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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Treizièmes Rencontres européennes de Luxembourg – Libertés individuelles en Europe : Les nouveaux enjeux (1)
10-10-2009


www.relux.luLe 10 octobre 2009, ont eu lieu à Luxembourg les Rencontres européennes, au cours desquelles il est à chaque fois question d’un ou de grands problèmes que les citoyens doivent affronter en Europe. Cette fois-ci, ce furent les libertés individuelles.

Dans son allocution de bienvenue, Alvin Sold, le directeur général du groupe de presse Editpress, a abordé les nombreux défis auxquels notre "monde en évolution constante" doit faire face. Pour lui, la combinaison d’une multitude d’avancées, notamment dans les domaines des technologies de l’information et de la communication ou des biotechnologies performantes, rend notre monde plus compliqué et moins lisible. Pour Alvin Sold, notre société, dont le moteur est devenu "l’utilisation effrénée des nouvelles technologies", doit réfléchir à de nouveaux concepts en relation avec le contemporain numérique.

Pour Alvin Sold, des sujets "vastes et délicats" sont par exemple la protection des données numériques, la lutte contre le terrorisme, le respect de la vie privée, la protection de la propriété intellectuelle, et la menace des libertés fondamentales émanant d’internet, plateforme "de l’information mais aussi de la désinformation". Dans ce contexte, il pense qu’il revient aux gouvernements de trouver des compromis pour arbitrer entre libertés et sécurité. Pour Alvin Sold, il y a de nombreuses raisons de rester vigilants dans le contexte international actuel et dans une "Europe qui a tant de valeurs à faire fructifier".

Session 1 : Biotechniques et génie génétique : Ethique et liberté ?

Lors de la première table ronde, consacrée aux biotechniques et au génie génétique, les intervenants ont présenté différents aspects de l’enjeu essentiel que constitue le rôle occupé par l’éthique et les libertés individuelles dans la procréation médicalement assistée, ainsi que dans la recherche et le partage de données génétiques. En parallèle, ils se sont intéressés au phénomène du post-humanisme ou la fatigue d’être libre, et ils se sont interrogés sur notre système de valeurs, les objectifs de l’éthique et la nouvelle humanité issue des progrès technologiques.

Mauricette Sébaoun : Procréation médicalement assistée : éthique et libertés individuellesMauricette Sébaoun

Mauricette Sébaoun, médecin gynécologue et membre de la commission "Ethique et Assistance médicale à la procréation" de l’Espace éthique méditerranéen, a abordé la question de l’éthique et des libertés individuelles liées à la procréation médicalement assistée. Elle s’est notamment penchée sur les questions morales en relation avec le don des gamètes, c’est-à-dire des spermatozoïdes et des ovocytes. Elle a également abordé la question des mères porteuses. Quel est le prix d’un enfant ? Combien coûte une grossesse ? Que se passe-t-il lorsque la mère porteuse veut garder l’enfant ? Que faire si le nouveau-né est malade, voire handicapé ? Peut-on avoir un enfant à la carte ? L’enfant, a-t-il le droit de connaître son père génétique ? Et où sont les limites de la procréation médicalement assistée ? Tant de questions suscitées par ce sujet controversé auxquelles elle a essayé d’apporter des éléments de réponse.

En rapport avec la technique des diagnostics préimplantatoires, Mauricette Sébaoun craint que la solidarité nationale ne soit remise en cause. Elle demande donc un cadre légal pour empêcher toutes dérives et pour garantir la dignité et le respect de l’Homme. Mais qu’en est-il de l’eugénisme ? Qu’en est-il de l’élimination des embryons malades et du "bébé médicament", conçu pour soigner son aîné atteint d’une maladie grave ? Pour Mauricette Sébaoun, il faut prendre en considération beaucoup d’éléments pour éviter des traumatismes psychologiques chez les enfants.

En fin de compte, l’experte de la procréation médicalement assistée redoute l’émergence d’un certain nomadisme ou tourisme procréatif, parce que surtout les ovocytes sont rares et recherchés. En parallèle, elle s’inquiète de l’apparition d’idéologies élitistes, qu’elle juge d’ailleurs de contraires à la démocratie, parce qu’elles entraînent un repli sur soi dans notre société.

Anne Cambon-Thomsen : Ethique et liberté de la recherche : les enjeux du partage de données génétiques

Mauricette Sébaoun, Jean-Michel Besnier, Anne Cambon, Eddy Caeckelberghs et Alvin SoldAnne Cambon-Thomsen, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique de Toulouse, et responsable d'une équipe de recherches sur la "Génomique et santé publique", ainsi que de la plateforme "Génétique et société", s’est penchée sur la protection des données génétiques. Elle s’est notamment interrogée sur la dimension de la relation entre la liberté de recherche et les libertés individuelles. Dans ce contexte, elle a demandé si les craintes de perte de la sphère privée sont justifiées et si nous serions bientôt des individus génétiquement transparents.

Abordant les tests de diagnostique pré-symptomatique, Anne Cambon-Thomsen a souligné que ceux-ci ne sont pas toujours fiables à 100 %. En France, il est d’ailleurs interdit d’utiliser l’information génétique dans les domaines des assurances et de l’emploi. Aux Etats-Unis cependant, de tels tests sont très courants, mais ils relèvent pour Anne Cambon-Thomsen de la discrimination génétique. Pour la chercheuse, l’accès de plus en plus libre sur Internet et la commercialisation galopante de tels tests génétiques, font augmenter le risque de dérives, et suscitent également la question des limites de la soif d’informations biologique de l’Homme sur soi-même. Elle pense donc qu’il faut insister sur l’information juste et l’anonymisation pour empêcher que les tests ne deviennent des réducteurs de liberté et d’espoir.

Jean-Michel Besnier : Le post-humanisme ou la fatigue d’être libre

Le philosophe et professeur à la Sorbonne Jean-Michel Besnier évoqua ensuite la question d’une époque où l’esprit humaniste, cet héritage de la Renaissance qui implique l’engagement d’un être libre dans sa société, risque d’être supplanté par un post-humanisme qui signifie la fatigue d’être libre des personnes. Ce post-humanisme évoque le Jean-Michel Besnierdépassement de l’humanité par le fait qu’elle peut déjà choisir pour ceux qui la suivent s’ils naissent naturellement ou sont fabriqués. Ne plus être malade, ne plus souffrir, ne plus vieillir, mourir quand on veut, soustraire le processus de la vie au hasard et à l’indétermination, voilà les axes de ce post-humanisme qui ne relève plus de la science-fiction, mais qui préoccupe la politique, la science et la philosophie.

La philosophie s’interroge, à partir des technologies qui entourent les personnes, et notamment à partir des techniques robotiques, quel sera le système de valeur de la société future, et comment les relations entre des personnes qui ne partagent plus ni valeurs ni origines pourront être organisées. Les scientifiques essaient d’évaluer l’exponentielle augmentation des perceptions sensori-motrices des hommes qui sera induite par les nanotechnologies et les nouvelles techno-sciences. Les politiques se voient progressivement dépossédés de la maîtrise de l’organisation politique qui gère les relations entre les personnes. Le post-humanisme conduit progressivement à une dimension de la politique traditionnelle qui a pour centre l’humanité. Les voix qui stipulent, dans une perspective post-humaniste, que l’humanité est en fin de compte nuisible – Auschwitz et Hiroshima étant cités comme des preuves emblématiques - se multiplient.

L’appel à une attitude post-humaniste est un appel à se laisser simplifier la vie, à s’abandonner aux processus qui rendent cette simplification de la vie possible et donc à se laisser simplifier. Bref, c’est comme avec les nouvelles photos d’identité, qui doivent être conformes à des exigences de sécurité et aux systèmes de détection des visages. Il ne faut plus rire dessus, car les appareils d’indentification ne sont pas capables de reconnaître la singularité d’un sourire. Exigences simplificatrices à l’attention des pratiques langagières : il faut laisser tomber adjectif, adverbe, préposition, simplifier le message afin que la communication fonctionne mieux. "La honte prométhéenne", une trouvaille du philosophe Günther Anders, devient l’attitude attendue. Il y aura moins de marivaudage, moins de séduction, moins d’ironie, moins de liberté surtout. Les sentiments seront réduits à l’état de pulsions issues de neurotransmetteurs.

Les théoriciens de l’Internet ne prônent pour Jean-Michel Besnier rien d’autre que le renoncement à la liberté. Paradoxalement, le post-humanisme est pour le philosophe français aussi une excroissance de l’idée moderniste de maîtrise. Mais peut-on maîtriser les processus déclenchés par les nanotechnologies ? Parfois, cependant, la perte de contrôle de processus peut être positive, car la maîtrise totale de processus peut également conduire à Auschwitz et à Hiroshima. Aux questions qu’il a soulevées, Besnier ne peut ni ne veut apporter de réponse. Elles restent là, posées : Y aura-t-il une nouvelle espèce humaine, une espèce post-humaniste ? Y aura-t-il un consentement de l’humanité à une telle issue ? Renoncera-t-elle à elle-même et à ces libertés, comme l’indiquent certains indices?