Le 6 juillet 2016, le Parlement européen a adopté par 514 voix pour, 68 voix contre avec 125 abstentions, les recommandations de la commission parlementaire spéciale sur les rescrits fiscaux II, instituée le 12 février 2015 après les révélations de l’affaire Luxleaks.
"Le dumping fiscal se fait au détriment du grand public et des petites et moyennes entreprises, qui sont l'épine dorsale de notre économie européenne. Dans un système fiscal équitable, les entreprises multinationales paient également leur part et doivent le faire là où elles ajoutent de la valeur et réalisent leurs profits", a déclaré le co-rapporteur Michael Theurer (ADLE, DE), selon des propos publiés dans un communiqué de presse du Parlement européen.
Dans leur recommandation, les eurodéputés accueillent favorablement les projets de la Commission européenne visant à élaborer dans les six mois à venir une liste noire européenne commune des juridictions non coopératives et enjoignent les États membres à approuver le futur accord avant la fin de l'année 2016. Ils demandent néanmoins à ce que soit élaborée une définition commune des "juridictions non coopératives". Ils estiment également qu’il serait judicieux de prévoir un dialogue constructif avec la juridiction dans laquelle des lacunes auraient été identifiées préalablement à son placement sur liste noire, et ce afin de permettre à cette liste d'avoir aussi un effet préventif. Le Parlement européen envisage également des sanctions envers les juridictions qui ne coopèrent pas, ainsi qu'une possibilité de revoir, voire de suspendre les accords de libre-échange, et d'interdire l'accès aux fonds européens.
Les eurodéputés recommandent également l’établissement de sanctions envers les entreprises, les banques, les entreprises juridiques et comptables, les conseillers en fiscalité connus pour être impliqués dans des activités illégales, nocives ou abusives envers ces juridictions. Ils appellent également les États membres à mettre en place des sanctions "efficaces, proportionnées et dissuasives, y compris des sanctions pénales" contre les gérants de sociétés impliqués dans l'évasion fiscale. Enfin, ils veulent que soit possible désormais de retirer les licences d'exploitation à des professionnels qui auraient conçu ou utilisé des systèmes de planification fiscale illicite ou de fraude fiscale, ou auraient fourni des conseils pour l'utilisation de tels systèmes. Ils suggèrent par ailleurs une responsabilité financière proportionnelle pour les banques et les établissements financiers qui facilitent les virements vers des paradis fiscaux connus.
Le rapport critique également les régimes fiscaux favorables aux brevets pour les revenus concernant la propriété intellectuelle. Ceux-ci "n'ont pas stimulé efficacement l'innovation. Malheureusement, ils sont utilisés par les entreprises multinationales pour transférer des bénéfices à l'aide de procédures de planification fiscale agressive (...), ce qui entraîne un nivellement par le bas. Afin d'interdire le détournement des régimes de brevets et s'assurer que ceux-ci sont liés à une véritable activité économique, la Commission devrait proposer une législation de l'Union contraignante", disent les eurodéputés.
Les eurodéputés demandent également la création d’un registre européen des bénéficiaires effectifs, comportant des normes harmonisées en matière d'accès aux informations sur les bénéficiaires effectifs et présentant toutes les mesures nécessaires de protection des données. Cette décision constituerait la base d'une initiative mondiale à cet égard, à savoir la création d’un registre mondial de tous les actifs détenus par les personnes, les entreprises et toutes les entités telles que les fiducies et les fondations, auquel les autorités fiscales auraient pleinement accès.
Parmi les autres recommandations, les eurodéputés demandent une meilleure protection des lanceurs d’alerte, tels ceux qui ont permis à l’affaire Luxleaks d’éclore. Ils demandent par ailleurs que la Commission européenne fasse avant la fin de l’année 2016, une proposition pour une Assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS), laquelle serait "accompagnée par une clé de répartition appropriée et équitable, qui fournirait une solution globale à la plupart des pratiques fiscales dommageables au sein de l'Union". Ils suggèrent également la création d’une taxe européenne prélevée à la source collectée par les États membres visant à assurer que les profits établis au sein de l'Union sont taxés au moins une fois avant de la quitter
Ils suggèrent encore la création d’un code de conduite pour les banques, les conseillers fiscaux, les entreprises juridiques et comptables, en particulier "afin de tenir compte des conflits d'intérêts éventuels de telle manière qu'ils soient divulgués de manière claire et compréhensible"
Enfin, la création d’un nouveau Centre européen de cohérence et de coordination en matière de politique fiscale au sein de la Commission européenne figure également parmi les recommandations. Ce Centre serait notamment chargé d'assurer le suivi des politiques fiscales des États membres au niveau de l'Union et de les évaluer, de veiller à ce qu'aucune nouvelle mesure fiscale dommageable ne soit appliquée par les États membres, de surveiller le respect, par les États membres, de la liste commune de l'Union des pays et territoires non coopératifs, ainsi que de garantir et de favoriser la coopération entre les administrations fiscales nationales.
Dans un communiqué de presse, l’eurodéputé luxembourgeois Verts/ALE, Claude Turmes, fait remarquer que "contrairement à ce que beaucoup craignaient à tort, la commission spéciale contre l’évitement fiscal ne s’est pas développée en une commission anti-Luxembourg". Elle a plutôt permis de mettre à jour "les innombrables lacunes que les différentes législations fiscales nationales permettent et avec quelles pratiques fiscales raffinées les multinationales pratiquent le dumping fiscal", constate l’eurodéputé.
"Une politique fiscale juste est une condition essentielle, pour pouvoir agir contre les inégalités sociales et restaurer la confiance des citoyens dans l‘UE", fait-il remarquer. Avec ces recommandations, le Parlement européen a désormais fait des propositions concrètes à la Commission et au Conseil pour une politique européenne coordonnée qui ne permettrait plus à des multinationales de payer moins d‘1 % d’impôts.
"Seule une collaboration plus intense entre Etats membres peut prévenir l’évitement fiscal. Nous le savions et le travail de la commission spéciale l’a confirmée", a déclaré l’eurodéputée PPE, Danuta Hübner. "Nous ne voulons pas harmoniser les taux d’imposition des sociétés, mais ce qui est taxé et où c’est taxé", a-t-elle ajouté.
Les Socialistes et Démocrates se sont réjouis d’un vote qui "envoie un message clair à nos citoyens". "Avec ce nouveau rapport, l’UE a désormais une feuille de route claire pour en finir avec les pratiques fiscales nocives et parvenir à la justice fiscale", a notamment souligné le rapporteur, Jeppe Kofod.
Le co-président des Verts/ALE, Philippe Lamberts, s’est pour sa part agacé que certains points initialement prévus soient passés à la trappe. "On ne peut plus rien dire de mal sur les cabinets d'audit, comme s'ils n'étaient pas en cause. On ne peut plus dire que les États ont failli à leur obligation de coopération sincère. On ne peut plus affirmer la volonté d'interdire les 'patent boxes' d'ici 2021", a-t-il dit selon des propos rapportés par l’agence Europe.
Pour le député GUE-NGL, Miguel Viegas, le rapport adopté ne va pas "au cœur du problème". Il aurait fallu établir un contrôle public sur la libre circulation des capitaux qui rend l’évasion fiscale possible. "Le rapport est comme une belle princesse cachant un secret. Il a l’air bon mais il laisse tranquille les parrains du Cartel tels le président de la Commission, Monsieur Juncker" a dénoncé pour sa part Fabio De Masi (GUE/NGL).