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Emploi et politique sociale
L’Europe sociale en question à Remich (I) – Robert Weber et François Biltgen ont exposé leur vision de l’Europe sociale
04-10-2007 / 06-10-2007


Entre le 4 et le 7 octobre 2007 s’est tenue à Remich une Conférence sociale européenne qui réunit sous les auspices du syndicat LCGB et de son organisation pour le développement et la coopération, Prisma-Lux, des représentants de syndicats chrétiens de toute l’Europe, les pays de l’Europe occidentale, centrale, orientale et des Balkans.

La Conférence sociale européenne sert de plate-forme de rencontre entre syndicats chrétiens depuis la fusion en 2006 des grandes centrales syndicales CMT chrétienne et CISL socialiste en une seule grande Confédération syndicale internationale (CSI).

La conférence avait pour thèmes l’impact du traité modificatif sur la situation et les droits des travailleurs en Europe, l’influence de la Banque centrale européenne (BCE) sur la politique sociale et l’avenir de l’Europe, "des questions déterminantes pour l’Europe", comme l’a souligné Robert Weber, le président du LCGB, dans son intervention.

Robert Weber (LCGB) : préserver les gens de la précarité "pour qu’ils puissent construire un projet de vie"

"Ensemble étatique intégré ou simple marché libéral dont l’intégration des composantes est faible ?" "Une Europe des travailleurs et des citoyens, une Europe sociale et viable, qui a un véritable avenir" ou une Europe "dont le processus d’intégration peut être cassé parce que les gens prennent peur d’être livrés à un monstre bureaucratique sans âme"? En tout cas, le traité modificatif n’est pour le, président du LCGB, "qu’une réforme modeste des traités européens, une réforme institutionnelle dont le mérite essentiel sera d’éviter la suffocation du processus de décision de l’Union." La Charte des droits fondamentaux proclamée séparément du traité, bien que juridiquement contraignante, est pour lui "un résultat minimaliste et honteux."

Le dirigeant syndical a évoqué les sujets d’inquiétude sociale – les privatisations, le chômage, la pauvreté. Il est revenu sur la directive Bolkestein, avec les risques de dumping social que le principe du pays d’origine dans la rémunération des services impliquait, et sur le projet de directive sur le temps de travail et les risques que la possibilité d’un opt-out faisait courir aux travailleurs en Europe, si le temps de travail devait être déréglementé. Dans la foulée, il a demandé que les pouvoirs de la Commission soient limités, que le contrôle démocratique soit renforcé en Europe et que les politiques des Etats membres, coresponsables des décisions prises, analysent l’effet social de chaque mesure européenne envisagée.

Pour construire l’Europe sociale, il faut selon Robert Weber des réglementations cohérentes, un salaire minimum social "qui permette de vivre décemment", des normes sociales minimales, une protection accrue et non diminuée des travailleurs, un système social qui permette de préserver les gens de la précarité "pour qu’ils puissent construire un projet de vie." Et si l’Union européenne va dans le sens contraire, "elle ne sera ni aimée ni soutenue."

La BCE a beau protéger les Européens contre l’inflation, mais en haussant les taux d’intérêts, elle a contribué au renchérissement des crédits et rendus les remboursements encore plus difficiles. Plutôt que d’intervenir dans la crise des "subprimes", elle devrait, selon Weber, agir en faveur d’un contrôle et d’une transparence renforcés des marchés financiers, car ce qui se passe sur les marchés financiers se répercute immanquablement sur le marché du travail.

François Biltgen "Quels droits des travailleurs dans l’UE?"

Le ministre du Travail et de l’Emploi luxembourgeois, François Biltgen, a consacré son intervention à la question des droits des travailleurs en Union européenne. Constatant que ces droits étaient, par la force de la subsidiarité, différents dans tous les Etats membres, il s’est appliqué à réfuter l’idée que "l’Europe sociale n’est plus ce qu’elle était"..

En effet, les traités de Rome, qui sont à l’origine de la construction européenne, ne contenaient pas de dimension sociale, sauf l’article 119 sur le principe du "salaire égal pour travail égal" pour les hommes et pour les femmes, et la création du Fonds social européen (FSE), "le visage humain de l’Union européenne ". Il y eut quelques directives, mais l’Europe sociale ne prend son envol qu’à la fin de l’ère industrielle, lorsque l’Europe traverse une grave crise sociale. La Charte sociale est proclamée en 1989, mais elle ne devient juridiquement contraignante que quand ses dispositions sont reprises par les traités de Maastricht et d‘Amsterdam.

Le premier Sommet de l’emploi organisé par la Présidence luxembourgeoise du Conseil en 1997 inaugure une nouvelle ère de l’Europe sociale. La Stratégie européenne pour l’emploi, poussée par une "méthode ouverte de coopération entre Etats membres" débouche en 2000 sur l’élaboration de la Stratégie de Lisbonne.

En quelques années, on est donc passé de rien par une approche minimaliste à une méthode convergence dans un contexte où les systèmes sociaux sont très différents, bien que régis par une clause de non-régression qui stipule que l’existence de droits minimaux ne permet pas pour autant à un pays de revenir sur des avantages fondamentaux dont bénéficient ses citoyens.

Subsidiarité, solidarité, dialogue social et travail, notion humaine

Pour François Biltgen, la subsidiarité, mais aussi la solidarité, le dialogue social et la valorisation du travail comme notion humaine et non purement économique - comme l’est la notion d’emploi - sont les quatre axes essentiels d’une démarche sociale chrétienne. Mais les suivre est un chemin ardu.

La solidarité, cela peut être aussi pour Biltgen une réforme des systèmes sociaux et de pensions qui tienne compte des intérêts des jeunes générations qui portent une charge accrue pour les assurer.

Le dialogue social est important pour la gouvernance économique des pays. Mais l’éclatement du monde du travail rend de plus en plus difficile la formulation des lois. Elles sont soit trop strictes, ce qui rebute les entreprises, soit trop floues, ce qui défavorise les travailleurs. Pour arriver à des accords sociaux négociés qui auront force de loi dans leurs secteurs, il faut des syndicats forts et des échéances fixées par les gouvernements pour terminer une négociation, faute de quoi il sera procédé par voie législative.

Une Europe divisée sur la question sociale

L’Europe est, quant à elle, traversée de conflits de fond sur les questions sociales. Il y a ceux qui jurent sur la méthode de convergence volontaire et ceux qui rejettent le recours à une politique juridique en faveur de droits minimaux, alors que selon François Biltgen, ces démarches complémentaires. Il y a le conflit sur les garanties pour les contrats de travail dits "atypiques", qui sépare autant les partenaires sociaux que les gouvernements des Etats membres. Ainsi, au début des débats sur la directive sur le travail intérimaire, il s’agissait de protéger les travailleurs. Maintenant, l’accent s’est déplacé sur la création d’emplois. Il y a des camps parmi les Etats membres: les pays défenseurs d’une Europe plutôt axée sur le marché, qui demandent moins de protection, et les anciens Etats membres qui veulent une Europe sociale et qui butent aussi sur la résistance des anciens pays socialistes qui redoutent derrière le mot "social" le socialisme, voir le soviétisme.

Pour avancer vers l’Europe sociale, il importe, selon François Biltgen, que la référence à des critères sociaux ne soit pas perçue comme du protectionnisme. "Le terme de 'plombier polonais' est pour moi le pire terme utilisé en Europe depuis le terme de 'juif errant' !", s’est exclamé le ministre. Il faut donc convaincre les partenaires de ce qu’on peut entendre sous "protection sociale" et "dumping social".

"Flexicurité", restructurations, de la "job security" à la "employment security"

En ce qui concerne la "flexicurité", Biltgen a décliné quatre axes de réflexion. Primo : le travail, c’est plus qu’un emploi. Deuxio : Il n’y a pas de lien mathématique entre un haut degré de protection sociale et un bas taux d’emploi. Tertio : la flexibilité n’est pas seulement dans l’intérêt des entreprises et la sécurité n’est pas seulement dans l’intérêt des travailleurs. Quarto : le droit du travail ne peut pas résoudre tous les problèmes du marché du travail.

Un de ces problèmes est le chômage dû aux restructurations. Celles-ci frappent, notamment dans les pays à salaires élevés, toutes les activités dont la haute valeur ajoutée est attaquée par la concurrence extérieure. Mais ces restructurations peuvent être prévues et il est possible d’éviter alors la transition des salariés par une période de chômage. La formation tout au long de la vie est un atout, et il est possible de passer de la "job security" à la "employment security".

Clause sociale transversale et salaire social minimum européen

Pour ce qui est de l’Europe du traité modificatif, François Biltgen a tenu à signaler que la Charte des droits fondamentaux aura statut de droit positif, que le traité consacre la notion d’économie sociale de marché, et que la clause sociale transversale, qui oblige à la vérification de l‘effet social de toute initiative européenne, jouera son rôle en amont des décisions législatives. Il a exprimé son désaccord sur la question de la directive Bolkestein, qui n’aurait pas, du moins au Luxembourg, conduit au dumping social, puisque le pays connaît un salaire minimum légal et que la directive sur le détachement des travailleurs y est appliquée.

Pour le ministre, il y a des choses qui manquent cependant à l’Europe sociale actuelle : le droit de chaque travailleur à un salaire social minimum dont le niveau serait défini dans les Etats membres par les partenaires sociaux et les gouvernements, mais qui ne pourrait pas se situer en-deçà du seuil de pauvreté qui est défini communément à 60% du revenu médian. Mais pour l’instant, seul les politiques luxembourgeois propagent cette idée de salaire social minimum européen.