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Culture
"L’identité européenne et les défis du dialogue interculturel" - Un colloque international au CCR Neumünster (I)
21-09-2007 / 22-09-2007


Les 21 et 22 septembre 2007 a eu lieu au Centre culturel de rencontre Abbaye de Neumünster un colloque international portant sur "L’identité européenne et les défis du dialogue interculturel". L’Institut international Jacques Maritain de Rome, l’Istituto italiano di Cultura de Luxembourg, et l’Institut Pierre Werner de Luxembourg en étaient les organisateurs avec le soutien du CCR Neumünster. La première partie du colloque a été consacrée aux idées inspiratrices et aux institutions de l’Union européenne.

Jacques Santer : Un colloque sous le signe de Jacques Maritain et de la triade "Athènes, Rome et Jérusalem"

L’ancien Premier ministre luxembourgeois et Président de la Commission européenne, Jacques Santer, a, lors de son introduction dans le sujet du colloque, caractérisé l’Union européenne de construction de droit qui était en même temps un ensemble géographique et une communauté de valeurs qui s’incarnait dans une communauté des peuples et des institutions communes. Cette Europe était désormais confrontée, à cause de l’élargissement et des migrations, à l’émergence de nouvelles communautés religieuses – hindoues, bouddhistes, mais surtout musulmanes – qui confrontent les identités culturelles communes et les valeurs partagées à une nouvelle diversité et à la nécessité de respecter cette diversité. D’où la "défense intransigeante", en Europe, selon Jacques Santer, des droits de l’homme. Une Europe au sujet de laquelle il a rappelé le discours de l’actuel Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, qui a évoqué lors du rassemblement œcuménique de Sibiu le 7 septembre dernier la triade de Paul Valéry "qui a défini l'esprit européen comme le résultat d'un triple héritage, s'exprimant dans la triade 'Athènes, Rome et Jérusalem', c'est-à-dire la philosophie, le droit et la religion; la triade de la raison, de la loi et de la morale, qui a été à l'origine de ce nous appelons aujourd'hui la civilisation européenne."

Cette première partie du colloque étant placée sous le signe du philosophe catholique Jacques Maritain, Jacques Santer a, de son point de vue de chrétien-social qui agit à partir d’une certaine éthique, souligné que Maritain avait fait la distinction entre l'action "en tant que chrétien", qui consiste à l'obéissance aux rites et aux dogmes de l'Église, et l'action "en chrétien", qui consiste en la mise en œuvre, individuellement, des idées chrétiennes dans des domaines "temporels", des organisations laïques où l'Église n'a pas à s'immiscer. Une distinction qui a parcouru comme un fil d’Ariane le colloque qui percevait le dialogue interculturel en Europe avant tout comme un dialogue interreligieux entre chrétiens et musulmans.

Jan Figel : les intellectuels doivent sortir de leurs carcans professionnels

Jan Figel, le commissaire européen chargé de l'éducation, de la formation, de la culture et de la jeunesse, a parlé de 2008, qui sera pour l’Union européenne l’année du dialogue interculturel. Il a souhaité qu’elle ne donne pas lieu "à des lamentations multiculturelles, mais à des dialogues authentiquement interactifs." Dans un contexte "de manque d’idées, de visions et d’ambitions dans le débat politique", le commissaire européen a souhaité que "les intellectuels et les acteurs de la culture sortent de leurs carcans professionnels" pour mener ce dialogue interculturel qui est selon lui, à côté de la culture comme catalyseur de créativité et d’emplois et de la culture européenne comme un élément essentiel de la coopération à l’extérieur de l’Europe, un volet important d’une culture qui est placée au centre du processus d’intégration européen.

Jacques Subrenat, président du Conseil scientifique de l’Institut Pierre Werner, posa quelques jalons pour l’élaboration des concepts d’identité, en faisant la différence entre l’identité nationale propre aux peuples et la conscience européenne qui pourrait les unir. Il s’interrogea sur la pertinence de réduire l’Europe à la triade "Athènes, Rome et Jérusalem", sur la différence entre l’entertainment et la culture, l’un conduisant le sujet à consommer passivement, l’autre à s’engager.

Roberto Papini : la religion à la rescousse de la laïcité

Roberto Papini, le secrétaire général de l’Institut international Jacques Maritain, introduisit ensuite au véritable sujet du colloque, "les défis du dialogue interculturel". Les deux caractéristiques de l’Europe actuelle sont le réveil identitaire et la perte d’identité de l’Europe communautaire, surtout après l’élargissement. L’Europe, dit Papini, en se référant à George Steiner, ce sont ses lieux de l’esprit, cafés et universités, la communication entre les peuples à une échelle humaine, ses lieux de mémoire, la tension entre son héritage grec et son héritage hébraïque et son obsession du déclin, de la fatigue. Tout cela demande du temps pour la réflexion sur le rapport entre tradition et innovation. Or ce temps, la globalisation ne l’accorde pas à l’Européen qui est frappé par un "sentiment d’égarement et de perte d’identité."

Pour Papini, avec l’Europe communautaire, "nous avons voulu réagir à cette attirance vers la déchéance", et il explique que dès les années 20 et 30, les personnalistes et Jacques Maritain visaient "un renouvellement spirituel et intellectuel de la société européenne." Et de citer une longue série de penseurs et de politiques exclusivement chrétiens et de qualifier le pape Pie XII "sous beaucoup d’aspects de pape de la démocratie". Evoquant "les pères de l’Europe communautaire, Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi", - les noms de Jean Monnet ou de Paul-Henri Spaak ne furent pas cités – qui voulaient l’intégration démocratique des peuples européens, Papini estime que l’Europe n’a toujours pas défini son modèle social ni son rôle dans le monde, ce qui a conduit à la "disjonction … entre valeurs et démocratie que nous connaissons aujourd’hui."

Bien que l’Europe communautaire ait été "une grande réussite", l’élargissement "ne s’est pas déroulé sans problèmes et l’enthousiasme à l’égard de l’Union européenne s’est refroidi." Les nouveaux Etats membres "ne se sont pas vraiment confrontés avec leur passé", "le consumérisme et le nihilisme occidental ont conquis de nombreux esprits", et conduit à "de nouveaux problèmes non résolus d’identité et de revanche des identités nationales". Ceux-ci ont généré un retour du populisme et conduit par exemple aux "non" français et néerlandais au traité constitutionnel. Et à l’intérieur de l’Union, les divergences entre néolibéraux et interventionnistes en économie, entre partisans de l’intégration politique et simples défenseurs d’un marché commun, entre ceux qui veulent marcher à côté des USA ou qui veulent une Europe plus autonome s’aiguisent. Pour parer à ces tendances centrifuges "l’Europe doit se définir et dire ce qu’elle est dans l’ordre politique et moral." Pour Papini, les principes de démocratie, de liberté, d’égalité, de non-discrimination renvoient aux "racines chrétiennes" de l’Europe selon les papes Jean-Paul II et Benoît XVI, et à "la justice juive" et à "l’éthique chrétienne de l’amour", selon "le philosophe non croyant" Jürgen Habermas.

C’est "cette Europe à la recherche de soi-même" qui est défiée selon Papini par les réveils identitaires et la culture des nouveaux arrivants. Les notions d’universalisme, de laïcité et de démocratie n’ont souvent pas de sens pour eux. Il devient difficile d’établir "des bases d’entente communes dans le cadre de la laïcité" qui sont menacées par les nationalismes et les fondamentalismes religieux qui se réveillent. Pour conclure, Papini pense que les religions peuvent venir à la rescousse de la laïcité en contribuant à "donner une âme à l’Europe, car sans âme elle n’aura pas de vie", qu’elles peuvent être "productrices de sens, ce que l’Etat et la morale républicaine sont incapables de faire."

François Biltgen : le débat interculturel sur le terrain social et du pluralisme religieux

François Biltgen, ministre du Travail et de l’Emploi, mais aussi de la Culture, de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, qui était venu saluer les participants au colloque au nom du Premier ministre, Jean-Claude Juncker, s’adressa également en sa qualité de président du CSV à l’assistance. Evoquant les difficultés qui peuvent surgir au sein de l’Union européenne entre les anciens et les nouveaux Etats membres comme exemple de dialogue interculturel dans le domaine politique, il cita la discussion sur le modèle social européen, qui est d’inspiration social-démocrate et démocrate-chrétienne ou sociale-chrétienne. Ainsi, pour le chrétien-social qu’il est, le modèle social européen est conforme à trois grands principes de la doctrine sociale de l’Eglise catholique : la subsidiarité, qui permet à chaque Etat membre de définir sa voie sociale ; la solidarité, qui permet à la collectivité de pallier le manque de ressources des personnes défavorisées ; et le travail, notion humaine qui n’est pas identique à l’emploi, notion purement économique. Mais les Anglo-saxons et les nouveaux Etats membres, dès qu’ils entendent parler de modèle social, ils l’associent avec le "socialisme réel" et acceptent difficilement cette notion.

Biltgen aborda également la notion de « laïcité » et la question de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Pour le ministre, il y a plusieurs modèles de laïcité : le modèle français et l’Etat laïcal, le modèle le plus fréquent en Europe. Ce dernier se caractérise "par une interférence bienveillante de l’Etat à l’égard des Eglises", un Etat qui estime que la religion n’est pas seulement une affaire privée mais aussi publique qu’il faut réguler et qui lie les gens plus qu’elle ne les sépare. D’où la nécessité du débat, d’où aussi la nécessité d’un protocole à l’égard des Eglises annexé aux traités européens. En même temps, le ministre pense qu’il n’aurait pas été judicieux d’inscrire Dieu dans le traité européen, mais a qu’il a fallu veiller "à ce qu’il soit conforme à nos idées."

Le ministre a ensuite évoqué la convention que l’Etat luxembourgeois a l’intention de signer avec la communauté musulmane et qui a, selon Biltgen "suscité un tollé général, y compris dans mon parti." "Beaucoup de gens se sont soudainement découverts bons chrétiens, mais surtout de manière négative, parce qu’ils ne sont pas musulmans", a raconté François Biltgen, qui s’est également prononcé en faveur d’un dialogue constant entre la Turquie et l’Union européenne, mais aussi avec les pays balkaniques, parce que ces pays abritent de nombreuses populations musulmanes européennes et qui migrent dans nos pays.

Philippe Chenaux : "De la chrétienté à l’Europe"

Le colloque se poursuivit avec la contribution de Philippe Chenaux, professeur à l’Université pontificale du Latran à Rome, qui a retracé le chemin qui a mené selon lui, "de la chrétienté à l’Europe". Le projet européen, telle était sa thèse, "naît précisément au moment où prend fin l’unité religieuse du Vieux-Continent". Ce moment, Chenaux le situe en 1648, avec le traité de Westphalie qui met fin à la Guerre de Trente Ans - une guerre qui fut une guerre entre les puissances européennes mais aussi une guerre entre les catholiques et les protestants - et qui règle la cohabitation entre des Etats de confessions différentes dont la religion est désormais celle du prince. Dès l’émergence des Etats-nation modernes, les premiers projets d’unification européenne sont formulés. Chenaux assimile les projets politiques de Napoléon et d’Hitler à des tentatives d’unification de l’Europe sous la férule d’une nation qui s’arroge un rôle "messianique", une thèse à l'égard de laquelle certains ont exprimé "leur gêne", notamment Traugott Schoeffthaler le la Fondation Anna Lindh. Ce sont cependant les deux guerres mondiales qui conduisent selon Chenaux "notamment les milieux catholiques" à élaborer une "véritable conscience européenne." Des notions comme Occident, chrétienté et Europe circulent alors, que Chenaux différencie : l’Occident, ce sont des pays et des peuples ; la chrétienté, c’est la restauration d’un ordre révolu ; l'Europe, c’est un concept qui s’adresse aux sociétés. C’est ce concept qui cadre le mieux avec les besoins du continent et qui sera porté pour Chenaux avant tout par les penseurs et politiques chrétiens pour déboucher sur l’Union européenne actuelle.

Pietro Adonnino : Le projet originaire et les institutions réalisées

Dans un premier temps Pietro Adonnino, président de l’Institut International Jacques Maritain de l’Université de La Sapienza, qui fut également député européen entre 1979 et 1984, a livré ses réflexions sur la signification et la portée des termes "culture" et "identité". Tandis que la culture se réfère selon lui aux caractéristiques de la société dans laquelle elle se développe, l’identité serait le produit d’un effort de différenciation et la recherche de ce qui est commun. Pour soulever le défi du dialogue interculturel, Adonnino préconise un double effort. : les intellectuels et les spécialistes doivent diffuser les mouvements culturels auprès de la société civile et les institutions communautaires doivent favoriser le dialogue entre les cultures.

Dans un second temps, il a analysé les compétences de l’UE dans le domaine de la culture. Il a montré que l’UE s’est construite sur des fondements économiques et non culturels. La culture reste de la compétence des Etats membres et la communauté européenne peut seulement intervenir pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des Etats membres.

Adonninno souhaite que le rôle de la Fondation européenne de la culture soit renforcé pour promouvoir le dialogue interculturel au-delà des simples politiques culturelles. L’Union européenne s’est construite par phases successives d’adhésions, Aujourd’hui elle compte 27 Etats membres et se compose d’un nombre sans cesse croissant de cultures différentes. Cette coexistence de différents peuples sur un même territoire et l’immigration en provenance des pays musulmans ne facilite pas, affirme Adonnino, le dialogue interculturel, surtout avec les cultures qui sont "inconciliables" et dont il pense qu'elles devraient être "dans un premier temps, isolées". Il s’interroge d'autre part si le marché unique est conciliable avec la protection des spécificités culturelles. Selon le conférencier, il appartient aux juges de la Cour de Justice de trouver un équilibre d’une part, les exigences du marché unique et d’autre part, la protection des spécificités culturelles.

Nathalie Galesne : L’Europe dans le regard de l’autre

La journaliste Nathalie Galesne, de l’association Babelmed s’est interrogée quant à elle sur la perception que les autres cultures ont de l’Europe.

Selon Nathalie Galesne, l’Europe ne doit pas être pensée comme une entité économique mais plutôt comme une entité symbolique qui se compose d’une multitude de cultures, de religions, et d’histoires différentes. Aujourd’hui, l’UE est secouée par une crise qui l’empêche de vivre l’altérité. La guerre en Irak, la négociation sur l'entrée de la Turquie dans l'UE, les différents modèles d’intégration … sont des exemples qui illustrent que l’UE ne parle pas d’une seule voix sur la scène internationale. Du coup, l’Europe comme défenseur des droits et des valeurs fondamentales, a perdu pour Galesne sa crédibilité internationale et vit un désenchantement. Après la chute du mur de Berlin, un certain relativisme culturel s’est imposé qui fait que certaines cultures sont considérées comme supérieures à d’autres. A cette époque, les distances dans l’espace diminuent, mais des murs qui séparent classes ou communautés s’érigent et leur nombre augmente partout en Europe. Le concept d’universalité est en panne, les Etats Membres de l’UE sont incapables de s’accorder sur un projet commun et restent sourds aux besoins de l’autre.

"Mais quel est cet autre de l’Europe, comment l’Europe est-elle vue par l’autre ?". A cette question, Nathalie Galesne a répondu: "L’Islam est devenu le grand autre. L’Islam a servi de prétexte à des conflits pour instaurer un nouvel ordre mondial." Dans les médias européens, l’Islam fait l’objet de quatre grandes réductions : Les Arabes sont réduits à la religion musulmane alors qu’ils se réclament de courants de pensées très divers. L’Islam est réduit à l’islamisme L’Islam est réduit au terrorisme. Les musulmans sont assimilés à leurs gouvernements.

La journaliste a évoqué le "sentiment d’impuissance" que vivent aujourd’hui les Arabes. Il s’agit d’une impuissance par rapport à l’autre qui vous domine. Les reproches qu’ont peut adresser selon Nathalie Galesne à l’Union européenne sont nombreux : On installe des réfugiés dans des camps qu’on appelle "centres d’accueil", l’UE ne respecte pas le choix électoral de la population en Palestine…. En guise de conclusion, Nathalie Galesne a estimé que "l’Europe donne sans cesse des leçons de morale sans jamais appliquer le dialogue". "D’où le besoin pour l’Europe de sortir de la rhétorique et d’appliquer la pratique", a-t-elle exigée.

Le Britannique Alan Finister, de l’Université d’Aberdeen s’est focalisé sur la vie de Robert Schuman, ses influences et ses maîtres à penser. En se référant aux mémoires du père fondateur de l’Europe, il a montré que différentes étapes de la vie de Schuman l’ont conduit à développer et à mettre en œuvre son idée d’une Europe unie : son attachement à la religion chrétienne, les expériences des deux Guerres mondiales, ses engagements politiques, ses maitres à penser…..