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Traités et Affaires institutionnelles
Après le Conseil européen : un gouvernement "content, mais pas très enthousiaste" qui voit "s’annoncer l’Europe à deux vitesses"
26-06-2007


Le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker et le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn ont donné le 26 juin 2007 une conférence de presse pour tirer les conclusions pour le Luxembourg des résultats du Conseil européen qui s’est tenu du 21 au 23 juin 2007 à Bruxelles.

Première conclusion : le gouvernement luxembourgeois est "content avec les résultats de Bruxelles, mais pas très enthousiaste". Content, car le "mandat quasi impératif" donné à la Conférence intergouvernementale qui doit négocier le traité modifié, préserve la substance du traité constitutionnel. Pas très enthousiaste, parce que le traité constitutionnel ne constitue pas la référence de cette négociation. Le traité modifié sera "un traité simplifié compliqué" qui "est meilleur que le traité de Nice, mais moins bien que le traité constitutionnel". Le mandat selon lequel Jean-Claude Juncker et Jean Asselborn avaient négocié découlait du référendum du 10 juillet 2005 en faveur du traité constitutionnel et d’une délibération du gouvernement en conseil qui s’est appuyée sur une motion de la Chambre des Députés votée le 13 juin 2007.

Juncker a également regretté qu’il ait fallu renoncer à des éléments qui étaient peut-être en ce qui concerne leur substance politique peu importants, mais qui étaient symboliquement importants pour le citoyen, comme le drapeau et l’hymne européens. "Je ne connais pas de Français ni de Néerlandais qui aient voté contre le traité constitutionnel à cause du drapeau ou de l’hymne." Il a fallu renoncer à l’hymne ou au drapeau parce qu’ils constituaient pour certains gouvernements les signes d’un super-Etat européen dont personne, pas même les partisans du drapeau ou de l’hymne, ne veut en Europe.

La Charte des droits fondamentaux

Juncker a finalement regretté que la Charte des droits fondamentaux ne fasse pas directement partie du traité et ne s’applique pas à tous les Etats membres, et que le Royaume Uni en soit exempté au cas où un de ses citoyens aurait recours à une cour de justice pour mettre en cause l’application d’une directive européenne en droit national britannique.

Il n’en reste pas moins que la Charte sera juridiquement contraignante. Le Luxembourg s’engagera pour qu’elle soit publiée dans sa version de 2004, quand elle était la 2e partie du traité constitutionnel, dans le Journal officiel de l’Union européenne et en annexe du nouveau traité, et dans le Mémorial luxembourgeois également, afin que son texte soit accessible à tous les citoyens. Ceci dit, cette exemption du Royaume Uni constitue pour Juncker "un trou dans le maillage juridique européen qui n’est pas bon".

En guise de note optimiste, le Premier ministre a rappelé qu’en 1991, lors de la négociation du traité de Maastricht, le Royaume Uni avait fait un opt-out sur la clause sociale qui avait été suivi par un opt-in en 1997 lors du traité d’Amsterdam, grâce à un Tony Blair fraîchement élu. Il s’est dit convaincu que la tendance de fond qui reconduira l’Union européenne à s’approfondir convertira tôt ou tard le Royaume Uni à la Charte.

Le Premier ministre a ensuite dressé un inventaire et commenté un certain nombre de nouveaux éléments du traité modifié.

L’euro

En reportant des éléments de la 3e partie du traité constitutionnel dans le traité modifié, le Conseil européen a maintenu selon Juncker un "profil d’ambition" qui tend vers une Union "toujours plus étroite".

Le Luxembourg a ainsi pu obtenir que l’euro retrouve sa place dans sa formulation originelle dans le préambule du traité modifié de la manière suivante. "L'Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l'euro." Pour Juncker, ce texte s’applique à tous les Etats membres de l’Union, sauf ceux qui ont une dérogation, c’est-à-dire le Royaume Uni et le Danemark, et leur fixe pour objectif l’adhésion à l’euro. Juncker a dans ce contexte insisté sur l’importance d’une autre décision du Conseil européen, qui est passée presque inaperçue dans le contexte de la discussion sur le traité : l’adhésion de Chypre et de Malte à la zone euro à partir du 1er janvier 2008.

La concurrence

Le principe de la concurrence est maintenu dans le traité comme moyen pour permettre à l’Union européenne d’atteindre ses objectifs. Le marché intérieur comprendra "un système garantissant que la concurrence n'est pas faussée."

Une Union plus efficace

Chose essentielle, les 51 domaines politiques auxquels la majorité qualifiée devait s’appliquer dans le cadre du traité constitutionnel ont intégralement été repris dans le traité modifié. "Cela va multiplier l’efficacité de l’Union", a commenté le Premier ministre.

Il y aura deux traités, le traité UE, qui conservera son titre actuel, et le traité CE qui sera intitulé traité sur le fonctionnement de l'Union. La différenciation entre l’Union européenne et la Communauté européenne va disparaître. Il n’y aura plus que l’Union européenne.

Il n’y aura plus non plus trois piliers comme dans les traités de Maastricht et Nice, c’est-à-dire le pilier communautaire, le pilier "politique étrangère et de sécurité commune" et le pilier "justice et affaires intérieures".

Il y aura des domaines politiques où les processus de décisions évolueront de plus en plus vers la méthode communautaire – la Commission fait une proposition, il y a codécision entre le Conseil et le Parlement européen, les recours s’adressent à la Cour de Justice européenne – et certains encore, comme la politique étrangère et de sécurité commune, où l’unanimité restera plus présente. Mais en matière de "justice et affaires intérieures", les choses sont promises à échapper grandement à cette règle de l’unanimité.

Institutions

L’Union européenne sera dotée d’une personnalité juridique qui lui permettra de négocier et de devenir partie de conventions internationales au-delà du domaine commercial où elle dispose déjà de ces prérogatives.

D’un point de vue institutionnel, le Premier ministre a salué que le Parlement européen aura désormais plus de droits et que le Luxembourg y maintiendra le même nombre de députés qu’actuellement et prévus dans le traité constitutionnel, c’est-à-dire 6.

Le Premier ministre a également rappelé que malgré l’institution d’un président permanent du Conseil européen, les présidences alternantes continueront à fonctionner pour les formations spécialisées du Conseil. Seule exception : le Conseil des Affaires extérieures, qui sera présidé par le "Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité", qui sera aussi vice-président de la Commission, et qui disposera comme ministre des Affaires étrangères de fait de l’Union européenne d’un service diplomatique propre.

Les parlements nationaux auront plus de droits s’ils pensent que leurs compétences propres devaient être affectées par un acte européen, mais on a échappé à l’option de la "carte rouge" avancée au début par les Pays-Bas qu’un parlement national pourrait opposer à une initiative européenne.

"L’Europe à deux vitesses vient de s’annoncer"

Un grand pas en avant a été fait en matière de coopération renforcée. La règle qu’il faudrait un tiers des Etats membres pour aller dans la direction d’une coopération renforcée dans un domaine où un groupe de pays veut réaliser des objectifs de l’Union européenne quand d’autres ne le veulent pas encore, a été modifiée. Il faut désormais 9 Etats membres, quelque soit le nombre d’Etats membres. Cela vaut également pour la coopération structurée en matière de défense où l’ancienne règle de l’unanimité a ainsi été battue en brèche.

Juncker a commenté cette mesure, mais aussi celle que la double majorité n’entrera que progressivement en vigueur entre 2014 et 2017 d’un autre point de vue : "L’Europe à deux vitesses vient de s’annoncer, non pas parce que les uns veulent aller plus vite, mais parce que les autres ne veulent pas aller plus loin." Et d’ajouter: "Je suis content qu’il y ait cette possibilité, même si je n’aime pas l’Europe à deux vitesses."

Jean Asselborn se distancie des déclaration de Jaroslaw Kaczynski sur l'Allemagne

Jean Asselborn a quant à lui fait le point de la réception du traité au Parlement européen - "plus que ce l’on aurait pu espérer" selon la rumeur – et dans les différents Etats membres, où dans certains les autorités devront encore décider s’il faut ou non un référendum pour ratifier le traité modifié. Il a dit comprendre la déception des amis de la Constitution, mais aussi qu’il fallait "rester réalistes".

Il a fortement critiqué les déclarations du Premier ministre polonais Jaroslaw Kaczynski. Ce dernier avait comparé le 26 juin l'Allemagne d'aujourd'hui à l'Allemagne des années 30 qui avait mis au pouvoir Adolf Hitler. "Il faut arrêter cela", a lancé Jean Asselborn, qui a déclaré avoir eu l’impression que les dirigeants polonais ne voulaient pas que la Présidence allemande réussisse.

Le "danger théorique" pour le Luxembourg de l’opt-out britannique en matière de coopération pénale et policière

Jean-Claude Juncker est revenu à la fin de la conférence de presse sur les craintes exprimées dans diverses postions de partis politiques, dont le DP et l'ADR, à l’égard des conséquences négatives pour la compétitivité de la place financière de Luxembourg qui découleraient de la possibilité d’opt-out du Royaume Uni en matière de coopération pénale et policière.

En gros, d’aucuns, que Juncker situe aussi, mais pas seulement dans son propre parti, croient que si le Royaume Uni s’exemptait d’une coopération pénale et policière qui toucherait au secteur sensible de la finance internationale, il augmenterait l’attractivité de la place de Londres. Juncker a posé la question pourquoi le Luxembourg ne devrait pas coopérer et si ne pas coopérer ne serait pas immoral. Il a expliqué d’autre part que si la Commission européenne faisait une proposition dans ce domaine, tout Etat membre avait "le droit de tirer le frein d’urgence". Cela aurait pour conséquence que la question irait devant le Conseil européen, où il y aurait soit une solution soit pas de solution. Dans ce dernier cas, l’initiative devrait être retirée. Seul le Royaume Uni pourrait s’exempter même si une solution devait être trouvée. Dans ce cas, le Luxembourg pourrait à la rigueur se retrouver avec un problème. De ce fait, le Luxembourg, qui a comme tous les autres Etats membres le droit de tirer le "frein d’urgence" en amont, pourrait se servir de ce moyen après s’être informé sur les possibilités du Royaume Uni de tirer un bénéfice d’une situation donnée. Mais pour le Premier ministre, il s’agit là d’un "danger théorique qui doit trouver une réponse dans le texte du traité modifié."