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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
Treizièmes Rencontres européennes de Luxembourg – Libertés individuelles en Europe : Les nouveaux enjeux (2)
10-10-2009


Session 2 : La politique sécuritaire : Alibi ou nécessité ?

Alain Grignard et Simon PetermannLa politique sécuritaire a fait l’objet de la deuxième session des Rencontres européennes de Luxembourg. Deux spécialistes belges ont exposé les spécificités des mesures antiterroristes dans leur pays tout en tenant compte du contexte européen. L’émergence du terrorisme transnational, les stratégies de lutte contre le terrorisme mises en œuvre depuis le 11 septembre 2001, mais aussi le caractère potentiellement liberticide de la répression du terrorisme, tels on été les sujets abordés.

Simon Petermann : Les droits de l’Homme et le terrorisme

Simon Petermann, docteur en sciences politiques, spécialiste du Moyen-Orient et des questions relatives au renseignement, et ancien professeur à l'Université de Liège, a abordé dans son exposé l’émergence du terrorisme transnational, ainsi que et les stratégies de lutte contre le terrorisme mises en œuvre depuis le 11 septembre 2001. Pour lui, la "guerre contre la terreur" lancée par l’administration Bush a été une forme exacerbée de cette stratégie.

Une multitude de lois préventives et proactives ont été mises en œuvre après le 11 septembre 2001 pour contrer la vulnérabilité des infrastructures des Etats et des individus. Selon Simon Petermann, ces mesures suivent généralement deux axiomes : l’introduction de procédures pénales dérogatoires pour les incriminés et l’attribution de pouvoirs d’exception aux services de police. Les aspects préventifs de ces mesures sont contestés par les organisations des droits de l’Homme, qui estiment qu’elles bafouent entre autres le droit à un procès équitable. Elles pensent en outre que les dispositifs d’avant le 11 septembre 2001 étaient suffisants.

L’adoption d’une loi antiterroriste en Belgique a fait l’objet de nombreuses critiques, parce qu’elle prévoit Simon Petermannnotamment la possibilité de perquisitions dans des lieux privés à l'insu des personnes visées. En parallèle, elle a élargi les pouvoirs des administrations dans le domaine de l’information sur les déplacements de personnes et dans l’accès à des fichiers personnels. Selon Simon Petermann, cette loi a souvent été dénoncée comme "liberticide" et dépourvue de toute évaluation et de limites.

Pour Simon Petermann, la lutte contre le terrorisme provoque aussi la problématique du "dilemme démocratique", c’est-a-dire de savoir comment protéger la société tout en sauvegardant les valeurs et les libertés. Comment réagir face à la menace évolutive de la mise en danger de nos valeurs par des "ennemis de la démocratie" ? Et comment "lutter contre la violence sans sombrer dans la dérive" ? La réponse : il n’y a pas de protection totale et des abus peuvent être commis. Dans ce contexte, il a cité l’exemple du jeune Brésilien abattu à tort par la police britannique après les attentats dans le métro de Londres.

Pour Simon Petermann, il faut un cadre légal pour éviter toute dérive et toute discrimination. Il y a de nombreux exemples de mesures discriminatoires : les arrestations arbitraires de milliers de personnes aux Etats-Unis, la prison de Guantánamo, les prisons secrètes de la CIA, les commissions militaires qui jugent les "terroristes", tout cela a terni, selon le spécialiste, l’image démocratique des Etats-Unis. Mais a-t-il ajouté aussi, l’UE et les USA, ce n’est définitivement pas la même chose.

Alain Grignard : La répression du terrorisme est-elle liberticide ?

Alain GrignardAlain Grignard, commissaire de la division antiterroriste à la Police fédérale belge et professeur à l’Université de Liège, a abordé la question des procédures de la lutte antiterroriste d’un point de vue belge. En guise d’introduction, il a expliqué qu’il n’existe pas de définition consensuelle de "terrorisme" et que c’est, par conséquent, une notion subjective. Il a aussi estimé que c’est l’histoire qui décide de qui est un terrorisme ou pas. L’islamologue a précisé qu’il y a d’ailleurs, selon l’opinion publique, des terroristes "plus sympas que les autres", comme par exemple les Palestiniens ou les Kurdes, "dont on peut à la rigueur comprendre les motifs".

Alain Grignard a souligné que "dans la lutte contre le terrorisme, qui constitue une nouvelle forme de guerre et de criminalité, l’Etat de droit a atteint ses limites". D’un côté, il tente d’arrêter les gens avant qu’ils ne commettent leurs actes, de l’autre côté, il ne peut pas assigner devant les tribunaux quelqu’un qui n’a pas encore commis un crime.

Abordant les "méthodes particulières" introduites en Belgique par la loi antiterroriste – écoutes téléphoniques, surveillance et infiltrations - Alain Grignard a expliqué qu’elles sont souvent perçues comme très intrusives. Mais il pense que la lutte contre le terrorisme nécessite une organisation particulière et des méthodes plus agressives, même s’il redoute que des dérives soient possibles et que des personnes innocentes peuvent être incriminées. Cependant, il pense que les lois sont encadrées par de nombreuses contraintes, et que le tribunal, effectuant le dernier contrôle, veille à ce que les lois ne soient pas utilisées arbitrairement.

En guise de conclusion, Alain Grignard a tenu à souligner que l’article 28 de la déclaration des droits de l’Homme – "Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet" - fait clairement référence à la police. Mais sans oublier qu’il faut des contrôles et des lois.

Lors du débat qui s'ensuivit, Simon Petermann a tenu à préciser qu’il existe de nombreuses formes de terrorisme et que ce phénomène ne se limite pas uniquement au mouvement djihadiste. Cependant, il a souligné qu’il faut admettre que la plupart des menaces terroristes en émanent depuis qu’il a pris une forme globale après le 11 septembre 2001. Il pense que le terrorisme reste d’ailleurs un acte criminel, même si on peut l’expliquer par une série d’éléments. Pour Alain Grignard, il ne faut se limiter à l’islam, parce que derrière la religion se cachent d’autres problèmes, d’ordre sociologique notamment.

D’autres éléments abordés lors du débat étaient le caractère excessif de la politique sécuritaire, l’Etat de droit à deux vitesses, l’européanisation de la lutte contre le terrorisme, et l’équilibre entre les besoins de sécurité et les libertés individuelles.