Le 3 décembre 2009, le CLAE a accueilli à Luxembourg une table ronde sur "l’accès à l’emploi des immigrés" qui s’est tenue, tout au long de la journée, dans la salle des fêtes du Home Saint Jean.
Cette table-ronde s’inscrit dans le cadre du projet A Citoyenneté Égale, qui est coordonné par le CLAE et qui bénéficie d’un cofinancement dans le cadre du Fonds européen d’Intégration (FEI).
Il s’agit de la première d’une série de trois tables rondes visant à échanger les bonnes pratiques menées dans la Grande Région en matière d’insertion socioprofessionnelle des ressortissants des pays tiers. Deux autres suivront dans les prochaines semaines. Le 14 janvier 2010, la Bürgerhaus Trier-Nord accueillera à Trèves une table ronde sur la lutte contre les discriminations. Le 11 février 2010, c’est à Metz, au Conseil régional de Lorraine, que se tiendra la troisième table ronde sur le thème "équité sociale et culturelle".
Le 3 décembre 2009, après une introduction du ministre Nicolas Schmit, qui a salué cette initiative transfrontalière comme "un bon signal européen", des acteurs de l’intégration socioprofessionnelle venus de Sarre, de Wallonie et de Lorraine ont dressé un bilan de la situation et présenté les actions qu’ils mènent.
Andrea Adam et Wilfried Hose ont ainsi présenté un modèle pour l’intégration professionnelle des immigrés qui consiste à valoriser les compétences et qui est développé dans le cadre d’un projet coordonné par l’ARGE de Sarrebruck.
Yamina Meziani a pour sa part témoigné de l’expérience menée par le CRIPEL dans l’arrondissement de Liège ; il s’agit de mettre en réseau, dans le cadre d’un projet financé par le FSE, les différents acteurs de l’insertion professionnelle afin de les sensibiliser aux spécificités des publics migrants.
Michaela Dälken a pour sa part parlé de la démarche choisie par la confédération syndicale allemande DGB en matière de reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger.
Enfin, Julienne Angelini a présenté un concept promu par l’ALAJI qui consiste à mettre en place des formations diplômantes basées tant sur un apprentissage linguistique que technique. L’objectif : former des jeunes issus de l’immigration en décrochage scolaire aux métiers de l’environnement en les immergeant au plus vite dans les entreprises partenaires.
Nicolas Schmit, le ministre luxembourgeois du Travail, de l'Emploi et de l'Immigration, est venu saluer cette initiative de coopération transfrontalière qui touche à ses deux portefeuilles ministériels. A un moment où il est question du Programme de Stockholm, qui comporte aussi un volet immigration, cela apparaît aux yeux du ministre comme un "bon signal européen". La dimension transfrontalière du projet prend par ailleurs tout son sens dans un territoire, la Grande Région, qui est profondément marqué, influencé par l’histoire des différents flux migratoires qui ont accompagné son développement économique.
Si le projet A Citoyenneté Égale concerne avant tout les ressortissants de pays tiers, le ministre a tenu à souligner que, bien que, du fait du principe de libre circulation des personnes au sein de l’UE, les ressortissants des pays de l’UE bénéficiaient d’avantages substantiels par rapport aux autres, ils n’en restaient pas moins, eux aussi, des migrants. Et bien souvent, malgré une égalité de principe, ils ne se battent pas à armes égales sur le marché du travail. Or au Luxembourg, la grande majorité des migrants provient de l’UE et ils sont eux aussi frappés par le chômage.
La crise économique est en effet en train de devenir une crise de l’emploi, et ce aussi au Luxembourg, comme ne manque pas de le regretter le ministre. Or les plus vulnérables y sont les immigrés, qu’ils proviennent de l’UE ou des pays tiers. Ainsi par exemple, un tiers des chômeurs sont des ressortissants portugais alors qu’ils représentent environ 16 % de population. De même, parmi les immigrés non communautaires le ministre a-t-il donné l’exemple de ceux étant venus de l’ex-Yougoslavie, qui connaissent eux aussi un fort taux de chômage.
Et si l’on doit chercher une explication à ces forts taux de chômage, elle provient selon l’analyse du ministre du faible degré de formation ou de qualification. De ce fait, les immigrés occupent souvent des emplois peu qualifiés et, quand ils travaillent dans des secteurs frappés par la crise, ils sont souvent les premiers licenciés. Et ce d’autant plus qu’ils avancent en âge, surtout dans des secteurs comme la construction où les maladies professionnelles ne sont pas rares.
Pourquoi n’arrive-t-on pas à les qualifier mieux pour améliorer leur employabilité et leur mobilité professionnelle ? Le ministre a souligné la difficulté que constitue la barrière de la langue qui rend difficile toute possibilité de se former davantage. Un problème auquel tente de répondre l’Institut de Formation sectoriel du Bâtiment (IFSB) qui est sur le point d’ouvrir ses formations aux langues utilisées dans le secteur de la construction, notamment le portugais. Le principe est qu’en étant plus formé, on est plus employable et plus assuré de conserver son emploi en cas de crise ou d’évolution technologique.
Pour résoudre cette équation de l’absence de formation et de la barrière linguistique qui constitue une barrière à l’accès à l’emploi pour les personnes immigrées, et le ministre a insisté sur le fait que cela valait pour tous, il faut miser sur les cours de langue et permettre aux personnes concernées d’apprendre un français opérationnel qui leur permettra d’accéder à d’autres offres de formation continue. Par ailleurs, toujours selon le ministre, il faut diversifier l’offre de formation continue qui est bien souvent en allemand ou en luxembourgeois.
Pour Nicolas Schmit, il est nécessaire d’investir dans la cohésion sociale de nos propres sociétés car nos pays ont besoin d’immigration. Et cet investissement, il faut le faire à ses yeux en pensant d’ores et déjà aux générations qui suivent, car ce qui s’hérite le plus facilement, ce sont la pauvreté et l’exclusion sociale. Ainsi, les enfants de primo-arrivants, qui arrivent souvent tard dans un système scolaire luxembourgeois dans lequel il est quasiment impossible de s’intégrer, se retrouvent-ils fragilisés, sans formation professionnelle, dès leur entrée sur le marché du travail.
Nicolas Schmit appelle donc à encourager le regroupement familial le plus tôt possible afin que les enfants ne soient pas victimes de l’immigration. Ainsi que l’a expliqué le ministre, l’intégration est en effet un chemin long et pénible qui traverse parfois plusieurs générations. Et il aimerait donc pouvoir accélérer ce processus car on ne peut plus, à ses yeux, se permettre de compter sur le facteur temps et sur des générations sacrifiées dans des sociétés toujours plus complexes et toujours plus exigeantes.
Pour Nicolas Schmit il faut donc agir et investir en amont dans l’accessibilité à l’emploi, dans l’égalité des chances, dans le développement de l’éducation et de la formation, et ce tout en différenciant mais aussi en prenant en charge les choses de façon globale. Le ministre a annoncé que de grandes initiatives seraient lancées en 2010 en matière de formation. De plus, ainsi qu’a tenu à le rappeler Nicolas Schmit, la loi sur l’asile prévoit l’accès à la formation des demandeurs d’asile qui peuvent ainsi, le temps de leur séjour, suivre une formation professionnelle ainsi que des cours de langue.
Pour conclure, le ministre, a souligné que tous les pays de la Grande Région, et ce au-delà de frontières qui n’existent certes plus pour les citoyens européens mais qui existent encore pour les ressortissants de pays tiers, sont confrontés à ces mêmes questions. Pour y répondre il s’agit de construire dans la Grande Région un modèle axé tant sur la connaissance que sur la cohésion sociale. Et le projet A Citoyenneté Égale s’inscrit à ses yeux bien dans cette dynamique qui vise à construire une vraie solidarité transfrontalière.
Andrea Adam, qui s’occupe de la Saarbrücker Initiative Migration und Arbeitswelt (SIMA), a présenté les activités de ce réseau d’acteurs de l’intégration professionnelle et sociale qui s’inscrit dans le cadre d’une initiative fédérale qui a pour nom "Integration durch Qualifizierung" (L’intégration par la qualification). La SIMA joue dans ce contexte le rôle d’interface entre l’Etat fédéral allemand et les acteurs de terrain sarrois.
Cette initiative est née de plusieurs constats. D’une part migrantes et migrants sont deux fois plus touchés par le chômage que les Allemands, tandis que la reconnaissance de qualifications acquises à l’étranger est très difficile. Ainsi les ressources offertes par les migrants ne sont-elles pas suffisamment utilisées sur le marché du travail. Ce à quoi s’ajoute un accès insuffisant des migrants à l’information, aux organismes de conseil et de médiation, ainsi qu’à la qualification.
Dans son champ d’activités, qui recoupe acteurs de la migration et du monde du travail, Andrea Adam relève ainsi un manque de transparence, des difficultés d’accès et de transitions, de passerelles, et des échanges de bonnes pratiques qui ne sont pas systématiques. Ce qui fait que les différents acteurs ont encore des difficultés à traiter les cas ensemble.
Aussi, le principe de l’initiative SIMA est-il de mettre en place des réseaux de compétences locaux afin que ces derniers mènent des échanges techniques, apprennent à se connaître et à apprendre ensemble afin d’améliorer la situation des migrants dans le parcours qui les mène à l’intégration sur le marché du travail. Communes, bureaux d’aide sociale, services à destination des migrants, associations de migrants, Agence pour l’emploi de Sarrebruck (ARGE), service fédéral pour la migration et les réfugiés et organismes de formation continue sont donc concernés. Et pour que ces réseaux de compétences puissent fonctionner, Andrea Adam insiste bien sur la nécessité d’une idée transversale et d’un besoin commun concret.
L’initiative sarroise soutient ainsi le transfert de méthodes éprouvées ailleurs et mène également des analyses des problématiques afin de tenter de trouver des solutions. Elle organise des manifestations à destination des différents acteurs, dans le cadre d’un Forum qui a une mission de formation continue mais aussi de plateforme d’échanges de bonnes pratiques.
La SIMA a aussi pris à bras le corps le problème de reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger, qui est particulièrement aigu en Allemagne dans la mesure où les compétences et les règles varient d’un Land à l’autre, d’un secteur à l’autre, mais aussi en fonction du pays d’origine. En invitant à une première rencontre les différentes personnes responsables à un échange, elle a ainsi impulsé la création d’un service commun quelques mois plus tard.
Un des projets menés dans ce cadre consiste par exemple à accompagner les mesures d’intégration sur le marché du travail par des mesures d’intégration sociale. Ainsi, des migrants au chômage intègrent des associations, des organisations de migrants ou des services publics et y travaillent en équipe. Leur rôle ? "Construire des ponts" entre les différentes structures sociales et culturelles. Tout en s’intégrant à la fois professionnellement et socialement.
Wilfried Hose travaille lui à l’ARGE de Sarrebruck qui coordonne la SIMA. Et l’approche développée par son département Migrants, qui est le seul de ce type en Allemagne, consiste à valoriser les compétences et expériences des migrants. On parle en effet toujours de "déficit à combler", explique Wilfried Hose qui estime pour sa part qu’il faut au contraire reconnaître les talents, les qualités, les compétences des migrants. Et un de ses chevaux de bataille, c’est l’idée de la mise en place d’un droit à une évaluation de ses qualifications professionnelles, comme cela existe dans le droit danois.
Au quotidien, les migrants qui sont inscrits auprès de l’ARGE et qui sont identifiés comme tels sont invités à une consultation spéciale qui est proposée par ce service Migrants. Le processus d’accompagnement passe ensuite dans un premier temps par une évaluation du niveau de connaissances linguistiques. Puis, en fonction de ce niveau, il leur est proposé de participer à des cours de langues. Vient ensuite le temps de la "planification professionnelle" qui consiste à offrir à chaque migrant, selon son profil, une évaluation de ses possibilités d’emploi et un parcours de qualification individuel. Celui-ci peut consister en une formation qui peut durer jusqu’à trois ans et qui peut être complétée par des cours de langue ciblés en fonction du futur secteur d’activités.
Pour Wilfried Hose, l’intégration par l’emploi est une question de dignité pour nombre de migrants, et c’est qui plus est, dans un contexte de vieillissement démographique, une "nécessité sociale". Car il convient selon lui de profiter de ce grand potentiel de personnes prêtes à travailler pour remplacer ceux qui sont de plus en plus nombreux à prendre leur retraite.
Les actions menées par le service de Wilfried Hose, pour lesquelles il dispose d’un budget d’environ 400 000 euros par an, font l’objet d’une évaluation mensuelle qui se base sur des indicateurs comme le nombre de personnes inscrites dans une qualification, la durée de la mesure, mais aussi les résultats en termes d’emploi après la mesure, et 6 mois après. Et apparemment, le système marche très bien pour les migrants.
Yamina Meziani est coordinatrice auprès du Centre régional pour l’intégration de l’arrondissement de Liège (CRIPEL). Cet organisme, qui compte parmi les 7 Centres régionaux pour l'Intégration de la Région wallonne, a pour mission de faciliter l’intégration et s’occupe tant des primo-arrivants que des personnes issues de l’immigration, dont certaines ont d’ailleurs acquis la nationalité belge.
L’insertion socioprofessionnelle, Yamina Meziani la considère comme "la voie royale" de l’intégration dans la mesure où, en travaillant, le migrant a non seulement un salaire mais gagne aussi un statut socioprofessionnel, une place dans la société. Et c’est sans compter que cela lui facilite l’accès au logement, lui permet de fonder une famille ou encore l’encourage à la participation citoyenne. C’est pourquoi le CRIPEL a fait le choix de s’engager dans l’accompagnement des migrants sur cette voie.
Au fil du temps, le CRIPEL a pu identifier, par un travail transversal, les obstacles rencontrés dans l’insertion professionnelle. Première difficulté recensée, celle de l’accès au travail et à la formation qui, en Belgique, sont conditionnés. Les règles d’accès au marché du travail diffèrent selon le pays d’origine, selon le statut administratif, ou encore le niveau d’études. Et il en va de même pour l’accès à la formation puisqu’il faut être inscrit comme demandeur d’emploi pour pouvoir en bénéficier. Il faut être aguerri pour s’y retrouver, et il faut effectuer une veille juridique constante pour pouvoir suivre les évolutions complexes en la matière.
Le problème de l’équivalence des diplômes revient de façon récurrente. La reconnaissance des diplômes relève de la compétence de la Communauté française et il est fréquent que les diplômes étrangers ne soient pas reconnus, ce qui a pour conséquence que bien souvent les compétences des migrants ne sont pas du tout reconnues elles non plus. Ce qui peut être très déstabilisant, notamment pour les primo-arrivants. Car il n’est pas aisé, surtout si l’on ne s’y attendait pas, de se lancer dans une démarche de reconversion, de renoncer à sa vie professionnelle passée. Du coup, il arrive même à Yamina Meziani d’orienter les migrants vers la Communauté flamande qui, en matière de reconnaissance de diplômes, offre un service gratuit, et se montre plus souple.
Autre combat, la langue. Yamina Meziani regrette qu’on trouve sous le vocable "alphabétisation" tout ce qui relève de l’apprentissage de la langue. Car on peut bien être universitaire et ne pas maîtriser la langue. Par ailleurs, les exigences des employeurs sont énormes d’après la coordinatrice belge, et ce quel que soit le poste sollicité. Elle lance donc un appel à la mesure et invite les employeurs à mieux diagnostiquer le niveau de langue requis en fonction des postes.
Les niveaux de formation des migrants ne sont, bien souvent, pas adaptés au marché du travail belge et Yamina Meziani relève par ailleurs que la différence de culture sur le marché du travail peut aussi être un obstacle important. Les comportements attendus ne sont pas nécessairement les mêmes, l’habitude de rédiger lettres de motivations ou CV, qui sont nécessaires en Belgique même pour faire le ménage, ne va pas de soi partout dans le monde.
La coordinatrice souligne la discrimination dans l’embauche et dans l’emploi mais elle n’oublie pas non plus de préciser que l’hétérogénéité des publics ne facilite pas le travail dans la mesure où chaque sous-groupe, - jeunes, femmes, primo-arrivants, personnes peu ou pas qualifiées, ou au contraire hautement qualifiées, étudiants, citoyens européens,…- a ses difficultés spécifiques.
Pour répondre à chacun de ces obstacles, le CRIPEL met en place des actions ciblées, comme la mise en place d’un réseau Français Langue étrangère, la création d’un répertoire de formations, un accompagnement individuel, ou encore le job-coaching qui a pour objectif de lutter contre les discriminations.
Par ailleurs, le CRIPEL a lancé un projet cofinancé dans le cadre du Fonds social européen (FSE) qui, sous le titre "Dispositif spécifique d'insertion socioprofessionnelle des migrants à Liège" (DISISMI), a pour objectif de sensibiliser les acteurs généralistes aux difficultés spécifiques rencontrées par ces types de publics. Le CRIPEL travaille donc avec tous les organismes incontournables de l’insertion socioprofessionnelle : agence pour l’emploi, centres d’action sociale, mission pour l’emploi, ou encore l’association Lire & écrire.
Ce dispositif d’insertion professionnelle entend offrir aux Liégeois de nationalité ou d’origine étrangère un ensemble de services spécifiques dans le cadre d’un accompagnement individuel et/ou collectif structuré au sein d’un réseau cohérent de partenaires complémentaires. Le personnel de première ligne de chacun des partenaires, qui est donc en contact avec le public, est impliqué. Au-delà de ce travail de sensibilisation des acteurs de l’insertion socioprofessionnelle aux problématiques propres aux migrants, il s’agit aussi de créer des outils communs, comme un carnet DISISMI donné à l’usager qui permet de suivre ses démarches auprès des différents partenaires.
Michaela Dälken a pour sa part abordé les problématiques liées à la reconnaissance des qualifications en Allemagne. Chargée des relations publiques pour le service Migration et Qualification de l’Institut de Formation fédéral de la fédération de syndicats DGB, qui regroupe les plus grands syndicats allemands de différentes branches, Michaela Dälken a dressé dans un premier temps un état des lieux de la situation en Allemagne.
En Allemagne, l’immigration est très différenciée en fonction des différentes vagues d’immigration qui se sont succédées depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale : réfugiés et déplacés tout d’abord, puis, de 1955 à 1973, travailleurs venant de différents pays et ayant été engagés dans des métiers non qualifiés – ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils n’avaient aucune qualification – et ensuite, dans les années 90, Allemands "ethniques" rapatriés ou encore demandeurs d’asile. Aujourd’hui, si l’immigration est quasiment nulle en Allemagne, les personnes issues de l’immigration représentent environ 20 % de la population.
La répartition de ces populations est très inégale sur le territoire allemand, les Länder de l’ex-RDA accueillant un taux de personnes issues de l’immigration nettement plus bas que ceux de l’Ouest. Quant à leur situation dans le système de formation, elle est bien plus mauvaise que pour la moyenne allemande. En effet, beaucoup ont à peine un niveau de fin d’études. Les personnes issues de l’immigration occupent par ailleurs la plupart du temps des postes non ou peu qualifiés, ainsi 70 % des chômeurs étrangers sont-ils considérés comme "non qualifiés". L’écart entre Allemands et étrangers est immense en matière de participation à la formation, et ce dès les jeunes années.
Cette situation, Michaela Dälken l’explique par le fait que les succès scolaires sont liés à la situation sociale. Or, en Allemagne, on décide très tôt du parcours scolaire qui va déterminer les chances de réussite professionnelle. Et les migrants ne sont pas toujours les mieux informés au sujet de ce double système scolaire. Par ailleurs, Michaela Dälken souligne aussi qu’en Allemagne, on accorde une grande importance à des qualifications qui peuvent être prouvées par des diplômes, des certificats ou des attestations. Et les qualifications acquises à l’étranger ne sont bien souvent reconnues qu’en partie, voire pas du tout.
Pour ce qui est de la situation sur le marché du travail, Michaela Dälken a souligné le besoin d’une part en immigration qualifiée et d’autre part en capacité de mieux utiliser les potentiels de qualification internes. En effet l’évolution démographique et les changements structurels en cours laissent prévoir prochainement un manque en main d’œuvre.
La reconnaissance formelle des qualifications dépend en Allemagne du lieu de résidence, du métier, ou encore de l’appartenance à un groupe de migrants, comme, par exemple les Allemands ethniques rapatriés qui sont les seuls à pouvoir faire valoir leur droit à faire évaluer leurs qualifications. Et pour Michaela Dälken, qui a expliqué qu’il existait en Allemagne près de 500 institutions ayant des compétences en matière de reconnaissance des qualifications, il s’agit là d’une véritable "jungle" dans laquelle il est difficile de se retrouver.
Quant à la reconnaissance professionnelle, qui dépend du bon vouloir des employeurs, Michaela Dälken, a expliqué que ces derniers n’étaient que rarement prêts à payer le prix pour des personnes titulaires de diplômes étrangers.
Les problèmes identifiés sont nombreux. D’une part, il n’existe pas de droit à une procédure de reconnaissance des qualifications, et les ressortissants des pays tiers, même quand ils ont fait leurs études dans un autre pays de l’UE, sont ici particulièrement désavantagés. Michaela Dälken souligne aussi un déficit d’information qui va de pair avec un manque de transparence. Le coût de la procédure est élevé et ses résultats sont incertains et il est souvent difficile d’avoir les documents nécessaires pour prouver ses qualifications acquises à l’étranger.
Le service Migration et qualification du DGB est membre du réseau fédéral "Intégration par la qualification" et, dans ce cadre, il s’occupe tout particulièrement de l’ouverture interculturelle. Au sein du réseau, il est beaucoup question de reconnaissance des qualifications, par exemple dans le cadre du projet Migranet / Tür an Tür.
Pour faire face à la situation, le service "Migration et qualification" du DGB, s’efforce quant à lui de jouer un rôle de multiplicateur tant en matière de conseil et d’information sur les possibilités de formation continue, qu’en organisant des séminaires à destination des comités d’entreprise que des employeurs. L’idée est de contribuer à changer, tant auprès des migrants eux-mêmes que des employeurs, le stéréotype de "l’étranger non qualifié". Pour Michaela Dälken, il serait important de veiller à informer les migrants avant même leur départ de leur pays d’origine, et le DGB mène par ailleurs des activités de lobbying politique.
Et, faisant le point sur les tendances en matière de reconnaissance des qualifications professionnelles en Allemagne, Michaela Dälken a expliqué que le sujet était pris en compte dans l’accord de coalition du gouvernement allemand. Si elle salue cette initiative, elle en soulève cependant les lacunes, un certain nombre de choses restant peu claires, comme le droit à la certification ou encore le financement, tandis que la possibilité d’une procédure d’évaluation fédérale n’y est pas évoquée.
Michaela Dälken appelle donc à la création d’un service central pour la reconnaissance des qualifications mais aussi à une meilleure concertation des différentes institutions qui ont cette compétence. A ses yeux, il ne faudrait pas se concentrer seulement sur les personnes les plus qualifiées mais bien veiller à compenser les inégalités des chances. Prendre en compte les qualifications informelles, en proposant des examens externes par exemple, devrait aussi être encouragé.
Julienne Angelini, qui est chargée de développement auprès de l’Association lorraine Adultes Jeunes Interformation (ALAJI), est une spécialiste de l’insertion et de la formation professionnelle.
Julienne Angelini connaît particulièrement bien la question de la formation linguistique et ce pour toutes sortes de publics : analphabètes comme illettrés ou encore personnes relevant de dispositifs Français langue étrangère (FLE), et ce qu’ils soient demandeurs d’emploi ou salariés. Le contexte de la formation linguistique en France, Julienne Angelini le juge très "étiqueté" et les nouvelles orientations politiques n’ont pas arrangé les choses ; ainsi, les dispositifs sont-ils tous attachés au statut plutôt qu’aux personnes elles-mêmes, ce qui fait que beaucoup d’entre elles se trouvent laissées pour compte car elles n’entrent pas dans les catégories indiquées. L’évolution actuelle des choses fait qui plus est que les organismes de formation sont désormais mis sous pression car ils ont des obligations de résultats qui ne sont basées que sur des objectifs d’insertion professionnelle. Et la spécialiste de l’insertion regrette qu’aucun indicateur ne prenne en compte l’insertion sociale.
Parmi ses publics, Julienne Angelini s’occupe de personnes francophones en situation d’illettrisme, c’est-à-dire des personnes n’ayant pas les bases nécessaires pour comprendre à la lecture un texte simple. Et les récents changements dans la législation française font que les organismes de formation doivent maintenant répondre à des appels d’offre nationaux dans le cadre desquels il est demandé de travailler sur la base d’un socle de compétences fixé par une norme européenne. Il s’agit donc de proposer des formations générales en mathématiques, en français et en langues. Or, ces dispositifs, s’ils ne visent pas explicitement ces publics, vont accueillir des personnes en situation d’illettrisme, et ce sans que la formation ne soit vraiment adaptée.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet de formation diplômante dans les métiers de l’environnement auquel travaille Julienne Angelini. Le public, ce sont des jeunes sortis du système scolaire depuis au mois un an et qui sont pris en charge par une mission locale, un organisme d’accueil qui les accompagne sur le plan social. Si la mission locale n’assure pas elle-même de formation, elle essaie de créer des partenariats avec d’autres structures, comme l'ALAJI. Des actions communes, qui incluaient à la fois des formations comportant un volet apprentissage et un volet technique, basé sur des stages en entreprise, ont servi d’idée de base à ce nouveau projet.
L’idée de l’orienter sur les métiers de l’environnement est venue elle d’une expérience menée pendant 3 ans avec le groupe Veolia et qui consistait à proposer un dispositif de professionnalisation de salariés de l’entreprise peu ou pas qualifiés. De plus il s’agit d’un secteur identifié comme "porteur" en France, ce qui permet d’attirer des financeurs. Les métiers de l’environnement et du développement durable offrent qui plus est des possibilités de promotion et d’évolution de carrière, on peut y entrer en exerçant une fonction requérant peu de qualifications et évoluer par la suite si on le souhaite.
L’objectif, c’est de permettre à ces jeunes qui ne parlent pas parfaitement le français et qui n’ont pas de qualifications, d’être suffisamment formés en français pour pouvoir accéder à une formation qualifiante et à un emploi.
Julienne Angelini a expliqué quel discours elle a alors tenu aux entreprises pour les convaincre de devenir partenaires du projet. Ces dernières peuvent avoir en effet des difficultés à recruter, et il faut donc les convaincre que ce projet peut les aider. L’ALAJI peut aider à identifier des compétences nécessaires – et cela peut concerner tout aussi bien des questions de savoir-être – pour chaque métier et les inclure dans la formation.
Les missions locales ont pour mission d’identifier sur le terrain les jeunes les plus motivés, sans se soucier de leur niveau de qualification, puis, après une rencontre avec l’ALAJI, la formation, qui se fait autant en centre de formation qu’en entreprise, peut en principe commencer. La formation devrait durer 5 mois.
L’approche de la formation ne se fait pas par "contenu", mais par "compétences", et les liens entre le centre de formation et l’entreprise doivent être importants. Car le programme de formation dépend des besoins liés au métier et des retours que peut faire l’entreprise. Cette spécificité requiert de la part des formateurs des compétences en matière d’organisation du travail, car il s’agit de faire ressortir les compétences et d’articuler ses activités pédagogiques en fonction de ce facteur. Il faut donc que le formateur soit prêt à changer sa façon de travailler.
Les liens avec l’entreprise sont primordiaux. Les outils utilisés au sein de celles-ci peuvent être en effet des bases de travail essentielles. Les formations internes sont souvent très courtes et ont la forme de cours magistraux. Il s’agirait là de les réadapter et de s’en servir pour mettre en place des séquences pédagogiques.
Malheureusement, cette action expérimentale n’a pas encore pu démarrer, faute d’avoir rassemblé l’ensemble des financements nécessaires, mais la démarche, elle, est déjà proposée par le biais d’autres actions de formation qui visent notamment des salariés d’entreprise.