiés sur la route des Balkans - mars 2016 - Source: UNHCR/Daniel EtterLa Commission européenne a présenté le 13 juillet 2016 son dernier paquet de propositions pour parachever sa réforme du régime d’asile européen commun, le premier ayant été présenté le 4 mai 2016. La Commission veut par le biais de trois nouveaux textes parvenir à une politique d’asile "ferme mais équitable", comme l’écrivent les commissaires Avramopoulos et Thyssen dans une tribune. Parmi les nouveautés, l’accélération obligatoire des procédures, les sanctions obligatoires allant jusqu’à la détention, l’attribution aux mineurs non accompagnés d’un tuteur légal, l’application obligatoire de la notion de pays sûr, des règles plus fermes pour sanctionner les mouvements secondaires, une vérification obligatoire du statut de la personne afin de tenir compte, par exemple, des changements intervenus dans les pays d’origine, une subordination du droit à la sécurité sociale et à certains types d’aide sociale à la participation à des mesures d’intégration, des conditions d’accueil harmonisées mais seulement offertes dans l’État membre responsable de l'examen de la demande" et l’accès des demandeurs d’asile l’accès au marché du travail au plus tard six mois après l’introduction de leur demande d’asile.

Une procédure commune de protection internationale

La Commission propose d’abord la création par la voie d’un règlement européen, qui serait donc applicable tel quel dans chaque Etat membre, "d’une procédure commune de protection internationale, l'établissement de normes uniformes s'agissant de la protection et des droits accordés aux bénéficiaires d’une protection internationale, ainsi que la poursuite de l’harmonisation des conditions d’accueil au sein de l’UE". La Commission veut simplifier et abréger la procédure d’asile et le processus décisionnel, décourager les mouvements secondaires des demandeurs d’asile qui  seraient tentés de rejoindre des pays qui sembleraient plus attractifs et accroître les perspectives d’intégration de ceux qui peuvent prétendre à une protection internationale.

Ces propositions législatives font suite à la première série de propositions adoptées par la Commission le 4 mai 2016 afin de réformer le régime d’asile européen commun, telles que décrites dans l'Agenda européen en matière de migration et dans la communication de la Commission du 6 avril. Elles visent à édifier un régime d’asile européen solide, cohérent et intégré, fondé sur des règles communes et harmonisées, qui soient parfaitement conformes aux normes de protection internationale établies par la convention de Genève et aux instruments relatifs aux droits fondamentaux.

"Simplifier, clarifier et abréger les procédures d’asile"

La Commission veut raccourcir et rationaliser la procédure globale et voudrait que les décisions soient normalement prises dans un délai de six mois maximum.

Elle veut des délais plus courts (entre un et deux mois), en particulier "pour les cas où la demande est irrecevable ou manifestement infondée ou lorsque la procédure accélérée est applicable". Ces clauses s’appliqueraient aux personnes qui feraient de fausses déclarations ou donneraient de fausses informations aux autorités ou si elles viennent de pays sûrs. 

Elle veut également que soient fixés des délais pour la présentation d’un recours (allant d’une semaine à un mois) et pour les décisions rendues au stade du premier recours (allant de deux à six mois). Mais ce recours n’aurait, sauf exceptionnellement,  pas d’effet de sursis sur le droit de séjour de la personne qui l’a introduit.

"Offrir des garanties communes aux demandeurs d’asile"

Les demandeurs d’asile auraient droit à un entretien personnel et à une assistance et à une représentation juridiques gratuites dès le stade de la procédure administrative. Des garanties renforcées seraient offertes aux demandeurs d’asile ayant des besoins particuliers et aux mineurs non accompagnés, qui se verraient attribuer un tuteur légal au plus tard cinq jours après le dépôt d’une demande.

"Établir des règles plus strictes pour lutter contre les abus"

La Commission veut imposer de nouvelles obligations de coopération avec les autorités et prône des "répercussions strictes" en cas de manquement à ces obligations. Le demandeur d’asile doit déposer sa demande de protection internationale dans le premier Etat membre par lequel il est entré dans l’UE ; il doit collaborer avec les autorités en donnant tous les détails nécessaires pour que son identité soit établie dans le cadre de l’examen de sa demande, en livrant ses empreintes digitales et une image faciale ; il doit rester dans le pays où il a déposé sa demande et où celle-ci est examinée et y rester joignable.

Les sanctions prévues en cas d’utilisation abusive de la procédure, d’absence de coopération et de mouvement secondaire, qui sont actuellement facultatives, deviendront obligatoires, parmi lesquelles le rejet de la demande comme étant implicitement retirée ou manifestement non fondée, ou l'application de la procédure accélérée, mais aussi la détention.

"Des règles harmonisées en matière de pays sûrs"

La Commission veut clarifier et rendre obligatoire l’application de la notion de pays sûr. Elle propose également de remplacer complètement les désignations nationales des pays d’origine sûrs et des pays tiers sûrs par des listes ou désignations européennes, établies au niveau de l’UE, dans un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de son règlement.

Des normes et des droits harmonisés en matière de protection

La Commission estime que les demandeurs d’asile doivent pouvoir obtenir la même forme de protection, pour le temps nécessaire, indépendamment de l’État membre dans lequel ils introduisent leur demande. Pour cela, elle veut harmoniser les normes de protection au sein de l’UE, notamment pour mettre un terme aux mouvements secondaires et à la course à l'asile («asylum shopping»). Pour aller vers cet objectif, elle propose de remplacer par un nouveau règlement l’actuelle directive relative aux conditions que doivent remplir les demandeurs d'asile.

Ce règlement conduirait à l’harmonisation du type de protection et de la durée des titres de séjour délivrés aux bénéficiaires d’une protection internationale. La Commission veut obliger les États membres à tenir compte des indications fournies par l’Agence de l'Union européenne pour l’asile (EASO) quant à la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile, ainsi que de l’évaluation des éventuelles solutions alternatives de protection à l'intérieur du pays. Elle voudrait aussi qu’ils respectent pleinement le principe du non-refoulement, inscrit dans la Convention de Genève, ce qui n’est pas le cas dans certains Etats membres comme la Hongrie.

"Des règles plus fermes pour sanctionner les mouvements secondaires"

La Commission veut que le délai d'attente de cinq ans imposé aux bénéficiaires d’une protection internationale pour pouvoir obtenir le statut de résident de longue durée soit reconduit chaque fois que la personne concernée sera repérée dans un État membre où elle n'a pas le droit de séjourner ou de résider.

"Une protection accordée uniquement pour le temps nécessaire"

La Commission veut introduire une vérification obligatoire du statut de la personne afin de tenir compte, par exemple, des changements intervenus dans les pays d’origine, qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur le besoin de protection. Cela qui pourrait aussi bien vouloir dire que trois mois après la levée de son statut de réfugié, la personne pourrait  être renvoyée dans son  pays d’origine, ou qu’elle pourrait se voir accorder un autre statut légal de migrant.

"Un renforcement des incitations à l’intégration"

Après avoir suggéré une protection uniquement pour le temps nécessaire, la Commission dit vouloir renforcer les incitations à l’intégration, ce qui implique un projet de vie dans le pays où le réfugié bénéficie de la protection internationale. En fait, ce paradoxe n’en est pas un, car la Commission veut surtout subordonner les droits et obligations des personnes bénéficiant d’une protection internationale dans le domaine de la sécurité sociale et de l’aide sociale comme leur accès à certains types d’aide sociale à leur participation à des mesures d’intégration.

Des conditions d’accueil harmonisées dans l’ensemble de l’UE

La Commission propose enfin de réformer la directive sur les conditions d’accueil afin de s'assurer que les demandeurs d’asile puissent "bénéficier de normes harmonisées permettant un accueil digne dans toute l’Union", là aussi comme un moyen d’éviter les mouvements secondaires.

D’un côté, il s’agit de s'assurer que les États membres appliquent les normes et indicateurs relatifs aux conditions d’accueil élaborés par le Bureau européen d’appui en matière d’asile.

Mais le côté répressif est très prononcé ici. Il s’agit aussi de "faire en sorte que les demandeurs d’asile restent à disposition et les dissuader de fuir en permettant aux États membres de les assigner à résidence ou de leur imposer une obligation de se présenter aux autorités." On lit dans le même paragraphe : "Lorsqu'un demandeur d’asile ne se conformera pas à l’obligation de résider dans un lieu déterminé et s’il existe un risque de fuite, les États membres pourront le placer en rétention."

Il s’agira ensuite de "spécifier que les conditions d’accueil ne seront offertes que dans l’État membre responsable de l'examen de la demande" et il sera précisé "quand le droit aux conditions matérielles d’accueil peut être réduit et les allocations financières être remplacées par des conditions matérielles d’accueil fournies en nature".

De l’autre côté, la Commission veut que les Etats membres accordent au demandeur d’asile l’accès au marché du travail au plus tard six mois après l’introduction de sa demande d’asile, "ce qui contribuera à réduire le nombre de personnes dépendantes".

Premières réactions

A peine publiées, les propositions de la Commission n’ont pas manqué de susciter de vives réactions parmi les parlementaires européens, mais aussi auprès de certaines ONG.

L’eurodéputée Birgit Sippel, porte-parole du groupe S&D pour les questions de libertés civiles, de justice et les affaires intérieures a ainsi fait part de ses préoccupations par voie de communiqué. Si elle juge nécessaire d’analyser plus en détail ces propositions, elle insiste sur le fait qu’une nouvelle réforme du système d’asile européen ne doit pas conduire à abaisser le niveau de protection actuellement offert par le droit d’asile européen. "Nous craignons que ces propositions ne puissent être un pas dans la mauvaise direction", met en garde l’eurodéputée qui critique notamment des mesures restrictives" en matière d’accélération des procédures d’asile, de pays d’origine sûrs ou de lutte contre les migrations secondaires.  Si elle salue à première vue le renforcement de la protection des mineurs non accompagnés, elle craint que cela ne soit que "de la poudre aux yeux" de la part de la Commission pour tenter de détourner le regard de l’abaissement des standards de protection des demandeurs d’asile. Elle insiste sur la nécessité de veiller à la mise en œuvre des directives existantes.

Du côté du groupe des Verts, les critiques ont fusé. "Cette nouvelle étape dans la réforme du régime d’asile européen constitue un pas en arrière à de nombreux égards. En particulier aux niveaux des droits des demandeurs d’asile et de l'approche essentiellement punitive", critique ainsi Eva Joly, porte-parole du groupe en matière d’asile. Selon elle, il est nécessaire "d'inverser la tendance actuelle des sanctions pour privilégier l'accès à l'information des demandeurs d'asile afin de se conformer à leurs obligations et favoriser les conditions permettant aux États membres d'examiner sérieusement les demandes". Sa collègue Ska Keller souligne pour sa part que la dernière réforme des directives en matière d’asile n’a que trois ans et est à peine mise en œuvre par les Etats membres. "Au lieu d’obliger les Etats membres à appliquer enfin les standards d’asile établis, la Commission taille à la hache les améliorations obtenues", critique l’eurodéputée qui craint que "dissuasion et sanctions ne deviennent les mots d’ordre du système européen d’asile commun". Ska Keller est d’avis que des règles et des standards communs sont la clef d’un système d’asile européen commun, mais en aucun cas ces derniers ne doivent être abaissés au point que la protection des réfugiés soit évidée ou que l’on renonce à l’intégration.

Quant à l’ONG Amnesty International, elle critique de front les propositions de la Commission en matière d’asile et de réinstallation, qui ont été présentées le même jour, pour dénoncer "une tentative cynique de renforcer les murs de la forteresse Europe". Selon l’ONG, les propositions de la Commission n’entendent pas améliorer la protection des réfugiés mais ont pour objectif de réduire les arrivées irrégulières en Europe. L’ONG dénonce ainsi des propositions qui risquent de remettre en cause les standards de protection des réfugiés et des demandeurs d’asile.