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Citoyenneté, jumelages, mémoire
Mémoires, héritages et défis d’avenir : l’unification de l’Europe 20 ans après (2) – Les enjeux de mémoire dans des pays aux histoires et aux vécus très différents
19-09-2009


Mémoires, héritages et défis d’avenir : l’unification de l’Europe 20 ans aprèsPendant toute l’année 2009, l’Institut Pierre Werner a consacré sa programmation aux événements de l’année 1989 qui ont eu comme conséquence immédiate la fin du clivage de l’Europe en deux camps ennemis. Cette césure que l’année 1989 a constituée dans l’histoire et les conséquences des événements de cette année cruciale ont fait l’objet des réflexions et des débats du VIe Forum de l’Institut Pierre Werner qui s’est tenu à Luxembourg les 18 et 19 septembre 2009.

Témoins et acteurs de l’époque, hommes politiques, écrivains et universitaires de toute l’Europe avaient été invités au dialogue afin de tenter d’appréhender ce qui s’est passé dans chaque pays de l’Est, tout en prenant en compte des points communs et des conséquences pour tous les pays européens.

Le Forum voulait avant tout revenir sur les dynamiques fondamentales qui ont conduit à la chute du Rideau de fer et à la dissolution de l’Union soviétique. Tout au long de ces deux journées, il a donc été question de savoir ce qui est resté de cette ambiance de renouveau et pourquoi quelques espérances attendaient encore leur réalisation 20 ans après.

Le Forum s’est aussi consacré au processus de transformation sociopolitique qui n’a pas bien réussi partout, qui s’est déroulé la plupart du temps pacifiquement, même si l’on n’a pas oublié la violence qui a caractérisé la fin du régime communiste en Roumanie, ni les guerres balkaniques. Force est de constater que le processus de ce grand changement de système n’est nullement terminé et renvoie toujours l’UE à ses grands défis.

Le samedi 19 septembre 2009, une première session a permis aux intervenants d’aborder, au cours de deux tables-rondes, les questions de la transmission de l’histoire de la période communiste ainsi que de la perception par les sociétés du passé et des transformations en cours.

L’enjeu de la mémoire

Lors de la première table ronde du samedi 19 septembre 2009, consacrée à "l’enjeu de la mémoire", les intervenants ont présenté différents aspects de l’enjeu essentiel que constitue la mémoire de ces événements, mais aussi la façon dont elle peut être transmise et dont on peut écrire et enseigner leur histoire.

Freya Klier – Le onzième commandement : "Tu te souviendras !"

Freya Klier - Photo IPWLa première intervenante et témoin de l’époque, Freya Klier, est née en 1950 dans la ville est-allemande de Dresde. A l’âge de trois ans, elle a vu son père être arrêté pour avoir défendu son épouse contre la police. La petite Freya et son frère ont alors été placés dans un foyer sous l’influence de la Stasi. En 1968, après avoir tenté, en vain, de fuir la RDA, Freya Klier est condamnée à 16 mois de prison. Après ses études à la Haute Ecole de Théâtre de Leipzig, elle a participé à la fondation de la "DDR-Friedensbewegung" et elle a dû quitter la RDA en 1988.

Freya Klier, qui a survécu à un attentat commandité par la Stasi, a publié un livre sur l’éducation en RDA ("Lüge Vaterland – Erziehung in der DDR"), dans lequel elle présente les écoles de la RDA comme une sorte de machine de sélection. L’écrivaine, qui a également mené des enquêtes secrètes auprès des élèves, a souligné qu’elle "n’a pas voulu de ce pays qui enferme sa population" mais elle voulait "juste que les gens soient libres et puissent décider librement de leurs structures sociales".

La réunification de l’Allemagne était ainsi aux yeux de Freya Klier, qui vivait après 1988 dans le quartier ouest-berlinois de Kreuzberg, "à cent mètres du mur", quelque chose de positif. Elle se souvient de la nuit du 9 novembre 1989 : "J’ai vu que quelque chose était différent : Et je disais à ma fille que s’ils ne fermaient pas bientôt le mur, ce serait la fin de la RDA". La chute du mur de Berlin a provoqué la joie et l’étonnement de Freya Klier. Mais, pour elle, la RDA est également remontée à la surface : la mort de son frère et de nombreux amis, tout le mal qui avait été commis et le caractère infranchissable du mur. "Soudain, le mur était comme un mur de carton au théâtre, c’était magnifique, mais cela provoquait aussi un chaos de mes émotions".

Aujourd’hui, l’écrivaine se rend dans les écoles pour témoigner de ce qu’elle a vécu en RDA. Elle pense que "même si les enseignants et les manuels d’histoire sont indispensables, l’apport de l’histoire contemporaine, de l’expérience empirique et émotionnelle est très important pour les élèves". Sous le signe de son onzième commandement - "Tu te souviendras" - Freya Klier, elle-même chrétienne, s’engage pour faire connaître le passé parce que "ce n’est que de cette manière que nous pouvons façonner le présent et l’avenir". Avec quelques autres militants des droits civiques, l’écrivaine a fondé en 1996 le Bürgerbüro pour aider les personnes qui ont été victimes des répressions du régime communiste en RDA.

En guise de conclusion, Freya Klier s’est montrée prête à démanteler des mythes tels que "chacun avait un travail en RDA". Pour elle, ces mensonges sont véhiculés par un certain nombre de personnes qui étaient au pouvoir en RDA. Selon Freya Klier, des enseignants se trouvent d’ailleurs parmi eux : "Les enseignants du régime communiste, recrutés à l’époque dans des familles ‘politiquement fiables’, ont continué à travailler dans les écoles de l’Allemagne réunifiée. Après la chute du mur, des enseignants ouest-allemands très engagés se sont rendus en Allemagne de l’Est, mais ils y ont été harcelés, personne ne leur a parlé et ils sont retournés à l’Ouest souffrant de troubles psychologiques."

Cependant, Freya Klier a de l’espoir : les enseignants de l’ancien régime communiste prennent peu à peu leur retraite et les jeunes enseignants des écoles est-allemandes, qui n’étaient pas impliqués dans ces événements, sont plus ouverts. L’écrivaine espère que la prise de conscience du passé allemand s’accomplira dans une génération.

Etienne Boisserie - La transmission de la mémoire de la période communiste dans les manuels scolaires tchèques et slovaques

Etienne Boisserie, historien à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), spécialiste de la Etienne Boisserie - Photo IPWSlovaquie et co-auteur de "La Slovaquie face à ses héritages", a abordé la transmission de la mémoire de la période communiste dans les manuels scolaires slovaques et tchèques, ainsi que les différences qu’il y a en termes d’historiographie.

"A part certains points communs, l’histoire commune communiste est représentée de façon très différente dans les manuels scolaires tchèques et slovaques, et il y a une perception différente du passé dans les deux pays", a expliqué l’historien de l’INALCO. Lorsqu’il a examiné les manuels de l’enseignement secondaire (3 tchèques et 3 slovaques) publiés entre 1995 et 2002, et encore utilisés il y a peu, il a pu constater des découpages chronologiques, thématiques et iconographiques différents selon les deux pays.

Pour des raisons idéologiques, les manuels slovaques commencent la période communiste par le soulèvement national slovaque contre l’occupant nazi en août 1944, alors que les manuels tchèques la commencent par le putsch communiste de février 1948. Le printemps de Prague de 1968 marque la grande césure dans les deux corpus, notamment dans les manuels tchèques, selon lesquels la 2e grande période va de 1968 à 1992. Les manuels slovaques n’indiquent pas l’année 1992 comme une coupure, alors qu’il s’agit d’une année mémoire dans l’histoire des deux pays.

D’une manière générale, le corpus tchèque est plus riche en documents annexes et en renvois pour développements. Dans deux manuels tchèques, on trouve des illustrations identiques de la vie politique et institutionnelle (portraits des principaux dirigeants du Parti ou figures de "martyres", comme Milada Horáková, Jan Masaryk, Jan Palach), les grandes options économiques (combinats, paysages et machines agricoles), ou icônes sportives (Zátopek, Věra Časlavská), scientifiques (le prix Nobel Heyrovský), artistiques (Miloš Forman, mais aussi Jiří Trnka, grand réalisateur de films animés) ou techniques (le cosmonaute Vladimir Remek). Ces personnages ne sont pas représentés dans les manuels slovaques. Les héros tchèques et slovaques ne sont donc pas les mêmes.

Les manuels slovaques évoquent le caractère criminel du régime communiste, notamment par la citation du nombre de victimes, etc. Le communisme y est représenté comme anormal et illégitime parce qu’il a privé la Slovaquie de son indépendance. La 1ère République tchécoslovaque (créée en 1918) n’y est pas non plus représentée de façon neutre mais comme une période de combat pour l’autonomie.

Dans les manuels tchèques, les phénomènes sociaux, culturels et politiques, sont traités avec grande distance, neutralité sémantique et la volonté d’éviter tout pathos, contrairement aux manuels slovaques, dont le sous-texte est très chargé. "Une partie de la société slovaque considère d’ailleurs que la Tchécoslovaquie n’était pas un Etat acceptable parce qu’elle ne reconnaissait pas la Slovaquie", a souligné Etienne Boisserie, "et ils voient l’histoire tchèque comme extérieure à l’histoire slovaque. La Slovaquie est en quelque sorte une île, Prague n’apparaît qu’en 1968, et le pays tchèque n’existe pas". Certains éléments ont comme objectif évident de souligner la dimension criminelle du régime communiste. Au demeurant, le texte principal est très orienté, clairement destiné à démontrer la double pression idéologique dont est victime la Slovaquie : pression tchèque et pression soviétique, socialiste. Il impose l’image d’une Slovaquie victime.

L’étude d’Etienne Boisserie permet d’observer deux formes différentes de transmission.

Les manuels tchèques observés s’efforcent de balayer l’ensemble des phénomènes politiques, culturels, sociaux de la période. Ils replacent la séquence dans son contexte international et idéologique. Le corpus tchèque contient moins de jugements moraux, d’anachronismes que le corpus slovaque. Le corpus slovaque de son côté montre l’extrême sensibilité à quelques thèmes-clés, tels que les mécanismes de répression, les contraintes idéologiques, le régime "importé" par les Tchèques et/ou l’URSS. C’est une histoire plus décontextualisée.

Isabelle Carret - L’Express de Solidarité ou la transmission de la mémoire dissidente aux jeunes générations en Pologne

Isabelle Carret - Photo IPWIsabelle Carret, présidente de l’International Club, a clôturé cette table ronde avec sa présentation du projet "l’Express de Solidarité", un projet censé transmettre la mémoire dissidente aux jeunes générations en Pologne. En décembre 2008, à l’occasion du 25e anniversaire du décernement du Prix Nobel de la Paix à Lech Walesa, un train avec 200 jeunes de 44 pays différents – d’Europe, mais aussi d’Israël et de Palestine - a fait un voyage de Cracovie, par Varsovie jusqu'à Gdansk.

Au programme : des visites de lieux symbolisant le combat contemporain contre le totalitarisme et la lutte pour la liberté et la paix en Europe. Les jeunes ont visité le camp de concentration d’Auschwitz, et Westerplatte, premier lieu d'affrontement de la Deuxième guerre mondiale. Ils ont participé à des conférences, des rendez-vous et des discussions au sujet du message de liberté de Solidarność et de sa dissidence face au communisme. A l’exemple de cette expérience pratique, l’intervenante a montré comment ont peut toucher les jeunes et les accompagner dans leur apprentissage d’une approche critique des idéologies.

Les sociétés face aux changements

Au cours d’une deuxième table ronde, c’est la perception des changements induits par la chute du rideau de fer par les sociétés qui a fait l’objet d’interventions exposant les spécificités des parcours bulgare et roumain. Un rapide bilan chiffré de l’activité des ONG en Albanie y a aussi fait l’objet d’une présentation Zamira Poda, elle-même impliquée dans ce processus qui vise à stimuler la difficile émergence et l’implication de la société civile.

Ivaylo Ditchev  - Comment la société bulgare fait face aux nombreux problèmes liés à l’héritage d’un communisme qui connut des années pacifiques entre 1965 et 1985

Ivaylo Ditchev, anthropologue culturel de la Sofia University St. Kliment Ohridsky, a expliqué "comment la société Ivaylo Ditchev - Photo IPWbulgare fait face aux nombreux problèmes liés à l’héritage du communisme". De son point de vue d’anthropologue, qui lui permet d’avoir une approche globale de la société, prenant en compte les perceptions, les représentations ou encore les aspects symboliques, il a abordé l’évolution de la classe politique en Bulgarie, marquée par une alternance des forces démocratiques et néo-communistes ainsi que par une montée des tendances nationalistes, mais aussi la façon dont la population vit et a vécu ces changements.

Ivaylo Ditchev a souligné qu’en Bulgarie il n’y a pas de journée unique pour commémorer la chute du communisme, parce qu’aucune date ne fait consensus. En parallèle, il n’y existe pas de musée du communisme, comme dans certains autres pays de l’ancien bloc socialiste. "En effet, il faut savoir que les pays de l’Europe de l’Est sont très différents mais ils ont tous été traités de la même façon par l’Union soviétique", a expliqué l’anthropologue. De la même façon, on a établi, après l’effondrement de l’Union soviétique, un agenda prévoyant pour tous les pays de l’Europe de l’Est des élections, même s’ils n’y étaient alors pas tous pas prêts.

Selon Ivaylo Ditchev, le nivellement des conditions de vie impliqué par ce traitement uniforme a profité aux pays peu urbanisés, comme la Bulgarie, qui a ainsi bénéficié de certaines mesures de modernisation. La RDA ou la Tchécoslovaquie, qui étaient déjà urbanisées avant l’arrivée au pouvoir du communisme, n’en ont guère profité. Le régime communiste avait donc une certaine légitimité et ne connaissait pas de vraie opposition en Bulgarie.

Pendant la Guerre froide, la Bulgarie qui avait des liens culturels avec la Russie depuis le IXe siècle, a joué le rôle de l’alliée, et elle est vite devenue la "bonne élève du communisme", ce qui lui a permis de bénéficier de certains privilèges comme les livraisons de pétrole soviétique à des tarifs préférentiels.

La dissidence des intellectuels bulgares par rapport au régime communiste n’a par ailleurs commencé à se renforcer et à trouver un écho dans la population qu’après le début de l’année 1989, lorsque par exemple François Mitterrand, en visite en Bulgarie, a invité des écrivains et d’autres opposants au régime à un petit-déjeuner à l’Ambassade de France, contre la volonté des autorités bulgares. "Le mouvement de contestation a donc démarré très tard, et seulement grâce au changement d’attitude des politiques occidentales par rapport à la Bulgarie", a expliqué Ivaylo Ditchev.

Abordant la longue transition dans son pays, Ivaylo Ditchev a précisé que les années 60, 70 et 1980 étaient des années pacifiques sous le régime communiste. Les années 1990 cependant étaient une période d’extrême violence, de chaos, de déclin économique, d’exil et d’effondrement du système social. "En moyenne, il y avait chaque année une centaine de meurtres politiques commandités de journalistes, juges et anciens hommes politiques", a expliqué Ivaylo Ditchev. Le régime communiste des années 1980, par contre, était non-violent. "Certes, il y avait les camps et la répression des années 1940-50, mais les communistes ont décidé de fermer les camps en 1962. Ils avaient donc eux-mêmes commencé à changer le système", a souligné Ivaylo Ditchev.

"Lors du dernier épisode du communisme, le ‘proche allié’ a essayé de renverser le vieux dictateur, Todor Jivkov", a expliqué Ivaylo Ditchev, "de sorte que le service secret bulgare, sous influence soviétique, a commencé à travailler contre le parti communiste du pays, qui a essayé de résister aux pressions soviétiques". Et d’ajouter que "finalement, la Bulgarie a essayé de sortir du communisme à travers des approches nationalistes".

Selon l’anthropologue, la bataille politique persiste en Bulgarie au sujet de la commémoration de la chute du communisme, et les historiens ne trouvent pas de consensus à ce sujet. Ce qui rend difficile la mise au point de programmes scolaires, notamment en histoire.

Anneli Ute Gabanyi – Le cas de la Roumanie : une société encore sous le choc de la violence d’un "coup d’Etat révolutionnaire"

Anneli Ute Gabanyi - Photo IPWLa politologue roumaine Anneli Ute Gabanyi, connue pour son ouvrage La Révolution inachevée, s’est pour sa part penché sur la spécificité du parcours de la Roumanie. Revenant de façon plus générale sur les révolutions d’Europe orientale, la politologue a expliqué qu’elles pouvaient être considérées comme un processus de révolution du système soviétique qui se serait développé en réseau, et non de façon nationale, ou bien au contraire comme des révolutions nationales contre une Union soviétique hégémonique, voire comme des phénomènes d’opposition au régime ou encore au système.

Le rôle de l’Union soviétique elle-même, à travers la doctrine Gorbatchev, ne doit selon elle pas être négligé non plus. Car Mikhaïl Gorbatchev, qui avait besoin de consolider sa position pour pouvoir faire passer ses réformes, a apporté son soutien à certains mouvements d’opposition aux élites nationales.

Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises au cours du forum, la Roumanie n’a pas connu d’insurrection, de printemps ou autre manifestations d’oppositions qui ont marqué l’histoire de ses voisins. Cette spécificité s’explique pour Anneli Ute Gabanyi par l’anticommunisme particulièrement virulent de l’ensemble de la population roumaine, et ce dès le début. Ce peuple réuni autour d’une identité et d’une langue latines a très mal vécu l’occupation et l’instauration d’un communisme soviétique. Et ce sentiment d’identité nationale, le parti communiste roumain a su s’en saisir pour stabiliser son propre régime après le retrait des troupes d’occupation soviétique.

Ce qui distingue aussi la Roumanie, c’est qu’elle a été la seule à connaître en 1989 une révolte violente, l’exécution de son chef d’Etat et le tout sous influence importante de l’étranger. Ainsi, la "transition pacifique" dans l’ensemble de l’Europe de l’Est a-t-elle fait place en Roumanie à un "coup d’Etat révolutionnaire" dans lequel pourtant la révolte a d’une certaine façon été mise en scène par les acteurs de la déposition du pouvoir.

Cette voie particulière de la Roumanie, elle était pour Anneli Ute Gabanyi, inévitable. Dès le début des années 60 en effet, la Roumanie a manifesté son opposition à son entrée dans le Comecon et sa politique autonome a grandement troublé le processus de fusion de tous les pays du bloc de l’Est dans une même zone économique. Ceaucescu avait par ailleurs promulgué une nouvelle loi de défense en 1972 qui faisait de lui le chef des Armées, un cas unique dans l’ensemble des pays du pacte de Varsovie. Une particularité qui a donné encore plus de force aux images de son exécution diffusée quasiment en direct à la télé. Il s’agissait pour ceux qui l’ont renversé de créer un vide de pouvoir à combler, et il n’est pas un hasard selon la politologue que la première loi qui ait suivi ce coup d’Etat ait consisté à modifier cette loi de défense. La seconde mesure consista par ailleurs à précipiter aux commandes de l’économie du pays des officiers qui avaient été loyaux envers Moscou et qui avaient constitué une opposition interne forte à Ceaucescu depuis les années 70.

La crise économique a été un facteur qui ne doit pas être sous-estimé dans l’évolution des événements, la plupart des pays du bloc étant endettés depuis les krachs pétroliers des années 70. La Roumanie faisait là figure d’exception, puisqu’elle avait établi des liens privilégiés avec des pays producteurs de pétrole et qu’elle avait mis en place une immense capacité de raffinerie. Une situation qui s’est retournée avec la guerre Iran-Irak et qui a fait qu’en 1989, la population se trouvait dans un état de grande pauvreté, prête à la révolte.

En 1989, du fait son statut particulier au sein du pacte de Varsovie, presque autonome, la Roumanie s’est qui plus est trouvée aux prises de pressions exercées tant par l’Est que par l’Ouest.

Aujourd’hui, 20 après ces événements, la société roumaine est encore très divisée sur ces sujets et le choc est encore présent dans les esprits. Le sang qui a coulé reste au fond, selon les mots de la politologue, "une sorte de péché originel qui flotte au-dessus de la révolution", car, a-t-elle précisé, sur les 1 100 personnes qui ont été tuées, 200 l’ont été avant la déposition de Ceaucescu, mais les 900 autres après. 

Anneli Ute Gabanyi a enfin expliqué que, contrairement à d’autres anciennes démocraties populaires dans lesquelles les mouvements nationalistes sont aujourd’hui plus virulents, le sentiment nationaliste, associé à l’idéologie dominante du temps de Ceaucescu, était totalement discrédité.