Christophe Schiltz, des Jeunesses socialistes, a rapidement esquissé les enjeux de la question. Les postes représentent en Union européenne un chiffre d’affaires de 90 milliards d’euros, 1 % du PIB européen. La libéralisation a été lancée en 1992 avec l’idée que la concurrence induirait un nouveau dynamisme dans le secteur, conduirait à une baisse des prix et à une meilleure qualité des services. Elle s’est effectuée progressivement, et en 2009, le monopole de la poste devrait, selon la directive postale, être levé pour les courriers de 50 grammes et moins, le dernier type de courrier qui lui est réservé. La poste luxembourgeoise assure un service universel – distribution du courrier 5 jours sur 7 sur tout le territoire - qu’elle arrive à financer avec ce monopole. S’il tombe, la question se pose comment le financement du service universel pourra encore être assuré.
Le député européen Robert Goebbels a exposé l’état du dossier au niveau du Parlement européen, où plusieurs commissions, dont celle des transports et du tourisme et celle des affaires économiques et monétaires se sont penchées sur le dossier. Selon Robert Goebbels, un rapport du député européen Gilles Savary a conclu sur la nécessité de différer la fin du monopole. Mais le lundi 21 mai, un vote sur ce rapport n’a pas pu avoir lieu. La commission des affaires économiques et monétaires est pour lui en faveur de la libéralisation. Le député européen Markus Ferber, auteur en 2005 d’un rapport sur le sujet, soutient la libéralisation qui a déjà eu lieu dans son pays, l’Allemagne, pays dont les postes d’ailleurs déjà ont commencé à racheter des activités postales dans les pays voisins.
La libéralisation de la poste déclenche selon Robert Goebbels des fissures horizontales dans toutes les familles politiques européennes. Les sociaux-démocrates scandinaves et les travaillistes britanniques sont par exemple tout à fait en faveur de la libéralisation qui est chez eux définitive. Robert Goebbels a parlé d’une sorte de "Kulturkampf" en Europe. Il a appelé à ce que la lutte pour la consolidation des services publics soit engagée, car il n’y a actuellement pas de base légale pour les protéger.
Pour le député européen, la libéralisation est un mouvement qui résulte de l’engouement pour un marché intérieur sans frontières qui par son dynamisme agit en faveur des consommateurs, "ce qui est intrinsèquement juste." Par ailleurs, le marché des postes à Luxembourg est un bon marché, car les banques génèrent une grande activité et le Luxembourg est le pays qui a le plus grand nombre de lettres par tête d’habitant. Mais la poste est vulnérable, car 70 % de son courrier provient d’une centaine de clients seulement. La poste belge, qui par ailleurs s’oppose à la libéralisation, vient de lui enlever le marché de l’Office des publications de l’Union européenne.
Quelle solution en cas de fin du monopole ? La Commission européenne, selon Goebbels contrairement aux principes du marché intérieur, accepte les subventions de l’Etat pour maintenir un service universel, ou bien envisage un fonds de compensation qui serait financé par les nouveaux acteurs privés du secteur qui créeraient par leur intervention des difficultés au service universel. 10 pays ont institué de tels fonds, mais en Italie, il a été mis fin à l’expérience, car personne n’a payé. Et les subventions sont pour Robert Goebbels à la merci d’une plainte devant la CJCE qui tranchera en faveur de la libre concurrence.
Raymond Hencks, membre du comité exécutif de la CGFP (Syndicat des P&T), et auteur d’un rapport sur le sujet au Comité économique et social européen, a mis en garde contre le fait de parler trop tôt des fonds de compensation, comme cela a été le cas lors du discours du Premier ministre sur l’état de la nation. Il a souligné ensuite à quel point les solutions financières proposées par la Commission européenne lui paraissaient contraires à l’esprit du marché intérieur. Il a aussi évoqué le risque des surtaxes qui devraient être versées par les clients du service postal universel en cas de fin du monopole. Il s’est donc interrogé sur la nécessité de mettre fin à un système qui marche. Finalement il a évoqué d’autres problèmes : les garanties de confidentialité et le respect du secret des lettres si le triage du courrier était effectué en dehors du champ d’application territorial de la loi luxembourgeoise des P&T, le sort réservé au courrier associatif, l’exclusion des envois de masse de la notion de service universel. Il a donc demandé que le Premier ministre, qui s’oppose à la libéralisation complète en 2009, se prononce en faveur du maintien du monopole.
Alex Bodry, député et président du LSAP, ancien ministre des Communications entre 1989 et 1994, a expliqué que la Chambre des Députés était intervenue auprès de la Commission européenne pour lui transmettre un double message. Primo, que le principe de subsidiarité était violé, puisque les règles nationales pour le service universel dont la poste a encore le monopole valaient mieux que les règles communautaires. Deuxio : que la règle de la proportionnalité avait également été violée, car s’il devait s’avérer que le système proposé par la Commission ne devait pas fonctionner, alors il n’y aurait en fin de compte plus de service universel. La ligne proposée par Bodry : soutenir le Gouvernement pour qu’il reste ferme au Conseil, où la majorité des Etats membres sont en faveur de la libéralisation définitive en 2009, et ne pas encore parler de fonds de compensation.
Le débat qui s'en suivit fut riche en questions. Des postiers exprimèrent leurs inquiétudes pour leur entreprise et leur situation professionnelle. Résumant la situation au sein des institutions européennes et la tactique qu’il s’apprêtait à suivre, Robert Goebbels déclara qu’il voyait difficilement comment la Présidence allemande arriverait à boucler le dossier en juin 2007. Mais, a-t-il ajouté, il faut également savoir que si la directive qui expire en 2008 n’est pas renouvelée, le droit commun européen prévaudra également pour les services postaux. Et le droit commun, c’est l’ouverture complète des marchés. Il faut donc gagner du temps, attendre un changement de tendance en Union européenne en faveur des services publics universels et négocier pour ces services publics de nouvelles garanties. Il conclut en disant au public que "nous devons néanmoins savoir que nous ne tenons pas les meilleures cartes dans nos mains."