Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, était l’invité du groupe politique social-démocrate du Landtag bavarois à Bad Aibling le 21 septembre 2016. Il en a profité pour commenter certains développements au sein de l’Union européenne, dont l’émergence du concept de "solidarité flexible" avancé par les pays du groupe de Višegrad dans leur déclaration suite au sommet informel de Bratislava, concept qu’il rejette, et la tentation qui émane notamment des dirigeants polonais et hongrois d’opposer, selon Jean Asselborn, une "Europe nationale-chrétienne" à une "Europe libérale" et de déclencher ainsi un "Kulturkampf", un conflit culturel, dans l’UE.
Le 6 septembre dernier, Viktor Orbán, Premier ministre de Hongrie et chef du parti conservateur hongrois Fidesz, et Jarosław Kaczyński, chef du parti conservateur Droit et Justice au pouvoir en Pologne, ont participé à un débat au Forum économique de Krynica, en Pologne, au cours duquel ils ont appelé à une contre-révolution culturelle en Europe.
Lors de ce débat, Jarosław Kaczyński et Viktor Orbán n’ont pas caché que Pologne et Hongrie s’inspirent mutuellement des réformes entreprises par chacun des deux pays. Viktor Orbán a déclaré au cours de ce débat qui traitait des opportunités ouvertes par le Brexit que "les élites européennes, les décideurs politiques, les personnes qui dirigent les médias s’imaginent que le développement de l’humanité passe par la liquidation de nos identités, qu’il n’est pas moderne d’être Polonais, Tchèque ou Hongrois, qu’il n’est pas moderne d’être chrétien." Et il a rajouté : " Une nouvelle identité est apparue à la place, celle d’Européen. On a voulu presser les choses. Et que nous dit le Brexit ? Les Britanniques ont dit "non". Ils ont voulu rester Britanniques. […] L’identité européenne n’existe pas, il y a des Polonais et des Hongrois. […] La crise renforce notre argumentation. Tous ces phénomènes observés aujourd’hui en Europe montrent qu’une contre-révolution culturelle est possible. Nous, en Europe centrale, nous pouvons initier cette renaissance."
Lors du sommet informel de Bratislava du 16 septembre, le groupe de Višegrad a publié une longue déclaration dans laquelle la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la Slovaquie mettent en avant dans le cadre de la politique migratoire et de relocalisation un nouveau concept, celui de "la solidarité flexible". Celle-ci "devrait permettre aux Etats membres de décider des formes de contribution spécifiques tenant compte de leur expérience et de leur potentiel" et qui devrait aussi conduire à ce que la participation à tout mécanisme de répartition de réfugiés soit volontaire.
Jean Asselborn, faisant allusion à l’idée de contre-révolution culturelle, a mis en garde contre l’éclatement d’un "Kulturkampf" en Europe et appelé les Etats membres à revenir aux "valeurs originelles qui lient l’Europe". Il a plaidé pour un régime d’asile européen unitaire financé par des fonds communs, une procédure de demande d’asile unique et des quotas clairs pour la répartition des réfugiés.
"Qu’en sera-t-il des pays qui ne sont absolument pas en mesure de suivre ? Je pense qu’il faut leur poser la question qui s’impose : Êtes-vous dans ce cas encore membres de la communauté de valeurs européennes ?", a continué Jean Asselborn. Pour lui, celui qui décroche pour être solidaire dans le cadre de la politique migratoire, décroche de la solidarité européenne en général. C’est pour cette raison qu’il rejette le concept de "solidarité flexible" et qu’il a mis en garde contre la possibilité que la "solidarité flexible" en matière de politique migratoire puisse bientôt être suivie de la flexibilité en matière de droit ou de liberté de la presse et d’expression. "Et cela, nous devons l’empêcher, sinon l’Europe changera de cap", a-t-il lancé.
Pour Jean Asselborn, la solidarité doit être quelque chose de fiable, et les Etats membres qui ne peuvent pas accueillir autant de réfugiés devraient au moins s’engager dans d’autres domaines, comme la protection des frontières extérieures. Mais il reste convaincu que certains représentants politiques veulent avant tout affaiblir l’UE pour faire passer leurs seuls points de vue nationaux. Ce faisant, "on commet un crime contre les générations à venir", a-t-il conclu.