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Citoyenneté, jumelages, mémoire
Mémoires, héritages et défis d’avenir : l’unification de l’Europe 20 ans après (1) - Retour sur les événements de 1989
18-09-2009


Mémoires, héritages et défis d’avenir : l’unification de l’Europe 20 ans aprèsPendant toute l’année 2009, l’Institut Pierre Werner a consacré sa programmation aux événements de l’année 1989 qui ont eu comme conséquence immédiate la fin du clivage de l’Europe en deux camps ennemis. Cette césure que l’année 1989 a constituée dans l’histoire et les conséquences des événements de cette année cruciale ont fait l’objet des réflexions et des débats du VIe Forum de l’Institut Pierre Werner qui s’est tenu à Luxembourg les 18 et 19 septembre 2009.

Témoins et acteurs de l’époque, hommes politiques, écrivains et universitaires de toute l’Europe avaient été invités au dialogue afin de tenter d’appréhender ce qui s’est passé dans chaque pays de l’Est, tout en prenant en compte des points communs et des conséquences pour tous les pays européens.

Le Forum voulait avant tout revenir sur les dynamiques fondamentales qui ont conduit à la chute du Rideau de fer et Charles Goerens, Mario Hirsch et Anatoli Tcherniaevà la dissolution de l’Union soviétique. Tout au long de ces deux journées, il a donc été question de savoir ce qui est resté de cette ambiance de renouveau et pourquoi quelques espérances attendaient encore leur réalisation 20 ans après.

Le Forum s’est aussi consacré au processus de transformation sociopolitique qui n’a pas bien réussi partout, qui s’est déroulé la plupart du temps pacifiquement, même si l’on n’a pas oublié la violence qui a caractérisé la fin du régime communiste en Roumanie, ni les guerres balkaniques. Force est de constater que le processus de ce grand changement de système n’est nullement terminé et renvoie toujours l’UE à ses grands défis.

Les débats ont commencé le vendredi 18 septembre 2009, après la projection du documentaire "Chemins de la liberté, chemins vers une Europe commune", au cours une table ronde sur la manière dont la fin du Rideau de fer a été vécue de part et d’autre, sur le contexte international et le rôle de l’Union soviétique et sur la question de savoir si l’ancrage à l’Ouest est une réussite.

Anatoli Tcherniaev - Le rôle de Gorbatchev

Anatoli Tcherniaev et Anatoli BlinovLe premier intervenant fut Anatoli Tcherniaev, né en 1921, qui, après avoir été pendant le début de l’ère Khrouchtchev un des éditeurs de la revue "Problèmes de la paix et du socialisme",  fut conseiller personnel de Mikhaïl Gorbatchev entre 1986 et 1991. Il lui appartenait entre autres d’apporter des éléments de réponse à la question de savoir pourquoi l’URSS a laissé faire sans sourciller en 1989-90.

Pour Anatoli Tcherniaev, le système stalinien avait épuisé ses ressources historiques. L’économie s’était dégradée. Certaines révolutions technologiques avaient été négligées. Le recours au travail forcé n’était plus possible après la mort de Staline. Les objectifs idéologiques et l’enthousiasme qu’ils pouvaient susciter pour compenser les sacrifices consentis s’étaient évanouis. La Perestroïka a surgi au milieu de la défaite, et ce alors que la réputation de l’URSS était ruinée, que le pays était de plus en plus isolé. Son instigateur, Gorbatchev, dont le rôle crucial n’est pas nié à l’Ouest, "est un homme qui a une morale", et cette morale, précise Anatoli Tcherniaev, est "chrétienne". Pour l’ancien conseiller de Gorbatchev, il fallait "avoir honte pour le pays", de sorte que l’épouse de Gorbatchev, Raïssa, lui a dit après son élection au poste de secrétaire général du Parti communiste de l’URSS en 1985 : "Nous ne pouvons plus continuer à vivre ainsi".

Le grand obstacle aux réformes était la guerre froide, qui avait conduit le pays à investir jusqu’à 70 % de sa recherche dans le complexe militaro-industriel. L’URSS supportait la double charge d’être une superpuissance et d’être à la tête d’un empire. Dans un premier temps, il fallait donc terminer la guerre froide. Les pays satellites ont été informés que l’URSS ne s’ingérerait plus dans leurs affaires internes, ce qui équivalait à liquider la doctrine Brejnev. Au printemps il commença à être question de la "maison commune européenne", un objectif que Gorbatchev aurait voulu voir partagé de part et d’autre du rideau de fer. Le processus de désarmement nucléaire et conventionnel a été entamé avec les Etats-Unis. Pour Anatoli Tcherniaev, les hommes politiques de l’Ouest se sont montrés à la hauteur de la situation. Reagan, Bush senior, Thatcher, Mitterrand ont entamé des relations de confiance avec Gorbatchev. 

La question allemande était alors considérée sous l’angle des faits économiques. La RFA était le principal partenaire commercial de l’URSS. Gorbatchev estimait que ce pays avait tiré les conséquences du passé de l’Allemagne. Pour Gorbatchev, la solution de la question allemande était proche. Il estimait que la scission de la nation allemande était devenue une injustice de l’histoire. La fuite des Allemands de l’Est par la Hongrie, qui avait ouvert ses frontières, et la République tchèque, l’état décrépit de la RDA qu’il avait pu constater à l’occasion du 40e anniversaire de l’autre Etat allemand, la chute du mur qui est intervenue quelques semaines plus tard l’ont convaincu que la RDA ne pouvait plus être sauvée. Il ne pouvait être question d’un scénario "Tien-An-Men". "L’événement était inévitable", et le programme en dix points de Helmut Kohl a accéléré le processus.

Anatoli Tcherniaev a regretté à la fin de son intervention que le processus d’unification de l’Europe, qui aurait pu être parachevé si l’acte final de la conférence de Helsinki de 1975 avait continué à être appliqué, ait été stoppé par la dissolution de l’URSS. L’orateur a exprimé sa déception à l’égard des nouveaux pays qui ont selon lui commencé à mener des "realpolitiks égoïstes" et sont tombés sous la coupe de partis de droite tout à fait normaux.

Werner Schulz - Ce sont les peuples qui ont fait chuter les régimes communistes        

Werner SchulzWerner Schulz a tenu à expliquer dans un premier temps quel rôle a joué l’opposition interne en RDA dans la marche vers la réunification des deux Allemagne. Pour l’ancien dissident du Neues Forum et actuel député européen vert, la chute du mur, puis de la RDA, ne sont pas survenues brusquement. Il y a eu toute une chaîne de luttes de résistance. Contrairement à ce que l’on a longtemps fait croire, le soulèvement de 1953 n’était pas une rébellion des ouvriers de la construction, mais bien un soulèvement populaire dans 600 villes et localités de la RDA. Les soulèvements polonais et hongrois de 1956, les événements de 1968 en Tchécoslovaquie, l’émergence de la Charte 77 et de Solidarność ont eu une influence sur l’opposition en RDA. La résistance en RDA a pris forme lors du Kirchentag de 1981. L’Eglise protestante, a expliqué Schulz, était la seule institution qui n’était pas entièrement sous le contrôle de l’Etat. "C’est d’elle qu’est partie la révolution pacifique inspirée par le sermon de la montagne". Les événements de 68 avaient été traumatisants pour l’opposition est-allemande. Personne ne voulait plus miser sur l’idée d’un socialisme à visage humain tel qu’il était prôné à l’époque par Alexander Dubcek. La révolution pacifique en cours en Pologne, inspirée quant à elle par l’Eglise catholique, était plutôt le modèle à suivre. La croissance vertigineuse du nombre de personnes qui voulaient quitter le pays a accéléré la révolution. Tout était préparé pour une répression sanglante des manifestations populaires selon un scénario de type "Tien-An-Men", mais la manifestation du 9 octobre 1989 à Leipzig fut une percée. L’appareil d’Etat hésitait et les jeunes fonctionnaires du parti SED étaient plus occupés avec leur révolution de palais qui a conduit à la déposition d’Erich Honecker.

Werner Schulz insista sur le fait que la réunification allemande n’était pas au début le premier point sur l’agenda de l’opposition. Ce premier point était la réforme de la RDA. La chute du mur n’était pas non plus le résultat d’un fonctionnaire qui a déclaré les frontières ouvertes lors d’une conférence de presse. Elle était le résultat de la pression des événements.

Est-ce que tous les espoirs et attentes de ceux qui poussaient au changement de régime ont été assouvis tout au long de ces vingt dernières années ? C’est à cette autre question que Werner Schulz dut répondre. Sa réponse fut résolument positive. "Je suis content des résultats de notre mouvement. Je jouis de la situation actuelle, de ma liberté. L’économie s’est améliorée. Les historiens parleront de cette époque comme d’une grande œuvre de construction. Et cette révolution, nous la devons d’abord aux peuples."  

Joëlle Timsit - La révolution en RDA vue par une ambassadrice de France

Joëlle TimsitJoëlle Timsit, l’ancien ambassadeur de France en RDA entre 1986 et 1990, a ensuite relaté ensuite, très émue, son expérience. Dès 1988,  a-t-elle raconté, elle avait, lors d’une réunion à Paris des ambassadeurs de France dans les pays de l’Est, tenté de faire passer le message, qui était mal passé, que "la RDA bougeait". Selon elle, derrière "le caractère lisse" de la RDA se cachait une opposition qui avait "du mal à être visible" parce qu’elle était "a-idéologique", selon ce que l’écrivain Christoph Hein lui avait expliqué et qui lui servait de clé de lecture. Elle souligna également que ce furent les Allemands de l’Est qui avaient été les premiers à se révolter en 1953.       

Antonin Liehm - Il ne faut pas perdre de vue les différences qui prévalaient entre les pays de l’ancien bloc socialiste

Antonin Liehm, qui fut rédacteur en chef de la Literaturnaja gazeta, hebdomadaire qui a joué un grand rôle lors du Antonin Liehmprintemps de Prague, et qui a depuis fondé la revue Lettre internationale, a évoqué pour sa part ces années d’avant l’exil où il a connu à Prague les intellectuels soviétiques qui allaient former l’entourage de Mikhaïl Gorbatchev. Quant à la question de savoir comment les choses n’ont pas fini dans un bain de sang à l’automne 1989, le massacre de la place Tien-An-Men en juin 1989 a joué à ses yeux un rôle essentiel. Ce sur quoi le journaliste a insisté enfin, c’est sur les différences qui existaient et existent encore entre les pays de l’ancien bloc socialiste, tant sur le plan de l’économie, de la religion, du vécu que des relations réciproques. Finalement pour Antonin Liehm, le seul lien qui unissait ces pays, c’était la domination soviétique.

Ireneusz Krzeminski : Solidarność a changé l’ordre du socialisme

Ireneusz KrzeminskiIreneusz Krzeminski, sociologue polonais, a réagi aux interventions précédentes en expliquant le rôle essentiel qu’avait joué le mouvement Solidarność dans la dissolution du système socialiste soviétique. L’image idéalisée d’un Gorbatchev moral et sensible est, à ses yeux, loin d’être réaliste, et le changement a plus trouvé son origine dans les processus sociaux engagés par l’opposition polonaise, qui fut massive, et dans laquelle l’Eglise et le pape ont joué un rôle crucial. Ainsi, la Perestroïka gorbatchévienne est-elle à ses yeux un des effets de ces processus de changement et le mouvement Solidarność a d’une certaine façon changé l’ordre du socialisme. Au fond, il y a eu délégitimation de la violence politique.

Charles Goerens : Bilan et défis d’une UE d’après l’élargissement

Charles Goerens, ancien ministre libéral de la Coopération et de la Défense luxembourgeois, élu au Parlement européen lors des élections de juin 2009, a tenu pour sa part à faire un état des lieux de l’UE d’aujourd’hui. Pour lui 89 compte, comme plus tard les guerres dans les Balkans ou bien plus récemment la faillite de Lehman Brothers, parmi les chocs extérieurs qui ont permis à l’Europe d’avancer.

Pour l’eurodéputé, il n’aurait pas été possible d’aller plus loin dans l’intégration des nouveaux Etats membres, car ilCharles Goerens existe dans l’UE des clivages bien antérieurs, dont certains remontent même aux origines, comme la querelle qui a opposé, du temps de La Haye en 1948, les fédéralistes aux partisans d’une politique intergouvernementale. L’élargissement a donc été aux yeux de Charles Goerens une grande avancée pour l’UE, même s’il est allé de pair avec "une diminution de la substance de l’intégration européenne", et ce bien que les nouveaux arrivants n’y soient pour rien. Au fond l’élargissement répond à une conjoncture d’intérêts divergents, ce qui explique en partie l’embarras ressenti dès que se pose une question vitale.

Si beaucoup a déjà été fait en matière d’intégration des nouveaux Etats membres, il conviendrait désormais, pour Charles Goerens, de réduire les écarts en matière de fiscalité et de standards sociaux. Loin de prêcher pour une harmonisation, l’eurodéputé libéral trouve ces écarts inacceptables et il appelle à conditionner la satisfaction des demandes formulées par les nouveaux Etats membres en matière de fonds structurels à un effort de leur part pour faire progresser les standards sociaux.

Pour Charles Goerens, les avancées ne se font pas sans échecs, comme en témoigne la politique européenne de sécurité et de défense, qu’il juge encore trop timide mais qui a pu pourtant prévenir un conflit en Macédoine alors qu’elle n’avait pu empêcher le massacre de Srebrenica. Pour l’eurodéputé, l’enjeu est maintenant pour l’UE de pouvoir répondre aux grands défis qui lui font face. Et si l’UE semble donner une réponse satisfaisante au changement climatique, Charles Goerens regrette que l’UE n’ait pas réagi d’une seule voix à l’annonce du président américain de renoncer au projet de bouclier anti-missile en Pologne et en République tchèque, alors que c’est selon lui une question essentielle. Quant au défi que pose la globalisation, il reste l’espoir que l’UE trouve une cohésion interne qui lui permette de pouvoir peser sur la gouvernance mondiale.