A l’occasion du 30e anniversaire de l’Asti, le ministre du Travail et de l’Immigration a évoqué lors d’un discours prononcé dans les locaux de l’organisation de soutien aux travailleurs immigrés la dimension européenne et luxembourgeoise des questions d’asile, d’immigration et de citoyenneté.
Pour Nicolas Schmit, "le Luxembourg tout comme l’Europe a besoin d’immigration. La mobilité des hommes et des femmes n’est pas une menace, elle est une chance."
Mais l’immigration "doit s’organiser à partir de règles et du respect des droits", estime le ministre, et "nous ne devons pas laisser le champ libre aux passeurs, aux trafiquants d’êtres humains qui extorquent jusqu’au dernier sous aux personnes rivées au passage en Europe, disposées à prendre tous les risques." Car l’illégalité qui est le lot de ces personnes "est un enfer pour celui qui la vit, quotidiennement". Bref, "c’est pour réduire cet état contraire à nos valeurs démocratiques et humanistes qu’il faut promouvoir une politique de l’immigration qui n’ignore pas les contraintes du marché du travail, mais intègre aussi nos principes de respect de la personne avec ses droits."
Pour ce qui est de l’asile, Nicolas Schmit a clairement stipulé que "le Luxembourg doit rester une terre d’asile et assurer protection à ceux qui en font la demande et qui, selon les règles de la Convention de Genève, y ont droit." En même temps, il est pour lui important qu’on fasse la part des choses : "L’asile n’est pas une autre forme d’immigration. Les motivations sont différentes. Les procédures sont différentes. Le statut est bien plus avantageux."
Annonçant de nouvelles régularisations de personnes qui bénéficient aujourd’hui d’une tolérance, il a cependant déclaré que "la régularisation ne peut pas être généralisée et devenir quasi automatique. Ce serait la négation même d’une politique d’asile ainsi que d’une politique d’immigration." Des retours seront donc inévitables.
Il a ensuite évoqué la participation du Luxembourg à une politique de réinstallation qui l’a conduit à accueillir 28 Irakiens sortis des camps de réfugiés en Syrie et au Liban dans le cadre d’une entreprise de solidarité européenne, saluant au passage l’actuelle Présidence suédoise de l’Union européenne, très active sur ce plan.
Il a ensuite développé un des grands objectifs de la politique européenne et luxembourgeoise en matière d’asile : "Notre objectif dans le cadre de l’élaboration du Programme de Stockholm est de faire progresser une politique d’asile commune qui reste fidèle à nos valeurs et ne ferme pas les portes de l’Europe. Nous avons besoin de plus de solidarité vers l’extérieur : avec les pays d’origine, les pays de transit mais aussi avec ceux qui ont besoin de notre protection. Il nous faut aussi davantage de solidarité entre pays européens, notamment avec ceux qui ont de réelles difficultés à assurer l’accueil de réfugiés qu’ils soient économiques ou politiques. Je pense notamment à Malte qui a fait des progrès au niveau des conditions d’accueil mais qui se trouve aujourd’hui dans une situation comparable à celle que nous avons connue dans les années 90. Nous participons donc à une action de solidarité avec Malte et accueillerons des réfugiés reconnus en provenance de cette petite île."
Une telle politique européenne de l’asile suppose une harmonisation plus poussée des procédures d’asile : "Nous devons renforcer notre coopération et nos échanges pour assurer dans tous les Etats membres une politique d’asile conforme aux principes de la Convention de Genève. La création d’un Bureau d’appui qui permette d’harmoniser les pratiques bénéficie de notre plein appui."
Revenant à l’Europe qui a un besoin d’immigration, Schmit a prôné une politique européenne qui coordonne les politiques des Etats membres et tient compte des situations et des besoins des pays d’origines comme de ceux des personnes qui veulent émigrer. L’immigration légale et le développement économique et social des pays du Sud est une double réponse à cette question.
Nicolas Schmit a ensuite détaillé quelques principes de cette politique en faveur de l’immigration légale. Elle ne doit pas rendre les frontières de plus en plus étanches. Elle doit permettre l’immigration légale pour des raisons de travail ou d’études, sinon l’illégalité proliférera. Et contre ceux qui profitent de l’illégalité, "des passeurs aux employeurs qui contournent ainsi nos législations du travail et de la protection sociale", le gouvernement lancera "prochainement un plan d’action sanctionnant plus sévèrement les employeurs sans scrupules. Notre loi le prévoit. La directive européenne à ce sujet le prescrit."
Par ailleurs, le Luxembourg a déjà engagé avec le Cap Vert une coopération dans le cadre d’un partenariat européen. "Nous avons trop de jeunes cap-verdiens qui vivent dans l’illégalité avec tous les risques que cela comporte", a estimé le ministre
Autres principes : "L’immigration future ne se résumera pas à la seule immigration économique composée essentiellement de hautement qualifiés." Et bien que la loi luxembourgeoise favorise les chercheurs, "elle offre aussi des opportunités aux étudiants venant des pays du tiers monde qui souhaitent acquérir, après leurs études, une expérience professionnelle." Finalement, il s’agira de prévenir "la fuite des cerveaux pour les économies en développement."
"Une société ouverte qui mise sur la cohésion ne peut pas éluder la question de la participation démocratique." Ce credo de Nicolas Schmit n’a pas toujours été partagé au Luxembourg. Il a fallu un coup de pouce européen : "Nous avons mis du temps à accorder le droit de vote aux salariés non luxembourgeois qui constituent de loin la majorité (près de 70 %) sur notre marché du travail pour les élections sociales. Cela a été finalement fait, suite à un jugement de la Cour européenne, et le monde social luxembourgeois ne s’est pas écroulé." Reste qu'il doit admettre que le taux de participation, notamment des frontaliers, à ces élections est resté relativement faible.
La citoyenneté européenne et le droit de vote communal qu’il implique n’a pas non plus été un dossier facile au début des années 90. Aujourd’hui, sa position du ministre est claire : "Je me rappelle bien les inquiétudes démesurées lors des négociations du Traité de Maastricht qui a établi la citoyenneté européenne en y attachant des droits politiques. Une dérogation luxembourgeoise qui ne porte pas son nom a été négociée et présentée comme un succès diplomatique. L’était-elle vraiment ? Elle a été inspirée par la crainte, celle de voir apparaître sur la scène politique luxembourgeoise des forces xénophobes. La crainte est rarement bonne conseillère. Les démocrates, ceux qui veulent faire progresser notre société devraient davantage miser sur le courage et la force de leurs propres arguments au lieu de tergiverser et de louvoyer du côté des extrêmes ou des démagogues. Nous avons assoupli quelque peu ces dérogations et le programme gouvernemental prévoit d’autres adaptations. Mais elles restent en vigueur, notamment ce qui concerne les élections communales (fonctions de bourgmestre et échevin et surtout durée de résidence… " Mais le ministre doute qu’il ait des raisons objectives, démocratiques qui plaideraient en faveur de leur maintien, "si ce n’est une crainte dont on ne voit pas bien l’objet". Pour Nicolas Schmit, "la base de la participation citoyenne c’est la commune. C’est là où l’intégration, l’échange et la participation doivent prendre leurs racines."
Même s’il salue la révision du code de la nationalité, qui désormais autorise la double nationalité, il pense que "ce chantier doit être rouvert à la lumière d’une évaluation d’une loi qui constitue un progrès mais en même temps a mis en place des barrières qui risquent de limiter par trop sa portée souhaitable." Bref, "il y a donc un besoin de poursuivre des réformes entamées, de renforcer une citoyenneté qui ne peut plus se cantonner à la seule nationalité."