L’arrêt C-319/06 de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) contre la manière dont le Luxembourg a transposé la directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs du 19 juin 2008 a été le 4 juillet l’objet d’une conférence de presse de l’ADR.
L’ADR s’en était déjà pris à cet arrêt dès sa publication le 19 juin dernier et avait tenu à préciser sa position sur trois points : sa critique sur la manière de procéder du ministre du Travail et de l’Emploi François Biltgen dès que la Commission européenne avait entamé en 2004 des procédures contre la manière dont le Luxembourg avait transposé la directive, son opposition au dumping social et à la concurrence déloyale que l’arrêt de la CJCE pourrait selon l’ADR déclencher au Luxembourg et ses revendications au niveau européen.
Le député ADR Jacques-Yves Henckes a rappelé que la lettre de mise en demeure de la Commission au gouvernement luxembourgeois est arrivée le 1er avril 2004. Elle porte sur des conditions de travail et d’emploi qui vont "au-delà" de la directive, l’absence de la définition des "périodes minimales de repos", l’obligation de rendre certains documents accessibles "avant le commencement des travaux" et l’imposition d’un mandataire au Luxembourg.
Le 30 août 2004, le Gouvernement reconnaît le second grief comme justifié.
Le 18 octobre 2005, la Commission européenne a considéré "que cette réponse n’était pas satisfaisante" et transmet un avis motivé. La Commission attaque le Luxembourg sur l’indexation automatique des salaires et sur l’application des conventions collectives. Le Luxembourg est mis en demeure d’adopter les mesures nécessaires dans les deux mois. Le 22 décembre 2005, le gouvernement luxembourgeois a demande un report du délai pour exposer son point de vue. L’ADR cite les points 12 et 13 de l’arrêt :"12. N’étant pas satisfaite par ces réponses, la Commission a réitéré ses griefs dans un avis motivé du 12 octobre 2005 invitant le Grand-Duché de Luxembourg à se conformer à ses obligations dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis. 13. Après avoir sollicité un délai supplémentaire de six semaines, le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas jugé nécessaire de répondre au dit avis motivé." La requête de la Commission est introduite le 20 juillet 2006. L’arrêt de la première Chambre de la Cour est daté au 19 juin 2008.
Jaques-Yves Henckes a ensuite attaqué la prise de position que le ministre Biltgen a fait circuler le 19 juin qu’il qualifie avoir été rédigée "sur le ton : 'tout va bien madame la marquise'".
Le 24 juin 2008, le ministre du Travail prend position lors d’une réunion de la Commission du Travail et de l’Emploi de la Chambre des députés convoquée à la demande de l’ADR, qui a diffusé cet extrait du procès-verbal : "M. le Ministre en déduit que l’essentiel est donc sauvegardé" et "M. le Ministre partage le souci des syndicats concernant l’interprétation de plus en plus restrictive du noyau de l’Europe sociale par la CJCE… " Puis : "En ce qui concerne la non-réponse du Grand-Duché à l'avis motivé de la Commission, (points 12 et 13 de l'arrêt), M. le Ministre observe que la position du gouvernement luxembourgeois avait déjà été communiquée à la Commission européenne auparavant et qu'aucun élément nouveau n'était susceptible de modifier cette position. La non-réponse était donc un choix délibéré du gouvernement et il est retenu que tous les actes et mémoires de procédure dans cette affaire seront communiqués à la Commission."
Après l’arrêt de la CJCE, "l’adaptation automatique de la rémunération au coût de la vie sera obligatoire pour les salariés d’un entreprise luxembourgeoise mais pas pour la plupart des salariés détachés". Ce type de dumping social se transforme pour Henckes en concurrence déloyale puisque "pour les marchés publics notamment, ceci va permettre aux entreprises étrangères de soumissionner à un coût moindre, d’où un risque pour les entreprises nationales de perdre des marchés et de devoir licencier du personnel."
En ce qui concerne le fait que, selon la directive, seul les conventions collectives déclarées d’obligation générale (exemples : bâtiment, banques, assurance) peuvent être imposées aux "travailleurs détachés", ceux-ci risquent selon Henckes "de n’être payés que suivant l’échelon le plus bas prévu par les conventions collectives, ce qui accroît d’autant la pression sur les salariés embauchés au Luxembourg." D’où la revendication de l’ADR "que le gouvernement consulte les partenaires sociaux afin d’analyser quelles conventions collectives doivent être ajoutées à la liste existante des conventions déclarés d’obligation générale". Il demande également "que le ministre dépose à bref délai un projet de loi pour remédier aux erreurs (des "malentendus" selon le ministre) constaté par l’arrêt de la CJCE au niveau droit du travail et conventions collectives de travail."
Henckes est d’accord avec le ministre Biltgen que suite à l’arrêt, ses administrations (ITM, Douane…) sont largement dépourvues de mécanismes de contrôle rapides et efficaces, qui ont pourtant fait leurs preuves notamment sur les grands chantiers - les actions "coup de poing" - comme le ministre l’avait dit dans son mémoire du 19 juin. De ce fait, l’ADR exige "que le gouvernement analyse les possibilités de contrôle en s’inspirant des exemples étrangers et qu’il dépose dans les meilleurs délais un projet de loi permettant un contrôle efficace des chantiers et autres entreprises, eu égard à la directive détachement version CJCE."
D’un côté, l’ADR craint que l’adoption par le Conseil "Emploi et Affaires sociales" du 9 juin 2008 de la directive sur le temps de travail "compte (..) généraliser l’opt-out britannique de la semaine de 48 heures pour tous les Etats membres", ce qui pourrait légaliser selon Henckes la semaine de 65 heures partout en UE.
D’où la remarque du député : "Tout comme les organisations syndicales, l’ADR tient à relever que ce n’était pas un employeur qui a introduit un recours contre le Luxembourg mais la Commission européenne. C’est elle et elle seule, avec l’appui du Conseil des Ministres du Travail, qui accuse le Luxembourg de trop bien traiter les salariés détachés d’un autre Etat membre vers le Luxembourg, en somme d’avoir une législation du travail trop favorable aux travailleurs. L’arrêt du 18 juin sur la transposition de la directive sur le détachement signifie le retour de la directive Bolkestein par la petite porte."
Henckes demande donc au gouvernement "de faire retenir au niveau européen le principe du droit du travail national le plus favorable" qui obligerait "une entreprise qui détache un salarié vers un autre pays européen à respecter les dispositions nationales de ce pays déclarées d’ordre public si celles-ci sont plus favorables au salarié."
En attendant, l’ADR voudrait que "le gouvernement dépose au plus vite un projet de loi modifiant la loi actuelle afin notamment de remédier aux erreurs et de remplacer au plus vite par un nouveau système les mesures de contrôle actuelles très efficaces dans le cadre des actions 'coup de poing' qui ont permis d’endiguer maints abus en matière de dumping social et de concurrence déloyale."
Le député Gast Gibéryen a mis en cause la façon dont une directive est selon lui conçue et décidée dans les institutions européennes. "On ne consulte pas, les hauts fonctionnaires envoyés par les gouvernements agissent sur mandat, le Conseil décide et le Parlement européen n’a plus de marges de manœuvre. Les parlements nationaux après coup encore moins. Et dix ans après, on se rend compte que la directive pose problème."
Pour Gibéryen, le ministre Biltgen a essayé de "faire porter le chapeau à tout le monde. A la Commission, à la CJCE, qui émet depuis l’élargissement des jugements de moins en moins sociaux, et à l’ITM, qui par la publicité qu’elle a donnée à ses actions coup de poing a attiré sur elle l’attention de Bruxelles." Pour Gibéryen, rien de tout cela n’est juste : "La faute revient aux rédacteurs des textes." Dorénavant, chaque directive sociale devrait selon lui d’abord présupposer une consultation des chambres professionnelles et des partenaires sociaux.
Le référendum sur le traité constitutionnel de juillet 2005 a dans ce contexte eu selon Gibéryen pour avantage d’inciter la Chambre des députés à s’occuper plus des questions européennes. Il a salué le protocole interinstitutionnel - un "Aide-mémoire sur la coopération entre la Chambre des députés et le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en matière de politique européenne" signé le 9 juin 2008 - qui formalisera la coopération entre parlement et gouvernement sur les questions européennes et qui sera inscrit dans le règlement de la Chambre. Gibéryen a confirmé que les questions européennes feront alors partie intégrante des tâches permanentes des députés qui devront faire le tri des dossiers pour identifier les questions importantes et participer de manière efficace et systématique au processus de consultation et de décision européen. Mais il aimerait qu’une telle décision soit inscrite dans la Constitution tout comme le principe d’un mandat impératif pour les ministres qui iraient négocier et décider au Conseil, comme c’est le cas pour le Danemark et d’autres Etats membres.
Un autre constat de Gast Gibéryen : "Les dossiers européens sont importants, compliqués et demandent beaucoup de temps. Mais ils rapportent peu sur le terrain." D’où sa proposition que les experts sur les questions européennes dont les groupes politiques de la Chambre des députés ont pu se doter se réunissent et coordonnent le travail des groupes politiques sur l’Union européenne, car "nos positions sont en général très peu éloignées les unes des autres".