L’Institut Pierre Werner (IPW) est en train de concocter, pour les 18 et 19 septembre 2009, un événement d’envergure européenne avec son forum intitulé "Mémoires, héritages et défis d’avenir : l’unification de l’Europe vingt ans après". L’équipe d’Europaforum.lu est allée à la rencontre de Mario Hirsch, politologue et directeur de l’IPW, et de ses deux adjointes, Sandrine Devaux et Diane Krüger, pour recueillir les premiers échos de la manifestation qui se prépare.

1989 – 2009 : Retour sur les événements et réflexion sur les transformations en cours

En 2009, l’IPW a placé l’ensemble de sa programmation sous le signe des changements intervenus en 1989, et le choix du thème de ce 6^e Forum européen de la culture et de la société s’inscrit donc dans la continuité de ce désir non pas de "commémorer", mais d’éclairer et de susciter le débat autour de ce tournant historique aux conséquences durables.

Car s’il est vrai que le Luxembourg n’a pas été directement impliqué dans ces événements, comme le souligne Mario Hirsch, "nous n’avons pas fini d’en mesurer la portée considérable en Europe et au-delà". Ainsi que le rappelle le politologue, "la chute du Rideau de fer a marqué certes la fin de la division du continent européen, mais elle est aussi allée de pair avec l’éclatement de l’URSS et un certain 'triomphe' du libéralisme ou du néolibéralisme qui n’est remis en question que depuis peu".

L’interprétation qui peut être faite des événements de 1989 est ainsi sujette à de vifs débats, - Francis Fukuyama n’y a-t-il pas par exemple vu "la fin de l’histoire" ? - et l’IPW entend donc tenter de revenir en arrière pour répondre aux nombreuses questions soulevées par cette année pleine de bouleversements.

Mais il s’agit aussi de faire le point sur le processus de transformation qui est loin d’être terminé au vu des antagonismes qui subsistent encore. Mario Hirsch décèle ces derniers dans une "certaine résilience des structures et des mentalités dans les pays d’Europe centrale et orientale", ainsi que dans le phénomène de nostalgie, connu en Allemagne sous le nom d’"ostalgie", mais qui est à ses yeux plus généralement répandu.

Le désenchantement qui peut l’expliquer est pour le directeur de l’IPW lié aux promesses et aux attentes qui n’ont pas été exaucées, et il s’agit de comprendre pourquoi et comment la feuille de route définie en 1989 n’a pu être tenue, pourquoi ont pu advenir certaines dérives et certains dérapages. Car la "tendance au nationalisme et au populisme dans certains de ces pays", tandis que "ressurgissent, sous la forme d’intolérance à l’égard des minorités, les démons du passé", se doit d’être expliquée.

Ainsi l’IPW entend-il susciter la réflexion sur la signification et la perception de ces changements pour les citoyens, tout en soulevant la question de savoir si les bouleversements politiques et économiques en question ont entraîné la constitution de nouvelles sociétés dans les pays concernés.

Pour Mario Hirsch, il s’agit aussi de réfléchir au cours de ce forum aux nouveaux défis de l’Union européenne en termes de politique à l’égard de ses voisins, mais aussi de politique d’élargissement. 20 après la chute du Mur, c’est donc un travail d’inventaire qui s’impose pour pouvoir déterminer s’il vaut mieux faire le choix de la continuité ou bien changer d’approche.

Les questions soulevées sont nombreuses et c’est bien, selon Mario Hirsch, ce qui fait l’originalité de la démarche de l’IPW, car le forum s’adresse à un public généraliste et non à un public spécialisé. L’objectif est donc de proposer des réponses aux nombreuses interrogations des citoyens.

Table ronde du vendredi 18 septembre 2009 : Comment la fin du Rideau de fer a-t-elle été vécue de part et d’autre ? Quel fut le contexte international et le rôle de l’Union soviétique ? L’ancrage à l’Ouest est-il une réussite ?

Le vendredi 18 septembre 2009, l’IPW organise ainsi, après la projection d’un documentaire intitulé "Chemins de la liberté, chemins vers une Europe commune" à 17 heures dans la salle M6 du bâtiment Jean Monnet de la Commission européenne, une table ronde qui réunira, de 18 à 20 heures un brillant panel de témoins de ces événements.

Comment la fin du Rideau de fer a-t-elle été vécue de part et d’autre ? Quel fut le contexte international et le rôle de l’Union soviétique ? L’ancrage à l’Ouest est-il une réussite ? Telles seront les questions abordées au cours de cette table ronde, car il s’agit, selon les vœux de Mario Hirsch, de prendre la mesure des facteurs qui ont conduit au changement.

De nombreux points d’interrogation subsistent en effet, comme le rappelle le directeur de l’IPW, qui cite pour exemple l’attitude de l’URSS. Cette dernière n’a pas, alors qu’elle en avait les moyens notamment militaires, coupé court aux velléités indépendantistes et contestataires qui se manifestaient. Pourquoi, voilà qui reste pour Mario Hirsch un mystère à élucider. Et Anatoli Tchernaiev, qui fut conseiller de Mikhail Gorbatchev de 1986 à 1991, sera sans doute à même d’apporter des éclaircissements à cette question.

Comment la France a-t-elle perçu les changements qui ont accompagné la Perestroïka en URSS puis la chute du Mur de Berlin ? Voici les questions qu’abordera Michel Rocard, ancien Premier ministre français, qui pourra aussi, selon Mario Hirsch, expliquer pourquoi la France n’a pas fait preuve d’un enthousiasme débordant à l’idée de la réunification allemande, craignant sans doute le retour sur la scène européenne d’une Allemagne trop puissante.

Quels furent les rôles des mouvements d’opposition internes et de dissidence dans le processus de transformation ? Werner Schulz, ancien dissident allemand qui est aujourd’hui membre du Parlement européen, et Antonin Liehm, universitaire tchèque qui a fondé la revue "Lettre internationale", pourront apporter leur témoignage, tout en se demandant, avec Ireneusz Krzeminski, professeur de sociologie à l’Université de Varsovie, et Charles Goerens, ancien ministre luxembourgeois et eurodéputé, si les espoirs et les attentes escomptés ont pu être satisfaits.

"Il ne s’agit pas de distribuer bonnes et mauvaises notes", explique Mario Hirsch, "mais de comprendre comment l’Europe occidentale, en offrant des perspectives d’adhésion à l’Union européenne, a aussi fait preuve d’une certaine frilosité en proposant un système d’intégration progressive, le 'phasing in'". Un processus qui a pu engendrer un certain sentiment de frustration chez les nouveaux entrants qui ont pu se sentir comme des "membres de seconde catégorie".

Table ronde n° 1 du Samedi 19 septembre 2009 : L’enjeu de la mémoire

La première table ronde de la matinée du samedi 19 septembre 2009, qui aura lieu de 10 heures à 12h30 au Centre culturel de Rencontre de l’Abbaye de Neumünster, sera consacrée à "l’enjeu de la mémoire". Diane Krüger, chargée de la modération de cette table ronde, relate à ce sujet que "les intervenants vont tenter d’expliquer comment on transmet aujourd’hui l’histoire de la période communiste et comment les sociétés perçoivent le passé et les transformations en cours".

Diane Krüger précise dans ce contexte que, "bien que les archives de la RDA aient été ouvertes au public et que presque tous les aspects de l’histoire est-allemande aient été traités par les historiens, il faut se demander si les sociétés concernées ont également su surmonter ces événements."

Freya Klier, cofondatrice de la "DDR-Friedensbewegung" va se demander ce qui reste aujourd’hui en Allemagne des ambitions des mouvements pacifiques est-allemands et quel est par conséquent l’héritage de la RDA vu par l’historiographie. Cette écrivaine et réalisatrice qui a connu l’exil à partir de 1988 a souvent eu l’occasion d’aborder la question de la naissance des mythes, comme celui selon lequel chacun avait un travail en RDA. Et le devenir du système scolaire, et notamment des enseignants du régime communiste, compte parmi ses sujets d’interrogation.

Etienne Boisserie, historien à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), spécialiste de la Slovaquie et co-auteur de "La Slovaquie face à ses héritages", abordera la transmission de la mémoire de la période communiste dans les manuels scolaires slovaques et tchèques, ainsi que la question de savoir s’il y a des différences en termes d’historiographie et de mémoire.

L’exposé d’Isabelle Carret, présidente de l’International Club, va clôturer cette table ronde. Elle présentera le projet "l’express de Solidarité" qui a pour objectif la transmission de la mémoire dissidente aux jeunes générations en Pologne. A l’exemple d’une expérience pratique, l’intervenante va montrer comment ont peut toucher les jeunes et les accompagner dans leur apprentissage d’une approche critique des idéologies. 

Table ronde n° 2 du Samedi 19 septembre 2009 : Les sociétés face aux changements

"Les sociétés face aux changements", tel est le titre sous lequel se déroulera, de 11h20 à 12h30, la deuxième table ronde de la journée. Sandrine Devaux va modérer cette discussion, et la jeune politiste explique que "les intervenants vont aborder les conséquences que le passé a eues sur l’organisation des sociétés en général et sur les individus en particulier".

Ivaylo Ditchev, anthropologue culturel de la Sofia University St. Kliment Ohridsky, expliquera "comment la société bulgare fait face aux nombreux problèmes liés à l’héritage du communisme". Son point de vue d’anthropologue lui permet d’avoir une approche globale de la société, prenant en compte les perceptions, les représentations ou encore les aspects symboliques. Il expliquera donc l’évolution de la classe politique en Bulgarie, marquée par une alternance des forces démocratiques et néo-communistes ainsi que par une montée des tendances nationalistes, mais aussi la façon dont la population vit et a vécu ces changements.

Anneli Ute Gabanyi, politologue et ancienne directrice d’études à la Stiftung Wissenschaft und Politik de Berlin expliquera comment la société roumaine actuelle vit et perçoit la question, qui reste ouverte, de la nature d’une "révolution" que d’aucuns traitent plus comme un coup d’Etat. La politologue traitera la transformation du régime politique en Roumanie et la façon dont les Roumains se sont appropriés de ce changement.

L’Albanaise Zamira Poda, experte auprès d’organisations internationales pour la société civile et les droits de l’homme, terminera cette session en abordant le développement de la société civile en Albanie après le changement de régime. Qu’est-ce qui a été accompli depuis l’éclatement de la Yougoslavie et que reste-t-il à faire ?

Table ronde n° 3 du Samedi 19 septembre 2009 : La recomposition du paysage politique en Europe centrale et orientale. Les enseignements à tirer des élections européennes. Les dimensions économiques de la transformation.

"La recomposition du paysage politique en Europe centrale et orientale", tel est le sujet de la troisième table ronde de la journée qui se tiendra de 14h30 à 18h. Modérée par Jean-Michel De Waele, professeur de sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et spécialiste des scènes politiques d’Europe centrale et orientale, cette discussion abordera les enseignements à tirer des élections européennes, ainsi que les dimensions économiques de la transformation. S’il s’agit dans cette table ronde de dresser en quelque sorte "un inventaire des gagnants et des perdants de la transition" en en tirant le bilan économique, Mario Hirsch, estime que des aspects souvent ignorés seront discutés.

Le rôle joué par le processus d’Helsinki, qui a été selon les mots de Mario Hirsch une "tribune pour la dissidence", qu’elle soit celle des mouvements civiques, des artistes ou des intellectuels, compte parmi ces facteurs peu connus. Ainsi, Peter Schlotter, professeur de sciences politiques à la Ruprecht-Karls-Universität de Heidelberg, traitera l’importance du processus d’Helsinki pour la transformation politique en Europe centrale et orientale et dans l’ancienne URSS. Il entend aussi expliquer quel rôle joue l’OSCE aujourd’hui, et ce notamment dans les relations avec la Russie, alors que pour l’UE il s’agit de savoir s’il faut élaborer un nouveau processus pour agir dans sa zone de voisinage à l’Est.

Kai-Olaf Lang, collaborateur scientifique de la Stiftung Wissenschaft und Politik de Berlin tentera d’expliquer les tendances populistes et nationalistes vingt ans après les changements en Europe centrale et orientale.

Janos Terényi, ambassadeur honoraire et directeur du Hungarian Institute of International Affairs de Budapest abordera, pour sa part, "l’expérience hongroise du changement de système".

Mihai Geamanu, du National School for Political and Administrative Studies de Bucharest, expliquera quant à lui "quels sont les obstacles et les résistances à un réel changement de système en Roumanie".

Alfred Steinherr, professeur de sciences économiques à la Freie Universität Bozen et ancien chef économiste de la Banque Européenne d’Investissement, va dresser "un bilan des transformations économiques en Europe centrale et orientale : progrès, problèmes et solutions."

Finalement, Silvo Devetak, directeur du European Centre for Ethnic, Regional and Sociological Studies de l’Université de Maribor (Slovénie) s’exprimera au sujet des "Balkans hantés par le passé de la fédération yougoslave : grandeur, déclin et démantèlement. Le contraste entre les expériences slovène et serbe. Quel futur pour cette région ?"