Dans une interview publiée le 27 janvier 2010 par le quotidien économique Les Echos, Jean-Claude Juncker, qui a été reconduit le 18 janvier 2010 à la tête de l'Eurogroupe, a saisi l’occasion pour exhorter les Etats membres à muscler la coordination des politiques économiques de la zone euro. Il a notamment expliqué que, si on veut faire de la zone euro une entité monétaire, économique et politique qui compte, on doit cesser de donner l'impression de se consacrer exclusivement à la consolidation budgétaire. En parallèle, le Premier ministre luxembourgeois s’est exprimé sur des stratégies de sortie de crise coordonnées, sur le désaccord franco-allemand sur la coopération plus élaborée entre les pays de la zone euro, ainsi que sur la sous-évaluation de la monnaie chinoise.
Abordant la question pourquoi et comment il souhaite, comme la présidence espagnole, renforcer la gouvernance économique de la zone euro, Jean-Claude Juncker a déclaré qu’il aime ce terme de gouvernance qui est une façon plus musclée d'évoquer le renforcement de la coordination des politiques économiques. "Je plaide pour ce renforcement depuis des années sans avoir obtenu le soutien de tous les pays de la zone euro", a-t-il expliqué. Mais pour le président de l’Eurogroupe, depuis dix-huit mois, le monde a dramatiquement changé et, "si nous voulons faire de la zone euro une entité monétaire, économique et politique qui compte, nous devons cesser de donner l'impression de nous consacrer exclusivement à la consolidation budgétaire".
Pour Jean-Claude Juncker, le moment est venu de préparer des stratégies de sortie de crise coordonnées. "Il faut, pour cela, examiner plus en détail et plus en profondeur la situation compétitive de chaque pays de la zone. Des divergences existent, elles ont augmenté avec la crise et, si nous n'y prenons pas garde, elles pourraient mettre à mal notre cohésion", a-t-il souligné. Pratiquement, le Premier ministre luxembourgeois pense qu’il faut "examiner l'évolution des situations compétitives et attirer l'attention d'un pays qui s'écarterait de la moyenne sur les conséquences possibles de cette promenade solitaire". Par ailleurs, il est d’avis qu’il faut se pencher sur les obstacles structurels limitant la croissance, en édictant des objectifs à moyen terme pour les éliminer. "Et adopter des recommandations, par pays, pour atteindre ces objectifs et alimenter les débats nationaux", a-t-il ajouté. Pour lui, la Commission européenne devrait, de son côté, utiliser "les nouveaux moyens prévus par l'article 121 du traité de Lisbonne pour adresser des avertissements aux Etats membres ne suivant pas l'esprit de nos recommandations".
Selon Jean-Claude Juncker, depuis que l'Eurogroupe existe et qu’il propose d'accroître cette coordination des politiques économiques, "les partisans de ce renforcement hésitent lorsqu'il s'agit d'examiner en détail la situation de leur pays et leurs objectifs." Il pense qu’"on n'aime pas évoquer à l'Eurogroupe des stratégies qui n'auraient pas été acceptées par les Parlements nationaux". "Aussi", a-t-il poursuivi, "nous découvrons souvent, a posteriori, les décisions de politique économique sans avoir pu évaluer leur compatibilité avec celles des autres pays de la zone. Et je constate également que l'Allemagne conteste l'idée même d'une coopération plus élaborée entre pays partageant la même monnaie, même si les décisions économiques des uns ont immédiatement un impact sur les économies des autres." Selon le président de l’Eurogroupe, la notion même de gouvernement économique est refusée en Allemagne, "car elle ne correspond pas à la manière dont ce pays gère son économie et organise son dialogue social".
En ce qui concerne la position de la France et de l'Allemagne sur ce sujet, Jean-Claude Juncker pense qu’il y a "plus qu'une nuance entre l'approche des deux pays" et il regrette beaucoup qu'on lui fasse parfois porter le chapeau, "en m'imputant des responsabilités que je n’ai pas". Et il a souligné : "La France et l'Allemagne doivent mener un dialogue que leurs dirigeants font parfois semblant d'avoir entamé, mais qu'ils n'ont pas vraiment approfondi." Tenir le président de l'Eurogroupe pour responsable de cette situation en l'accusant d'immobilisme est pour lui "d'autant plus injuste que ce désaccord franco-allemand peut être surmonté".
Abordant le fait qu’il souhaite également renforcer le rôle international de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker a déclaré : "Les esprits ne sont pas mûrs, car plusieurs pays refusent une représentation unique de la zone euro. Mais il est difficile de revendiquer une identité propre de l'eurozone si nous ne parvenons, un jour, à la faire représenter de manière plus ramassée dans les enceintes internationales".
En guise de conclusion, Jean-Claude Juncker s’est prononcé au sujet de la sous-évaluation de la monnaie chinoise. "En deux ans, je suis allé deux fois en Chine, avec le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, et Joaquin Almunia, le commissaire responsable de l'Economie", a-t-il expliqué. "Nous avons eu, notamment la dernière fois, des discussions ouvertes et franches avec nos interlocuteurs chinois, en insistant sur le fait que les déséquilibres globaux qui existent ne sont pas le fait de la zone euro, cette dernière étant devenue le seul facteur d'ajustement." Pour lui, il faut que le monde et les Européens prennent conscience que les taux de change constituent l'un des éléments les plus importants des relations internationales. Il pense que la Chine et les Etats-Unis l'ont parfaitement compris, "mais l'Europe hésite à le faire". Et de conclure : "Il ne faut pas en faire un discours quotidien, mais il faut expliquer, de temps en temps, à nos partenaires que nous sommes mécontents des déséquilibres globaux et du taux de change de l'euro, qui est surévalué, alors que le yuan et le dollar sont sous-évalués."