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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Emploi et politique sociale
Femmes et pauvreté en Europe – un séminaire du Parlement européen a tenté de jeter un regard nouveau et fait souffler un vent de réforme
25-03-2010


Femmes et pauvreté, une conférence organisée par le Bureau d'information du Parlement européen au LuxembourgLe Bureau d'Information de Luxembourg du Parlement européen a, dans le cadre de l'Année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, organisé le 25 mars 2010 un séminaire sur le thème "Femmes et pauvreté." 80 millions de personnes, presqu’un Européen sur six, sont actuellement menacées de pauvreté dans l’UE. Les femmes et les enfants semblent encore plus touchés que les hommes.

Astrid Lulling, députée au Parlement européen, questeur et membre de la Commission des droits de la femme et de l'égalité des genres (FEMM), a évoqué le combat au sein de l’UE pour l’égalité homme-femme et jeté un regard sur plus de quarante ans de luttes dans lesquelles elle est elle-même toujours impliquée. Michaela Moser, Vice-présidente du Réseau européen des associations de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (EAPN), philosophe et spécialiste de l’éthique, a parlé de stratégies contre la pauvreté des femmes. Nicolas Schmit, ministre luxembourgeois du Travail, de l'Emploi et de l'Immigration, a parlé du défi que constitue la pauvreté pour la politique.

Astrid Lulling : l’égalité, une longue lutte pour des droits certifiés

Astrid Lulling a fait le constat que, bien que l’égalité homme-femme soit inscrite dans les traités de l’UE et malgré le grand éventail d’instruments que l’UE a créés en quarante ans, la pauvreté qui menace les femmes n’a pas diminué. Elle a fait l’inventaire des pièges qui conduisent à la pauvreté : le manque de qualification, qui touche 30 % à 50 % Astrid Lullingdes jeunes qui ne présentent pas les compétences de base donnant accès à un emploi bien rémunéré ; le divorce, qui, vu les taux de divortialité très élevés en Europe, précarise souvent les femmes ayant un taux d’emploi plus bas que les hommes, notamment quand il s’agit de divorces dans des familles avec enfants ou des divorces tardifs.

Astrid Lulling a salué l’initiative de Viviane Reding sur les divorces transnationaux  et a souhaité que le Luxembourg, quand il passera à la réforme de la loi sur le divorce, s’ajuste à la règle qui a cours en Allemagne selon laquelle les droits à la pension sont partagés entre les époux divorcés en fonction de la durée de leur mariage. Elle a également salué la Charte des femmes que la Commission a publiée le 5 mars 2010. Elle aurait néanmoins préféré que la Commission ait plus utilisé la directive de 1975 concernant le principe d’égalité. Astrid Lulling n’a pas rejeté l’idée de renforcer cette directive, mais selon elle, ceux qui sont d’abord interpellés pour faire respecter le droit, ce sont les gouvernements, les partenaires sociaux, mais aussi les femmes discriminées.

Michaela Moser : Une autre vision de la pauvreté, d’autres stratégies contre la pauvreté

Michaela Moser a commencé son exposé en citant le cas de trois femmes européennes qui sont tombées ou vivent dans la pauvreté. La première, danoise, a été victime d’une maladie du dos, n’a plus pu exercer son métier et s’est retrouvée au chômage. En fin de droits, et avec des droits minimaux raccourcis pour l’inciter à trouver un travail, elle vit avec moins de 200 euros. La deuxième, autrichienne, traductrice d’une grande langue asiatique, s’est retrouvée, après un divorce, avec trois enfants dans un contexte où la prise en charge des enfants n’existe qu’à l’état embryonnaire. Elle vit avec moins de 900 euros. La dernière, roma en Slovaquie, vit avec une douzaine de membres de sa famille dans un immeuble insalubre dans un quartier dénué de canalisation en marge d’un village qui est par centre rattaché à la canalisation.

Michaela MoserPour Michaela Moser, la pauvreté n’est pas seulement une question d’argent, mais de possibilités sociales dont les personnes précarisées disposent. Ces personnes se sentent stigmatisées, préfèrent se rendre invisibles, et l’inégalité de leur condition ne cesse de croître. Il y a une inégalité devant le marché du travail, devant la propriété et devant le système social qui lui aussi contribue à augmenter, selon Michaela Moser, les inégalités. Les dépenses massives des Etats pour soutenir l’économie lors de la crise économique actuelle en tout cas n’ont pas été dirigées vers la lutte contre la pauvreté des femmes.

La philosophe et activiste autrichienne s’est ensuite élevée contre trois mythes : contre le mythe de l’autonomie, en soulignant l’interdépendance entre les êtres humains et l’attention qu’ils portent les uns aux autres ne serait-ce que pour survivre ; contre le mythe qui fait du travail la solution à tous les problèmes de pauvreté et contre le mythe de services ne pouvant être rendus que contre espèces sonnantes et trébuchantes. Une stratégie contre la pauvreté passe pour elle par la reconnaissance de l’évidence que tout le monde, à un certain moment de sa vie, peut avoir besoin du soutien de la société, par l’idée aussi qu’un emploi doit contribuer par le contexte qu’il crée à une vie meilleure et finalement, qu’il faut passer d’un discours de l’austérité à un discours sur une meilleure distribution de l’abondance.

A partir de là, Michaela Moser identifie trois piliers dans la lutte contre la pauvreté : garantir aux personnes un revenu monétaire minimal adéquat ; créer de bonnes infrastructures sociales (crèches, maisons-relais, réseaux de transports publics, etc.) qui facilitent la vie de la population active et des familles ; une politique de l’emploi misant sur l’intégration et la réduction du temps de travail afin de permettre aux travailleurs de participer à la vie démocratique. S’y ajoute une politique fiscale qui taxe plus les revenus élevés. Pour l’activiste de l’EAPN, plutôt que de voir le monde comme un marché, il faudrait commencer à le voir comme un ménage. Une telle vision permettrait aux femmes de s’épanouir, car elles disposent, selon Michaela Moser, de davantage de ressources pour gérer un ménage et le transformer en un lieu où la vie serait meilleure. Mais elle s'est finalement demandée si les leaders de l’Europe auront le courage d’inscrire la lutte contre la pauvreté dans les objectifs de la stratégie Europe 2020.

Nicolas Schmit : lutter contre la pauvreté, ce n’est pas la négation de la politique sociale, mais sa concentration sur les plus faibles

Le ministre du Travail, Nicolas Schmit, a répondu directement à Michaela Moser. Pour lui, les marchés financiers, devenus incontrôlables, ont aussi créé des problèmes sur un marché du travail devenu incontrôlable. Les Etats et la politique sont devant le défi de devoir montrer qu’ils peuvent encore changer les choses. Un objectif a été avancé Nicolas Schmitdans le cadre de la stratégie Europe 2020 : réduire le nombre des personnes menacées de pauvreté de 20 millions.

Mais sur ce point, certains Etats membres hésitent, avec l’argument qu’il ne faut pas réduire la politique sociale à une politique de réduction de la pauvreté. Or, ce n’est pas là selon Nicolas Schmit le problème. Même au Luxembourg, si riche, la pauvreté menace jusqu’à 17-20 % des enfants surtout, et ce malgré une politique sociale très développée. "Réduire le nombre des personnes pauvres de 20 millions en Europe n’est une négation de la politique sociale, mais une concentration sur les plus faibles". Partout, il y a des lacunes dans les filets de sécurité, même au Danemark, comme l’a montré l’exemple de Michaela Moser.

Ceci dit, le nouveau chômeur est, selon Nicolas Schmit, d’abord masculin et peu qualifié. Mais une économie en mal de croissance limite en même temps les opportunités pour les femmes. A terme néanmoins, les femmes sont plus menacées par la pauvreté, notamment à cause de la monoparentalité croissante. Eduquer des enfants et travailler vont difficilement de pair quand les infrastructures d’accueil des enfants manquent. Le Luxembourg a heureusement, selon le ministre, investi massivement dans ce domaine. Ce que craint surtout Nicolas Schmit, c’est que le nombre des travailleurs pauvres, en général peu qualifiés, ne diminue pas en Europe, même dans les pays qui connaissent le salaire minimum. L’industrie est surtout touchée, où les salaires des moins qualifiés diminuent sous le coup de la concurrence et des menaces de délocalisation, et où l’automatisation réduit la création d’emplois. Un autre phénomène inquiétant est le travail à temps partiel comme revenu non plus d’appoint d’un deuxième salarié dans la famille, mais comme revenu principal.

Que faire ? Pour Nicolas Schmit, il faut créer "des structures qui permettent de réagir contre le mythe de l’autonomie". L’Administration de l’emploi (ADEM) doit être réformée pour mieux aider les personnes à réintégrer le marché du travail. Pour cela, les agents doivent apporter plus de compréhension aux besoins des personnes à la recherche d’un travail, trouver des moyens de les recycler pour compenser des qualifications désuètes, et surtout rendre ces services en les faisant participer, hommes et femmes, tout en mettant l’accent sur leur autonomie et leur responsabilité. Le grand défi, c’est d’arriver à éviter que les nouveaux fossés sociaux qui se sont ouverts dans les sociétés riches ne se creusent.

Nicolas Schmit a insisté sur le fait que la pauvreté est quelque chose qui se transmet de génération en génération dès qu’elle s’est emparée d’une famille, et qu’à notre époque, où la mobilité sociale vers le haut s’est ralentie, "elle contribue à la perte d’une partie de notre démocratie". De ce fait, "l’égalité des chances est un sujet central de la politique". Pour affaiblir ce potentiel de division économique de la société, l’Etat doit mener des politiques sociales ciblées et investir dans l’encadrement de ceux qui sont menacés d’exclusion. Et de conclure en exprimant l’espoir que l’UE lancera un signal en incluant la réduction de la pauvreté dans les objectifs de la stratégie Europe 2020, car ce qui distingue le modèle social européen, "c’est qu’on n’y accepte pas la pauvreté comme aux USA".