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Culture - Politique régionale
Des frontières et des hommes (3) Les coopérations transfrontalières concrètes
11-11-2009


Après le point de vue des politiques et des géographes, ce fut au tour des acteurs, tant institutionnels que culturels, de la coopération transfrontalière de témoigner de leurs pratiques au cours d’une dernière table ronde qui s’est tenue dans l’après-midi du 7 novembre 2009.

Hans-Günther Clev : Qu’est-ce la MOT, la Mission Opérationnelle Transfrontalière ?

Hans-Günther Clev, le nouveau directeur de la Mission Opérationnelle Transfrontalière (MOT) a abordé "les enjeux de la coopération transfrontalière" à partir de la perspective de l’organisme qu’il dirige.

Hans-Günter ClevLa MOT est à l’origine, en 1997, le fruit d’une prise de conscience par la France des enjeux majeurs de la coopération transfrontalière. On constate alors que les besoins des porteurs de projets transfrontaliers ont besoin d’une assistance opérationnelle et que les fonds Interreg ne sont pas utilisés de manière optimale.

La MOT est créée et prend dans un premier temps la forme d’une structure interministérielle pilotée par la Délégation Interministérielle à l'Aménagement et à la Compétitivité des Territoires (DIACT, ex DATAR), associée à cinq sites pilotes candidats à l’expérimentation : Lille Métropole, l'Alsace (Saint-Louis/Bâle et Strasbourg/Kehl), l'Espace franco-genevois, la Métropole Côte d'Azur (Menton-Ventimiglia) et la conurbation Bayonne-San Sebastian. L’objectif principal de la MOT est de faciliter l’émergence et la réalisation de projets transfrontaliers structurants au niveau local, en favorisant l’articulation des territoires de part et d'autre des frontières.

Pour passer de sites identifiés à une plate-forme d’échanges, la MOT devient également une association, chargée de mettre en réseau les acteurs de la coopération transfrontalière.

Depuis, la MOT réunit 56 membres, des collectivités territoriales et leurs groupements, des associations, des structures transfrontalières, des grandes entreprises,… et un Etat, le Luxembourg, impliqués dans le développement de projets transfrontaliers et situés de part et d’autre des frontières. Ces projets sont parfois modestes, parfois beaucoup plus grands, allant du centre culturel au pont frontalier en passant par l’hôpital transfrontalier, comme dans les Pyrénées par exemple.

En 2007, l'EUROMOT, réseau européen d'autorités locales transfrontalières, a été créé à Lille. Il réunit la MOT, Eixo Atlántico1 et City Twins2. Il s’agit de constituer un réseau européen solide réunissant les autorités locales transfrontalières en Europe pour échanger et porter leurs propositions de réponse aux besoins de leurs habitants et assurer une meilleure prise en compte de la coopération transfrontalière dans les politiques nationales et européennes. "Surmonter les effets des frontières et faciliter la vie des habitants dans les régions frontalières", telle est la devise de Hans Günther Clev. La liste des projets dans lesquels la MOT est impliquée est éloquente.

Avec la création des GLCT – groupement local de coopération transfrontalière – et surtout des GECT - les groupements européens de coopération transfrontalière - les Etats membres ont créé un instrument qui permettra aux partenaires de gérer un budget transfrontalier de manière autonome dans des domaines comme le transport, l’assistance, le tourisme, etc., et peut-être un jour dans le domaine de la santé et de la sécurité sociale.

Ceci dit, la meilleure des volontés peut se heurter  à des obstacles qui prêtent à rie ou à pleurer, c’est selon. Ainsi, Hans-Günther Clev a cité la coopération entre Wissembourg en Alsace et Bad Bergzabern en Bade-Wurtemberg dans le cadre du programme Pamina. La piscine du côté allemand n’a pas pu être utilisée par les élèves alsaciens parce que le bus pour les y porter n’était plus assuré côté allemand, parce que la règle est en France que les enfants scolarisés nagent seuls dans la piscine alors qu’en Allemagne, il suffit de séparer les différents types d’utilisateurs par une bande à bouées, et enfin, il y a des différences dans les formations des maîtres-nageurs qui font qu’un enfant français ne peut être placé sous la surveillance d’un maître-nageur allemand.    

Charles-Henri d’Aragon : Ça bouge entre la France et le Luxembourg

Charles-Henri d’Aragon, qui est ambassadeur de France au Grand-Duché du Luxembourg depuis 2007, a parlé de "la France vue du Luxembourg". Pour l’ambassadeur, il y a une "volonté de bouger" dans les relations transfrontalières entre la France et le Luxembourg. La France a du mal à piloter les coopérations transfrontalières, car y interviennent l’Etat, la région, le département et les communes, ce qui a conduit à des retards du côté français Charles-Henri d'Aragondans le cadre de sa participation à la nouvelle évolution urbaine et économique à Esch-Belval. Qui parle, alors que pour le Luxembourg, les choses sont de ce côté plus simples ?

La visite du premier ministre François Fillon a débloqué les choses. Il y a été question "d’aménagement partagé" et le nouveau préfet régional a reçu une mission plus claire. Un nouvel instrument de gouvernance – un GECT – facilitera processus décisionnels et financements tout comme la prolongation de la Présidence de la Grande Région de un an et demi à deux ans.

Depuis que, en octobre 2009, le président Sarkozy, a déclaré le développement de la Lorraine "priorité nationale" et qu’il a qualifié la participation à Belval "d’opération d’intérêt national", les choses vont s’accélérer significativement du côté français, "dans un esprit de complémentarité et non de concurrence", a précisé Charles-Henri d’Aragon. Le passage du secrétaire d’Etat Pierre Lellouche à Luxembourg fin octobre 2009 et sa déclaration selon laquelle une cellule spéciale aménagée au Quai d’Orsay fera avancer les dossiers transfrontaliers français renforce cette dynamique.

Romain Diederich : Belval, désormais un projet phare entre la France et le Luxembourg

Romain Diederich, géographe, conseiller du Ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire du Grand-Duché de Luxembourg a évoqué, pour conclure sur le point de vue des acteurs institutionnels, "la stratégie luxembourgeoise au cœur de l’Union européenne".

Hans-Günther Clev et Romain DiederichLes études de l'ORATE prouvent selon le géographe que la situation du Luxembourg est très favorable en Europe, notamment en ce qui concerne son accès, même si entretemps son accessibilité par avion et par TGV cause des soucis. Il n’en reste pas moins que l’on peut qualifier Luxembourg de "plus petite grande ville du monde", un qualificatif qui exprime en même temps le problème de masse critique propre à Luxembourg.

Pour Romain Diederich, le flux transfrontalier doit sa dynamique au différentiel économique, mais en même temps, il est difficile à gérer. Les prix fonciers explosent de part et d’autre de la frontière. Les moyens de transports publics ne sont pas suffisants. La mise en œuvre de l’IVL et l’intégration des friches industrielles prend du temps. Le développement du territoire ne peut être envisagé qu’en coopération avec les voisins du Luxembourg en vue de la création d’une région métropolitaine polycentrique transfrontalière. Metroborder, le programme lancé par les ministres de l’Aménagement du Territoire de l’UE pourra proposer et indiquer des manières de procéder.

Un plan territorial pour les transports s’impose assez rapidement. Mais, remarque Romain Diederich, dans ce cas, les Etats doivent marcher. Or, la crise constitue une hypothèque sur les crédits. Mais du fait que les GECT ont été créés, la continuité de travaux déjà entamés pourra être garantie. Et puis, avec Belval, il y a maintenant un projet phare entre la France et le Luxembourg.          

Vincent Adelus : la coopération transfrontalière, vécue comme une injonction politique en 2007, est une évidence à Thionville

Vincent Adelus, directeur adjoint du Centre dramatique national de Thionville-Lorraine (CDNTL), a fait part de son expérience de la coopération transfrontalière. Pour lui, cette thématique, elle s’impose comme une évidence stimulante à qui vient d’ailleurs et perçoit la frontière toute proche comme une porte qui attire et que l’on a envie de franchir. Dans la grande compétition que tout le monde se livre, cet atout de la transfrontaliarité, le centre dramatique ne pouvait qu’en tirer parti en travaillant avec des partenaires européens.Séverine Zimmer et Vincent Adelus

Par ailleurs l’approche de l’année 2007 a été vécue comme une injonction politique : "Il fallait en être" et trouver un moyen de répondre malgré les différences de fonctionnement qui existent entre les modèles de fonctionnement des théâtres allemands, grandes structures fixes et dotées d’importantes ressources humaines, des centres dramatiques français, qui travaillent par projets, et des théâtres luxembourgeois, qui n’ont pas encore fait leur choix entre ces deux modèles.

Il a fallu trouver dans un premier temps des partenaires provenant de chaque entité de la Grande Région avec qui travailler était possible tant sur le plan de la structure que sur celui du projet artistique. Et ce tout en gardant à l’esprit l’idée de pérenniser les choses. Le Théâtre national de Luxembourg (TNL), le Saarländisches Staatstheater, le théâtre de Trèves et le Théâtre de la Place à Liège se sont donc associés au CDNTL et sont arrivés, après 3 ans de discussions, à organiser le festival Total Théâtre, une manifestation commune qui se nourrissait et interrogeait la question même de la quête d’identité de la Grande Région.

Ce projet, Vincent Adelus estime qu’il n’a pas été parfaitement accompli. Maintenant, plutôt que de pleurer en se disant que "c’est cher et compliqué" ou de continuer à vaquer à ses occupations comme si rien ne s’était passé, les partenaires ont pris le parti de chercher à comprendre pourquoi les choses ne sont pas allées de soi. Il a donc été décidé de mener une recherche dramaturgique sur ces différences artistiques, techniques, ou de relations aux publics.

Séverine Zimmer : pour le 3CL, la coopération transfrontalière est une question de survie professionnelle pour les artistes

Séverine Zimmer, directrice administrative du Centre de Création Chorégraphique luxembourgeois (3CL), a dans un premier temps rappelé les spécificités d’un contexte chorégraphique luxembourgeois très limité et donc nécessairement ouvert à l’international. Le 3CL avait donc conclu avant 2007 des partenariats qui, avant d’être transfrontaliers, ont été transnationaux. Il s’agissait de pouvoir faire venir des chorégraphes étrangers à des fins de formation continue dans le cadre du Fonds social européen (FSE), de participer à des coproductions ou encore à des programmes de soutien à la diffusion et d’échanges de résidence.

Séverine ZimmerEn 2007, le projet Dance Palace consistait à utiliser un bâtiment industriel pour ouvrir au public le processus de création chorégraphique au fil de résidences d’artistes de la Grande Région. En parallèle, l’ancien festival Cour des Capucins qui avait eu pour vocation d’amener au Luxembourg la création chorégraphique pendant 20 ans a inspiré la création d’un DanzFestival. En 2005, la première édition a rassemblé des créateurs luxembourgeois. En 2006, les artistes de la "petite" région transfrontalière ont été conviés à Luxembourg avant une édition consacré à la Grande Région en 2007.

Maintenant que 2007 est terminé, la question de la pérennisation des partenariats engagés se pose. Continuer Dance Palace s’avère difficile. Et, pour ce qui est du DanzFestival, la seule possibilité de poursuivre le projet a consisté à ouvrir le festival aux partenaires en le faisant voyager dans les villes partenaires. L’envie de mener des échanges plus complets en termes de résidence et de formation se fait par ailleurs sentir.

L’avenir de cette coopération, qui est pourtant, pour Séverine Zimmer, une question de survie professionnelle pour les artistes, est assombri par le fait que l’administration de ces projets devient de plus en plus lourde, tandis que persistent les éternels problèmes liés à la mobilité des artistes – tant en termes de sécurité sociale, d’assurance, de différences de statuts d’intermittents et d’indépendants. Son espoir, c’est donc que le cadre politique et institutionnel va s’améliorer pour rendre la coopération plus aisée.

Serge Basso De March : la transfrontaliarité, pain quotidien de la Kulturfabrik

Serge Basso De March, directeur de la Kulturfabrik, a tenu à donner des exemples d’une coopération particulièrement intense entre le centre culturel eschois et la Lorraine. Cette richesse des échanges, il l’explique par la proximité d’Esch/Alzette avec la Lorraine, par la profondeur du maillage culturel en Lorraine et tout simplement enfin par l’envie réciproque de travailler ensemble.

Ainsi, toutes disciplines confondues, ce sont plus de 50 artistes lorrains qui se sont produits à la Kulturfabrik au Michel Foucher et Serge Basso De Marchcours des deux dernières années. La Kufa a accueilli 2 résidences théâtrales et elle participe à un projet visant à promouvoir l’écriture dramatique contemporaine en faisant tourner dans la Grande Région des mises en voix de textes dramatiques. Parmi les projets qui sont en préparation, la Kulturfabrik entend accueillir, en partenariat avec des compagnies et des lieux de diffusion lorrains, un congrès mondial de clowns.

Le cinéma n’est pas en reste puisque la Kulturfabrik est une des salles officielles du festival de cinéma italien de Villerupt tandis qu’un mini festival est co-organisé avec la Scala de Thionville et a consacré sa dernière édition à la diffusion de films illustrant la richesse cinématographique finlandaise.

Avec une vingtaine d’institutions culturelles partenaires, la Kulturfabrik n’oublie pas non plus de soigner ses partenariats avec les médias d’outre frontière. Et même en termes d’emplois, la Kufa s’inscrit dans une logique transfrontalière : elle accueille régulièrement des stagiaires lorrains et 5 de ses employés sur 20 traversent eux aussi la frontière tous les jours pour venir travailler. Sur le plan administratif, la Kufa collabore avec le CDNTL pour faciliter la mobilité des artistes lorrains par exemple quand ils ont besoin de fiches de paie et de cachets. Quant au public, Serge Basso De March ne peut pas faire l’impasse sur le chiffre impressionnant d’un public qui est à 50 % transfrontalier.

Interrogés sur la plus-value que leur apportait la création de l’asbl Espace culturel Grande Région dans la continuité de Luxembourg 2007, les acteurs culturels présents ont fait part d’un enthousiasme prudent. Pour Serge Basso de March, cette structure ne peut être que bénéfique mais elle est en chantier et elle ne deviendra finalement que ce que les acteurs politiques et culturels voudront bien en faire. Vincent Adelus salue la création d’une structure ayant une fonction de coordination et de pérennisation, mais souligne qu’il s’agit avant tout de pérenniser les moyens de financement, sinon cela ne vaut pas la peine. Quant à Séverine Zimmer, qui a pu bénéficier du soutien et des encouragements de cette structure, elle estime qu’il faudra un temps nécessaire pour que les choses se mettent en place. Car il est à l’heure actuelle bien "paradoxal" à ses yeux qu’on ne donne pas les moyens financiers à ce qu’on a lancé en 2007.