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Politique régionale
Des frontières et des hommes (1) Les enjeux et les perspectives de la coopération transfrontalière en Europe du point de vue des politiques
11-11-2009


Thierry Jean, Frank Engel, Catherine Trautmann, Jean Quatremer, Uschi Macher et Jean-Marie HalsdorfLes 6 et 7 novembre 2009, l’Institut Pierre Werner (IPW) a convié au Théâtre en bois (CDNTL) de Thionville politiques, géographes et acteurs de terrain pour débattre, au cours de trois tables rondes, de la coopération transfrontalière en Europe. Le thème de la coopération territoriale transfrontalière a trouvé tout naturellement sa place dans la programmation de la première édition du festival Des Frontières et des Hommes organisé par la ville de Thionville. Celle-ci est en effet située au cœur de la Grande Région, et il était question de préfigurer par ces débats le laboratoire de conscience européenne qu’entend devenir la ville à l’avenir au fil des prochaines éditions de ce festival.

La première table ronde faisait la place aux politiques et elle était animée par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles du quotidien Libération et auteur du blog Coulisses de Bruxelles.

Pour cet observateur aguerri de la vie communautaire, la question de la coopération régionale, à laquelle il s’est longtemps peu intéressé, reflète les limites mêmes d’une intégration européenne qui est celle des Etats plutôt que celle des peuples. La raison de tout cela, le journaliste la voit dans l’absence d’un espace public européen. Et sans l’avènement d’une vie politique européenne, l’idée d’une coopération régionale intégrée restera pour lui un vain mot.

A ses yeux, l’idée proposée par les Verts de créer des circonscriptions électorales transrégionales pour les Jean Quatremer  et Uschi Machereuropéennes aurait, dans la Grande Région comme dans d’autres zones où la coopération transfrontalière est importante, tout son sens. Et le journaliste ne manque pas de regretter les résistances fortes à cette idée dans la mesure où la vie politique se joue essentiellement sur les scènes nationales.

Pour que la coopération régionale transfrontalière qui est pourtant une réalité, fonctionne, Jean Quatremer estime qu’il faut des institutions communes qui s’appuient sur un espace public commun. Cette double question des institutions et de leur légitimité démocratique n’a cessé de revenir au fil des débats.

Catherine Trautmann : l’enjeu est de passer de la coopération décentralisée à la codécision partagée

Catherine Trautmann, députée européenne socialiste, est revenue sur son expérience de la coopération transfrontalière. Maire de Strasbourg de 1989 à 2001, l’eurodéputée ne néglige pas dans son approche les différents aspects de la frontière, un "phénomène qui interroge", qui signifie tant l’interdit que le besoin de la passer et qui fait partie de notre identité européenne. Pour Strasbourg, la frontière a été à l’origine d’une prospérité nourrie par sa nature de ville de péage. C’est encore enfant que Catherine Trautmann a fait l’expérience de ce qu’elle appelle "la réversibilité du regard" en étant invitée à regarder depuis les deux rives du Rhin.

Catherine TrautmannLes difficultés rencontrées pour faire avancer le projet de TGV Est-européen, elles étaient dues au fait qu’il fallait passer la frontière, que c’était compliqué et donc jugé "peu rentable". Et le souvenir de cet argument continue de révolter l’eurodéputée qui rappelle le poids tant démographique qu’économique de la région du Rhin supérieur.

La coopération transfrontalière est pratiquée par une multitude d’acteurs, qui ont des modes d’actions et de décision très différents. Tout l’enjeu est  aux  yeux de Catherine Trautmann d’arriver à passer de la coopération décentralisée à la codécision partagée.

Nourrissant son discours de son expérience de la réflexion menée au début des années 90 en vue de créer une communauté urbaine transfrontalière Strasbourg-Kehl, l’eurodéputée a montré comment les pouvoirs locaux, ont pu, par le bas, influer par leur coopération sur les institutions, tout en se heurtant avec tout le système étatique. Un exemple de l’efficacité que peuvent avoir les responsables locaux, qui profitent de la petite échelle à laquelle ils travaillent, ce fut la rapidité avec laquelle ils ont su rédiger un traité qui a permis de redonner un statut juridique au port de Kehl, lequel dépendait encore du traité de Versailles. Ce qui a permis que siègent dans son conseil d’administration des représentants allemands et français.

La coopération via la mise en place de conseils municipaux communs, de groupes de pilotage, de projets urbains communs, est basée sur la volonté de coopérer des exécutifs et elle peut donc être remise en question à tout changement d’équipe municipale. Ce qui rend pour Catherine Trautmann la création d’institutions pérennes nécessaire, ainsi que l’établissement d’un calendrier politique commun et de modalités de décision communes. Si le dispositif institutionnel qui encadre la coopération entre les deux rives du Rhin est encore "léger", de nombreuses étapes ont cependant été franchies.

S’il est vrai que les citoyens n’ont pas été pris en compte au début d’un processus de coopération porté par les exécutifs, Catherine Trautmann estime que la mobilisation des citoyens qui aspirent à être associés à l’Eurodistrict est réelle. Tout autant que l’est le choix de nombre d’entre eux de vivre d’un côté ou de l’autre de la frontière, ou encore le nombre croissant de couples mixtes. A ses yeux, les citoyens doivent être impliqués dans cette codécision partagée à laquelle elle aspire et dont les modalités doivent encore être constituées.

Frank Engel : le petit et bienveillant Luxembourg a, en tant qu’Etat souverain, un rôle moteur pour la Grande Région

Frank Engel, eurodéputé luxembourgeois affilié au PPE, a rappelé, par un clin d’œil au Traité des Pyrénées, dont le 350e anniversaire devait être célébré le 7 novembre, les liens historiques forts unissant Thionville et le Luxembourg. L’occasion aussi de redire que le Luxembourg est tout compte fait le seul acteur de la Grande Région à n’avoir jamais annexé personne, se montrant d’ailleurs toujours plutôt "bienveillant".

Réagissant tout d’abord à une suggestion de Jean Quatremer qui, recherchant des idées d’institutions à mettre en Thierry Jean, Frank Engel et Catherine Trautmannplace pour la Grande Région avait évoqué, non sans provoquer quelques rires dans la salle, la création d’un poste de "préfet de la Grande Région", Frank Engel a souligné la tendance que nous avons tous à conserver des réflexes nationaux quand nous abordons la coopération transfrontalière.

Pour ce qui est du TGV Est européen, la complexité du projet était liée aux différences de standards de sécurité qui existent d’un pays à l’autre et qui dont dû être harmonisées. Cette question de l’interopérabilité, notamment entre TGV français et ICE allemand, qui se résout peu à peu, contribuera à faire avancer l’idée d’un train rapide reliant Strasbourg à Luxembourg et Bruxelles que le jeune eurodéputé appelle de ses vœux. Il est d’ailleurs bien conscient qu’un des obstacles à ce projet tient plutôt au fait que la Belgique craint que cet outil ne conforte les sièges du Parlement européen de Luxembourg et de Strasbourg que, pour sa part, il entend bien défendre.

Revenant à la Grande Région, Frank Engel a expliqué que l’une des difficultés de la coopération transfrontalière dans cet espace était liée au fait que le Luxembourg y est le seul Etat souverain. Il a donc de fait un rôle de métropole et de moteur institutionnel par rapport à d’autres régions frontalières qui sont situées à la périphérie de leurs Etats. Un rôle qu’il est paradoxal et difficile de tenir quand on considère que la population de la Grande Région est 22 fois celle du Grand-Duché.

Si la Sarre est une entité intégrée, ce n’est qu’une partie du Land de Rhénanie-Palatinat qui est impliquée dans les projets de coopération transfrontalière et les interlocuteurs de cette entité se trouvent donc au niveau des communes et des Kreise.

Côté français, même si Frank Engel a salué l’impulsion donnée tout récemment par le président Sarkozy à la Lorraine, "du jamais vu depuis des décennies", la Lorraine a des compétences limitées dans un Etat français centralisé. L’eurodéputé luxembourgeois salue aussi la volonté du président français de vouloir "enfin limiter la prolifération des subdivisions territoriales" d’une France dont les 36 000 communes représentent à elles seules plus de la moitié des communes de l’UE. Pour Frank Engel, une fusion des compétences départementales et régionales permettrait d’avoir un interlocuteur institutionnel unique doté qui plus est d’un plus grand pouvoir d’action. Car à l’heure actuelle il faut faire avec une "double dualité", celle de la région et des départements, mais aussi celle de  chacun de ces deux niveaux de collectivités et de l’Etat, au sein desquelles il est représenté par les préfets. 

Jean-Marie Halsdorf : plaidoyer pour une avancée "step by step" visant à faire de la Grande Région une région modèle

Jean-Marie Halsdorf, ministre luxembourgeois de l’Intérieur et à la Grande Région - tout nouveau portefeuille dont la création est pour lui "un geste politique qui montre qu’il faut croire dans la Grande Région" - , a pour mot d’ordre une avancée pragmatique, pas à pas. L’objectif, c’est de se donner les moyens de constituer un cadre de coopération. Comme l’a rappelé le ministre, la Grande Région s’est faite en 1995 et elle est à ses yeux "une adolescente qui se porte déjà très bien".

Uschi Macher et Jean-Marie HalsdorfPour le ministre Halsdorf, les citoyens sont impliqués dans un Sommet de la Grande Région qui permet aux entités membres de se rencontrer à différents niveaux et de réfléchir au sein de 17 groupes de travail à des sujets qui concernent directement les citoyens. Et, au fur et à mesure que le principe de "responsabilité partagée" va s’affirmer grâce à la mise en œuvre de nouveaux outils, il va de soi pour le ministre à la Grande Région que la légitimité démocratique ira croissante.

L’expérience acquise a permis de faire du principe de base de la coopération transfrontalière, à savoir un échange "win-win" dans lequel chacun a quelque chose à gagner, une évidence. En témoigne l’exemple du TGV. Le ministre juge en effet normal que le Luxembourg ait payé en partie ce que les Français ont construit. Et ce principe de base, il s’applique à tous les niveaux de relations pratiquées au sein de la Grande Région, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales.

Pendant la Présidence luxembourgeoise du Sommet de la Grande Région, qui a duré 18 mois et s’est achevée en juillet 2009, le Grand-Duché a choisi une démarche basée sur la concertation et sur la décision. Il s’est agi de susciter l’intérêt des citoyens et de favoriser la naissance d’un sentiment d’identité, d’appartenance à la Grande Région grâce à la Maison de la Grande Région ou encore aux efforts faits pour pérenniser la coopération culturelle amorcée en 2007. Mais le Luxembourg s’est aussi attaché à engager une démarche structurelle en matière d’administration territoriale. L’idée d’une région métropolitaine polycentrique transfrontalière (RMPT), basée sur les réseaux de villes existant, fait ainsi l’objet d’un programme de recherche appliquée conduit par l’Observatoire en Réseau de l’Aménagement du Territoire Européen (ORATE) et cofinancé dans le cadre du programme Interreg. Intitulé Metroborder, ce projet permettra d’identifier les forces et les faiblesses de cette Grande Région qui entend devenir, selon les mots du ministre luxembourgeois, une "région modèle pour l’Europe de demain, c’est-à-dire celle des régions". Le principe étant de trouver un équilibre entre "bottom up" et "top down".

La Grande Région n’a pas encore assez d’outils pour Jean-Marie Halsdorf et il s’est donc félicité de la création toute récente du statut de Groupement européen de Coopération Territoriale (GECT) qu’il considère comme un instrument de choix, à la fois adéquat et performant. La Grande Région va donc se doter de trois GECT.  Le premier visera à assumer le secrétariat du Sommet de la Grande Région afin d’en assurer la continuité, le deuxième aura pour mission de gérer de façon cohérente le portefeuille de 106 millions d’euros attribués dans le cadre du programme Interreg, et le troisième, qui concernera Belval, permettra d’organiser l’espace entre les parties française et luxembourgeoise de la zone.

Le rôle des communes étant essentiel, Jean-Marie Halsdorf a aussi souligné la nécessité d’avoir des communes performantes, ce qui fait l’objet de la future réforme des communes au Luxembourg. Par ailleurs, le ministre a insisté sur le besoin de s’inspirer de bonnes pratiques existantes, ce qu’il fait en s’appuyant sur le modèle du Haut-Rhin pour réformer l’administration des services de secours.

Le Luxembourg, du fait qu’il est un Etat souverain, va pouvoir "mieux cadrer" cette Grande Région selon le ministre, qui voit dans la réciprocité des intérêts et des besoins la raison d’être de la coopération territoriale transfrontalière.

Uschi Macher : la Grande Région, un modèle que beaucoup ne demandent qu’à copier

Uschi Macher, qui est responsable des relations internationales au Ministère de la Culture de la Sarre, a fait le récit de son expérience de la coopération culturelle transfrontalière. Un domaine dans lequel il est à ses yeux plus aisé de coopérer car les acteurs culturels sont bien souvent plus habitués à la confrontation.

La Grande Région, c’est, aux yeux de la responsable sarroise, un espace de coopération qui est jeune mais qui fait Uschi Machermontre aussi d’une grande capacité à surmonter les difficultés, d’une certaine pratique d’avancées nécessairement sinueuses du fait des obstacles à contourner. Et c’est aussi un espace dont l’évocation convoque bien souvent l’idée de richesse. D’ailleurs, elle a eu plusieurs fois l’occasion de constater, lors de réunions rassemblant des représentants de régions européennes à Bruxelles, que tout le monde demandait à copier ce modèle qui avec ses 4 nationalités, ses 3 langues, ses 2 mentalités différentes, était bien la preuve que, même dans la difficulté, beaucoup de choses sont possibles.

Seule ombre au tableau que dépeint Uschi Macher, le fait que la conscience d’habiter un espace formidable, d’une grande richesse culturelle - et ce du fait même que la confrontation à l’autre y est possible - , fasse encore bien souvent défaut.

La coopération culturelle en Grande Région s’appuie depuis des années sur le groupe de travail qui est consacré à la culture. Puis, le projet de faire de 2007 l’année européenne de la culture au Luxembourg et dans la Grande Région s’est profilé. Uschi Macher ne cache pas les premiers sentiments de peur qui ont agité les responsables culturels ; ils craignaient en effet que les projets transfrontaliers ne soient bien rares. En fin de compte, 152 projets transfrontaliers ont marqué une année qui a suscité l’intérêt de la population, qui a enclenché "un grand mouvement". Surtout au Luxembourg et en Sarre.

De cette expérience, est née une structure, l’asbl Espace culturel Grande Région, et Uschi Macher insiste sur l’importance de sa mission de mise en réseau des acteurs culturels. Un conseil des ministres de la culture se réunit désormais chaque année pour voir comment avancer en matière de coopération culturelle dans la Grande Région. Des coordinations régionales, héritières des structures mises en place pour 2007, sont actives dans chacune des entités de la Grande Région. L’asbl dispose d’un financement dans le cadre du programme Interreg qui lui permet d’ores et déjà de fonctionner, de communiquer et d’organiser des tables rondes. Un portail culturel transfrontalier, www.plurio.org, propose un agenda culturel de la Grande Région ainsi qu’un annuaire des institutions culturelles. Une première en Europe comme n’a pas manqué de le souligner Uschi Macher.

Thierry Jean : Des limites de la bonne volonté et de la nécessité d’une réflexion démocratique

Thierry Jean, adjoint au Maire de Metz, estime pour sa part que, en matière de coopération transfrontalière, de nombreuses institutions existent qui, à ses yeux, ne servent à rien. Pour lui, les citoyens sont souvent en avance sur les institutions et ce qui se passe est le fait soit de bonnes volontés, soit de contraintes.

Thierry Jean et Fank EngelEn bref, pour répondre à la question de Jean Quatremer, Thierry Jean, estime, et l’expérience le prouve, que la pratique de la coopération transfrontalière est possible sans institutions, mais que ce système a ses limites. Il faut donc plutôt se demander s’il est souhaitable. Et la réponse de l’élu messin est sans appel : ce système n’est pas souhaitable. Car sans réflexion citoyenne, démocratique, le problème d’Esch-Belval ne devrait selon Thierry Jean, qui est loin de partager l’enthousiasme de Frank Engel pour les déclarations du président Sarkozy à ce sujet, être résolu.

Comment imaginer par exemple qu’une entreprise ait l’idée de s’installer du côté français de la frontière au vu des différents coûts de la main d’œuvre ou de fiscalité entre les deux voisins ? Voilà qui repose non pas sur la bonne volonté, mais bien sur des règles démocratiques. Quelle est notre capacité à changer ces règles ? C’est bien ce qui, selon l’adjoint au Maire de Metz, déterminera notre capacité à coopérer.

De la fonction de président du Conseil européen et de la prééminence de l’intergouvernemental

La question de la prochaine "élection du président de l’UE " et de la candidature de Jean-Claude Juncker à ce poste a été soulevée dans la salle. Pour la personne qui a abordé le sujet, la Grande Région a intérêt à se sensibiliser pour que l’un des siens puisse occuper cette fonction. Comme l’a expliqué Jean Quatremer, le "chœur des électeurs" du futur président du Conseil européen est constitué par les chefs d’Etats et de gouvernement de l’UE. L’opinion publique n’est pas convoquée, ce qui explique, pour le journaliste français, que cette dernière ne s’intéresse pas à l’Europe.

Pour Frank Engel, le Luxembourg est tout aussi périphérique pour l’Europe que le sont la Lorraine pour Paris ou la Sarre pour Berlin. Ses représentants sont bien "petits" face à des "grands" qui se sentent très grands. Pour le jeune eurodéputé luxembourgeois, il serait plus sensé que le Haut représentant aux Affaires étrangères provienne d’un grand Etat membre, mais cela ne devrait pas être le cas du président du Conseil européen qui doit avoir un rôle de médiateur. Frank Engel craint qu’en se mettant d’accord sur une personne certes très intelligente, très respectable, mais qui n’a rien d’un poids lourd européen, on ne commette une erreur. En bref, il a l’impression que le choix risque de s’arrêter sur quelqu’un qui ne gêne pas.

Frank Engel a rappelé qu’il a toujours été contre l’introduction de cette fonction et aurait préféré que le Conseil européen soit présidé par le président de la Commission européenne. Il souhaiterait un président du Conseil européen fort. Car le risque encouru est de se retrouver avec une sorte de "préfet de l’Europe soumis à l’autorité qui l’a désigné". Or il conviendrait à ses yeux de contrecarrer le mouvement qui se dessine vers une méthode où prime l’intergouvernemental.

Jean-Marie Halsdorf estime pour sa part que Jean-Claude Juncker serait une "aubaine pour l’Europe" du fait de son expérience et de son esprit européen. Mais, en raison de son exceptionnelle longévité politique, il vient en quelque sorte "d’une époque révolue".

Pour Jean Quatremer, les chances de Jean-Claude Juncker sont à "environ – 50" aujourd’hui. Quant au belge Van Rompuy, le journaliste estime qu’il faut parfois faire fi de l’habituel mépris qu’on témoigne aux technocrates. Il n’a pas manqué de rappeler les circonstances de la nomination de Jacques Delors à la Commission européenne. Thierry Jean estime que le système donne aujourd’hui la prééminence à l’intergouvernemental, ce qui interdit tout nouveau "Delors" à l’avenir.

Catherine Trautmann déplore une renationalisation, une fragmentation en cours au sein de l’UE et elle craint une commission faible. Cet amer constat renforce à ses yeux la responsabilité des collectivités territoriales et la nécessité d’une cohésion territoriale qui se fasse à la base. Car c’est à cette échelle que peut se faire l’Europe des citoyens.

De la langue du voisin, des langues régionales et de la prééminence du globish

La question de la nécessité de favoriser l’apprentissage de la langue des voisins a ensuite été soulevée. Jean-Marie Halsdorf a évoqué le lycée de Perl, précisant que des initiatives similaires devraient suivre en Lorraine. Uschi Macher a expliqué l’existence d’écoles biculturelles en Sarre où le français était par ailleurs enseigné dès la maternelle. Elle a aussi insisté sur le rôle joué par la culture qui a pour ambition de donner envie d’apprendre la langue du voisin et de ne pas se fermer sur l’anglais. La responsable sarroise estime par ailleurs qu’il faut prendre au sérieux les langues régionales qui, autrefois, permettaient de se comprendre, mais qui sont en train de disparaître, en Sarre tout au moins.

Jean Quatremer a précisé que la domination du français dans les institutions européennes était désormais terminée et que 90 % des textes étaient aujourd’hui rédigés dans un anglais qui a un rôle de nouvelle lingua franca. La situation a basculé avec l’arrivée des pays nordiques qui ne parlaient pas un mot de français, et elle est entretenue désormais par les Français eux-mêmes qui ont pris le réflexe de s’adresser par exemple aux représentants des nouveaux Etats membres directement en anglais.

Pour Frank Engel, cette situation répond à la nécessité de se mettre d’accord sur une langue de communication commune. Pourtant, il regrette que l’anglais pratiqué, un globish qui suffirait "à peu près à faire connaissance dans le bus", soit la langue dans laquelle on négocie le droit européen. Il appelle donc à l’apprentissage d’un bon anglais, qui ne doit exclure en rien l’apprentissage de la langue du voisin.

Le principe de la cohésion territoriale

Michel Foucher, géographe et président du comité scientifique du festival, a tenu à rappeler enfin que le principe de cohésion territoriale est désormais inscrit dans le traité de Lisbonne. Pour Catherine Trautmann, il s’agit là d’un enjeu majeur du traité. Prenant l’image de la "fermeture éclair" qui s’est peu à peu refermée le long du Rhin grâce à un tricotage effectué par les collectivités territoriales, l’eurodéputée socialiste a déclaré qu’il fallait repenser la cohésion à partir des régions frontières, qui constituent les maillons d’un réseau sur la base duquel il sera possible de "refaire la fermeture éclair à grande échelle".